La programmation d’All’Opera 2016-2017 intègre une nouvelle maison d’opéra, et pas des moindres, avec Florence et son Maggio Musicale Fiotentino fondé en 1933 par l’illustre chef d’orchestre Vittorio Gui. Et c’est avec un des opéras les plus mythiques de Giuseppe Verdi, ce chef-d’œuvre qu’est Don Carlo ou Don Carlos si vous préférez ! Ce sera en DIRECT, le 5 mai à 20h.
Un peu d’histoire : Le drame, le roman et la musique recréent et font revivre les événements historiques survenus à la cour d’Espagne entre 1566 et 1568, en pleine révolte des Pays-Bas contre l’absolutisme, tandis que se forgeait la liberté de conscience, fer de lance de la Réforme protestante. Ainsi, sous l’effet de l’imagination créatrice ou spontanément déformante des faits réels, naît un mythe moderne, dans lequel on perçoit en filigrane tensions, idéaux, exigences et contradictions spécifiques de l’Europe de la Renaissance puis du Romantisme. C’est l’histoire présentée comme un mythe qui réunit à la fois les composantes de la réalité et de la fiction.
Œuvre française au départ, puisque commandée à GIUSEPPE VERDI par l’Opéra de Paris à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1867, Don Carlos connut un nombre considérable d’avatars dès sa genèse. Pas moins de sept versions différentes ! Le metteur en scène réputé Giancarlo del Monaco, fils du ténor mythique Mario del Monaco, décide, lors de cette nouvelle production, de porter son choix, sûrement, sur la version dite de « Milan »1884, version en quatre actes : pas de premier acte, ce fameux acte de Fontainebleau de la version en cinq, ni de ballet, mais le livret est toujours de Joseph Méry et Camille du Locle d’après l’œuvre du fameux Friedrich von Schiller. Ce dernier écrit son roman en 1785, en même temps qu’il compose L’Hymne à la Joie qui fera partie de la IXè de Beethoven. Il portait symboliquement un autre titre : A la liberté. Question langue, « le français de Verdi est un français de commande. Revenir à l’italien dans Don Carlo, où les mots et les idées sont plus essentiels que dans chacun de ses ouvrages, c’est donc revenir à la musique natale de Verdi, à la langue qui épouse le mieux l’évidence de sa déclamation et la force de son éloquence. »
L’ouvrage est d’une grande difficulté à monter parce que très sombre sur tous les plans. Aucun espoir ne subsiste jamais pour les personnages. Il est donc très important de faire ressortir leur angoisse, et si c’est extrêmement facile sur le plan musical, c’est beaucoup plus délicat sur le plan scénique. C’est là tout le travail du metteur en scène et de ses acolytes, chargés des décors et costumes et lumières, et bien sûr, de tous les acteurs de la distribution vocale, que ce soit les Chœurs, les comprimari et les chanteurs principaux.
Pour faire simple : Raison d’état, raison de cœur, le fils de Philippe II, Carlo – ténor – a la bonne idée de “tomber“ amoureux de sa belle-mère Elizabeth, venue de France, contrainte – soprano – qui n’a épousé son père que pour des raisons d’état, rien d’extraordinaire en ce monde-là. C’est le classique triangle adultérin qui va se compliquer d’une tierce personne dans ce patchwork amoureux, avec la suivante, la princesse Eboli – mezzo – amourachée du fils. Il faut rajouter l’ami, le Marquese di Posa – baryton – confident du fils, idéaliste, épris des Flandres à défaut ……Ajoutez l’Eglise avec le Grand Inquisiteur – basse – qui impose sa loi au plus haut sommet de l’Etat, donc au roi Philippe II – baryton-basse – et cinq siècles plus tard, dans certains pays, bis repetita. Un vrai salmigondis, et pourtant ça “marche“. Jamais le génie dramatique du musicien n’aura été moins spectaculaire et pourtant si prégnant, l’opéra ne cessant d’exercer une séduction sans bornes.
C’est une série d’affrontements brossés dans quelques grandes scènes s’appuyant sur une musique comptant parmi les plus fortes pages de son auteur.
Pour mener à bien les opérations, la production a choisi à la baguette, un expert en la matière, le charismatique et efficace chef, Zubin Mehta, gage évident d’une réussite programmée. Ce sont les Chœurs et l’Orchestre du Maggio Musicale Fiorentino.
De la distribution, on retiendra en premier le Philippe II de Dmitry Belosselskiy pour incarner ce monarque qui exerce le pouvoir absolu, véritable maître du monde, fils de Charles-Quint, exterminateur émérite des protestants, qui, au nom de Dieu, allume partout de grands bûchers, père impitoyable, mais traversé par le doute, empêtré dans des intrigues de cour et voué à la solitude et à la tristesse. Le véritable héros de l’opéra verdien, c’est bien lui. Il perçoit son naufrage d’homme et de roi, mais il est néanmoins incapable de choisir entre la férocité figée du Grand Inquisiteur et l’altruisme héroïque du marquis de Posa.
