Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique, un livre injustement méconnu ou simplement à découvrir.
Faute d’identité de Michka Assayas
On connaît Michka Assayas comme le maître d’œuvre d’un Dictionnaire du rock devenu une référence, comme critique musical, biographe de Bono ou encore producteur de l’excellent émission « Very Good Trip » sur France Inter. Il ne faut pas oublier le romancier, notamment à travers son remarquable Exhibition, et tout simplement l’écrivain auquel on doit encore un très beau récit autobiographique, Faute d’identité, paru en 2011.
En octobre 2009, Michka Assayas perdit son passeport. Sa carte d’identité n’étant plus valide, il eut donc besoin d’un nouveau passeport, notamment pour des voyages professionnels à l’étranger. Depuis la création des cartes d’identité dites infalsifiables, l’administration est en droit de demander des preuves de leur nationalité à des Français nés en France de parents français si ces derniers ne sont pas nés Français… En 2005, la mesure fut étendue pour l’obtention d’un passeport. Michka Assayas entrait dans cette étrange catégorie de Français contraints de prouver leur nationalité puisque son père, Raymond, naquit en en 1911 à Istanbul et sa mère Catherine en 1919 à Budapest.
Triste efficacité
Faute d’identité nous plonge dans les méandres d’un système bureaucratique et de sa logique folle. On découvre l’existence d’un « Pôle de la nationalité française » où un fonctionnaire lui réclame l’extrait de naissance de ses parents. Retrouver un document établi presque un siècle plus tôt à Istanbul, alors Constantinople, capitale d’un Empire Ottoman depuis disparu, demande méthode, sang-froid et patience… Raymond Assayas, établi en France en 1932, fut naturalisé à la suite d’un décret concernant les « protégés français ». Ce juif de culture française, devenu porteur d’une mission pour le gouvernement de la France libre en Amérique latine, se détourna de ses origines afin que ses enfants soient noyés dans la masse des autres Français. Il ne pouvait imaginer la France des années 2000…Se sentant transformé en un « réfugié d’Asie mineure », Michka Assayas est donc renvoyé à son histoire familiale comme à celle de sa génération, née dans les années soixante, « indifférente à l’histoire collective de ceux qui l’ont précédée » et pour laquelle la question des origines semblait une vieillerie anachronique.
« L’ambition de la simplification est conforme à la triste efficacité du monde contemporain » écrit Assayas. Cet impératif de la simplification au service de l’efficacité n’est pas incompatible avec l’effroyable complexité de la machine juridico-administrative que Faute d’identité révèle à travers une banale histoire de passeport : « l’idéologie de l’efficacité et des objectifs quantifiés nous a menés à une ruine morale. Seuls comptent aujourd’hui les chiffres, les statistiques, les rapports d’activité, les quantifications les plus ténues, projetés en courbes, tableaux et simulations. Ils tiennent lieu d’arguments et de preuves. C’est une nouvelle forme de divinité, d’absolu, face à laquelle la conscience humaine se retrouve sans voix. »
Difficile de ne pas se sentir comme un exilé de l’intérieur constatant que « le pays dans lequel j’ai grandi n’existe plus ». Ne restent alors que la nostalgie et les souvenirs : « Soudain, j’ai vu resurgir le visage de mes copains à Boullay, mes balades à vélo sur les routes sentant les feuilles mortes, même en plein été, dans la vallée de la Chevreuse, j’ai pensé, je ne sais pas pourquoi, à l’inconnue qui, il y a trente ans, m’envoya avec un petit mot gentil la carte d’étudiant que j’avais perdue, au sourire et au visage de tous ceux avec qui j’ai joué au pendu au collège, avec qui j’ai subi la folie ou la méchanceté des mêmes profs, à l’odeur de menthe qui montait de l’herbe humide dès la fin de l’été dans notre petit jardin, aux pommes tombées par terre en septembre, à la bibliothèque de mon père, remplie de livres reliés dans un carton à motif de fleur de lys. Au bout de terre, en France, où j’ai grandi. »
Faute d’identité – Editions Grasset