En début de concert le jeune chef britannique Ben Gernon a choisi une composition de la jeune et talentueuse compositrice britannique Anna Clyne. La beauté de cette partition est un hommage passionné au poème de Baudelaire “Harmonie du soir”. Beauté sulfureuse au charme prenant, l’Orchestre du Capitole au grand complet participe à cet envoûtement paisible. Une très belle partition abordée avec clarté et précision par le jeune chef. Elle mérite vraiment d’entrer au répertoire des orchestres symphoniques car une telle plénitude, un tel charme qui est bien trop rare dans les premières pièces des programmes, permet d’entrer avec volupté dans toutes les beautés du monde sonore de la musique symphonique.
Le pur plaisir de la musique partagée
Puis, la violoncelliste Sol Gabetta dès ses premiers pas sur scène, irradie d’une présence lumineuse et chaleureuse. Le Concerto de Chostakovitch est une partition complexe dédiée à Mtislav Rostropovitch, grand ami du compositeur. Composé dans un environnement dangereux et en proie à une hostilité politique pouvant être fatale, cette composition en demi teinte suggère plus qu’elle n’affirme. Ainsi le thème introduit d’emblée par le violoncelle est sous les doigts légers de Sol Gabetta, plus goguenard que véritablement moqueur. Toute l’interprétation sera donc placée dans cette délicatesse et cette précision de phrasé. A la pointe de l’archet, pour ne pas dire à la pointe de l’épée, afin de faire mouche à chaque coup. On sort comme hypnotisé du Concerto. La délicate violoncelliste, avec un art consommé des couleurs et des nuances très affirmées, ne cherche jamais l’affrontement ou la provocation, elle nous ensorcèle. En ce sens une toute autre interprétation que celle de Rostropovitch plus directe et sensible aux dangers imminents. Comme à distance, l’intelligence du jeux de Sol Gabetta trouve une autre voie et elle trouve dans le jeune chef Ben Gernon un partenaire attentif, précis et lui aussi, inventif. L’Orchestre avec une immédiateté généreuse suit dans cette recréation du chef d’oeuvre avec d’autres propositions. La magie du final avec le célesta est pure magie irréelle. Ces grands musiciens nous offrent un très grand moment de fine musicalité partagée. En bis, comme pour rendre évidente cette osmose musicale peu commune, la soliste très applaudie revient avec le chef. Ils interprètent un arrangement particulièrement émouvant du sublime air mélancolique de Lenski, avant son duel avec Onéguine dans l’opéra Eugène Onéguine de Tchaïkovski. Il est habituel de dire que le violoncelle est l’instrument le plus proche de la voix humaine. Ce soir Sol Gabetta est encore plus émouvante que le ténor le plus doué.
Il a été difficile de ne pas pleurer à l’écoute de cette osmose totale entre le chef, l’orchestre et la soliste qui chante à perdre l’âme. La deuxième partie du concert est dédiée aux Variations Enigma du compositeur anglais Edward Elgar. Cette riche et belle partition permet à l’orchestre de briller ; de nombreux moments solistes sont tout à fait délectables. L’écriture très nuancée avec de longues phrases sublimes permet au chef de proposer une vision personnelle car il faut doser entre romantisme, hédonisme, et musique de film. Ben Gernon avec des gestes sans baguette et d’une grande élégance obtient de l’orchestre un son moelleux et une pâte qu’il malaxe avec génie. Le rubato est assumé, les nuances très affirmées, le caractère très différent de chaque variation est indéniable, pourtant il se dégage de la direction du chef, tout du long, une clarté des plans, une beauté des phrasés, une liberté de jeu qui sont la marque d’un grand chef. Les musiciens jouent avec plaisir et les solo sont magiques : cor, alto, bois en particulier. Un très agréable concert dans lequel le plaisir de la musique partagée a été total. Le public a su applaudir avec vivacité ces très beaux moments.
COMPTE-RENDU, critique, concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 22 novembre 2019. Anna Clyne (née en 1980) : this midnight hour ; Dimitri Chostakovitch ( 1906-1075) : Concerto pour violoncelle n° 1 en mi bémol majeur Op. 107 ; Edward Elgar (1857-1934) : Variations Enigma Op. 36 ; Sol Gabetta, violoncelle ; Orchestre National du Capitole ; Ben Gernon, direction.
Hubert Stoecklin pour classiquenews.com