La basse américaine Eric Halfvarson sera le Grand Inquisiteur, rigide et implacable dans sa conception du pouvoir théocratique. « Spectre vivant, oublié par la mort », aveugle, il est le représentant glacial de l’Autorité constituée, dans tout ce qu’elle peut avoir d’intolérant et de répressif, de refermé à toute innovation. Il ne veut plus rien savoir du monde, ni du cœur des hommes. Seulement lui importe de briser tout ce qui pourrait troubler une autorité reçue d’un dieu assassin et d’un ciel méconnaissable. Le contrebasson, c’est pour lui, pour les parties les plus sombres de la partition.
Fabio Sartori incarnera l’infant, personnage oscillant entre sa passion amoureuse et son désir de la sublimer dans une tâche héroïque. La vaillance et la sûreté du registre aigu du ténor devraient faire merveille. Le seul point commun avec le personnage historique est son caractère velléitaire. « Un halo fébrile, pâle et moite accompagne chaque geste, chaque parole de Don Carlos. Son amour interdit pour sa belle-mère résume tout l’aspect décadent de l’œuvre, cette difficulté extrême à distinguer le bien du mal, que la vie s’amuse à mêler en une inextricable confusion. C’est un amour torturé par le sentiment de la faute, qui frôle l’horreur de l’inceste. » Et pourtant, les deux jeunes gens, aujourd’hui mère et fils, ont des circonstances atténuantes puisque promis l’un à l’autre avant que les intrigues de la politique n’interviennent pour les séparer et leur imposer une parenté contre nature. Il n’est pas dit pour autant que les amours étaient alors réciproques. C’était rarement le cas, les mariages étant le plus souvent des unions d’état.
Rodrigo, le marquis de Posa est un personnage de pure fiction inventé par Schiller pour en faire le support des idées éclairées de la seconde moitié du XVIIIè. « Chez le marquis de Posa, le “Héros positif“, le rôle du baryton prend des irisations de ténor et se déploie en un phrasé ample et géométrique, refusé à Don Carlos,…la nature du personnage est essentiellement lyrique, et sa mort présente un caractère plus élégiaque que vraiment héroïque. » Gageons que Massimo Cavalletti saura donner toute l’ampleur au rôle. « je suis heureux de revenir à l’opéra de Florence, et en particulier au festival du mai musical Florentin, dans cette belle œuvre saoussane, à interpréter ce personnage, par excellence, qu’incarne le symbole de la liberté et de l’humanité libre de penser. »
Si l’on veut bien adhérer au livret retenu et oublier qu’Elizabeth ( de Valois) est plus, amoureuse de la France qu’elle a été obligé de quitter, que de l’infant, la troisième épouse du parfait monarque est dotée d’un chant caractérisé par un accent tout aussi noble et intense que celui de son époux et par un phrasé dont le caractère est parfois proche de celui du lied, à la mesure de l’ambiguïté sentimentale qui distingue, dans Don Carlos, « la “phrase décadente“ de l’art de Verdi. » La soprano Juliana di Giacomo, saura apporter toute la noblesse et traduire tout son amour pour son beau-fils, tissé de mélancolie, de souvenir et de nostalgie pour la belle France perdue. Dans son magnifique aria du dernier acte, « l’orchestre déploie pour elle ses ailes immenses et s’étend bien au-delà de l’étouffant huis-clos, au-delà des murs de granit de l’Escurial ; les prisons et les dogmes. La reine renonce au monde, appelle la bienfaisante mort et espère trouver, dans le ciel lumineux et pur, un apaisement aux ténèbres qui règnent sur la terre. Il n’est pas d’autre liberté. »
.
Enfin, celle par qui, par sa fureur vengeresse, tous les malheurs se concrétisent, personnage du drame verdien confirmé historiquement, j’ai nommé l’intrigante maîtresse de Philippe II, Ana de Mendoza y de la Cerda, épouse à douze ans puis veuve de Ruy Gomez de Silva , prince d’Eboli. Peut-être bien, malgré les événements qu’elle déclenche, le seul protagoniste “humainement sincère“ car animé, et d’amour véritable pour l’infant, et de jalousie. La mezzo moscovite Ekaterina Gubanova qui a chanté le rôle aux Nuits blanches de Saint-Petersbourg en 2005, au Staatsoper de Berlin puis au Théâtre du Capitole en juin 2013 a tous les atouts pour interpréter ce rôle.
Vous aurez compté six grands rôles, donc six grandes voix indispensables pour l’équilibre des scènes : une véritable prouesse que de mettre un tel ouvrage à l’affiche d’un Théâtre. Sachez que Fabio Sartori et Ekaterina Gubanova se retrouveront au Stade de France le 23 septembre 2017 pour participer à cet Aïda grand format, pharaonique, monté pour fêter les 50 ans de carrière du ténor qu’on ne présente plus, Placido Domingo !!
Michel Grialou
Don Carlo (Verdi)
Opéra de Florence
vendredi 05 mai 2017 à 20h00
Diffusé en direct dans votre cinéma Mega CGR Blagnac
.