Le 31 janvier dernier, les Clefs de Saint-Pierre présentaient à leur public fidèle et nombreux un programme musical à la fois précieux et exigeant. Mozart et Brahms illustraient ce soir-là la permanence et la vitalité d’une création musicale exemplaire, emblème culturel de la ville de Vienne, aimant attractif de toute l’Europe au cours des siècles. Cinq membres de l’Orchestre national du Capitole ont ainsi investi leurs talents dans un répertoire de musique de chambre qui bénéficie de la discipline de leur pratique symphonique.

Les musiciens pour le Quatuor n° 3 de Brahms. De gauche à droite : Kristi Gjezi et Eléonore Epp, violon, Juliette Gil, alto, Pierre Gil, violoncelliste – Photo Classictoulouse –
Les musiciens qui officient ce soir-là ont déjà marqué de leurs talents ces soirées de musique de chambre. La clarinettiste Floriane Tardy, les violonistes Kristi Gjezi et Eléonore Epp, l’altiste Juliette Gil et le violoncelliste Pierre Gil abordent ce répertoire intimiste avec la cohésion, la précision, la complicité même, héritées de leur implication au sein de l’orchestre.
Dès les premières mesures du Quatuor à cordes n° 3, de Johannes Brahms, qui ouvre la soirée, on est frappé par l’homogénéité sonore, l’unité et l’équilibre des timbres ainsi mêlés. Cette partition en si bémol majeur, troisième et dernier quatuor à cordes de Johannes Brahms, est une œuvre de relative jeunesse. Brahms n’a pas encore osé s’attaquer au monde de la symphonie. C’est bien ainsi que les interprètes conçoivent le caractère vivifiant et lumineux de la partition.
Après un Vivace virtuose et passionné, l’Andante revêt une intensité expressive forte et émouvante. Dans le troisième volet, Agitato, c’est l’inquiétude qui pointe avec ce traitement si caractéristique de l’écriture brahmsienne, celle des pizzicati parfaitement réalisés ici. Le solo d’alto bénéficie en outre de la belle et profonde sonorité de Juliette Gil. Le mouvement final illustre le goût prononcé du compositeur pour le principe de la variation. La vivacité, la liberté des jeux, néanmoins parfaitement coordonnés, dominent cet épisode conclusif.
La seconde partie du concert est consacrée à l’un des grands chefs-d’œuvre de toute la musique de chambre, le Quintette pour clarinette et cordes en la majeur de Wolfgang Amadeus Mozart. Aimé des dieux, Wolfgang l’a été tout particulièrement ici ! La clarinettiste Floriane Tardy rejoint ses collègues avec lesquels elle s’intègre parfaitement tout en affirmant son rôle particulier. Son entrée volontaire dans l’Allegro initial témoigne d’une sonorité profonde et ronde, suavement accompagnée par les cordes. Installant une atmosphère de rêve et de poésie, le Larghetto s’écoute ainsi qu’une aria d’opéra. La clarinette chante comme le ferait une de ces voix chaleureuse avec lesquelles Mozart s’exprime si intensément.

La formation pour le Quintette avec clarinette de Mozart. Au centre, Floriane Tardy, clarinette – Photo Classictoulouse –
Dans le Menuetto, conçu comme un jeu, les deux Trios se succèdent en s’opposant. Dans le second, Floriane Tardy introduit avec goût et élégance une succession de diminutions non écrites comme cela se pratiquait couramment à l’époque. C’était en quelque sorte un test d’imagination pour l’interprète. Test brillamment réussi ce soir-là ! D’autant plus que l’Allegretto con variazioni final fournit de nouvelles occasions d’ornementations libres, là aussi comme subtilement improvisées.
Tout au long de cette soirée, chaque musicien s’intègre parfaitement à l’ensemble sans renoncer à sa propre personnalité sonore et musicale. Un grand bravo au premier violon Kristi Gjezi, dont on connait bien l’intensité du jeu comme supersoliste de l’Orchestre national du Capitole. Le soutien discret mais efficace d’Eléonore Epp, second violon, ainsi que la belle contribution à l’assise sonore de l’ensemble apportée par Juliette Gil à l’alto et Pierre Gil, virtuose et chaleureux au violoncelle, complètent l’équilibre sonore et expressif de ces exécutions raffinées.
L’accueil chaleureux du public réclame et obtient un bis somme toute assez logique. L’Adagio de l’autre Quintette pour clarinette et cordes, celui de Brahms qui réalise une sorte de synthèse entre les deux œuvres inscrites au programme. Un moment de rêve qui fait regretter l’absence de la suite…
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse