« … Quand je s’rai mort(e), enterrez-moi/Tout au fond de la mare/Les pieds tournés vers la paroi/La tête sous la source/Les pèlerins qui passeront/Boiront l’eau de la vie… »
C’était il y a cinquante ans, en 1975, Le Bouvier, un chant albigeois édité sur le deuxième album de Malicorne, le groupe qu’il avait fondé avec Marie, son épouse, et les musiciens Hugues de Courson et Laurent Vercambre.
Musicien avant tout, et plasticien (il mettait en boîte, comme les surréalistes, des planches et des empreintes, des récits, des témoignages, qu’il collectait ainsi que les objets liés à ce domaine), Gabriel Yacoub s’est fait poète, avec pudeur et une certaine autodérision de bon aloi:
Un jour je me suis fait poète
Avec une voix pure comme de l’eau de source tout de suite reconnaissable, il chantait l’amour comme le chantaient encore il y a un siècle les jeunes gens des campagnes françaises en faisant la ronde autour du feu de la Saint Jean au solstice d’été:
Voici la Saint Jean
Mais aussi les cathédrales de l’industrie qui ont dévoré ces jeunes gens, quand ce n’étaient pas les guerres:
C’était un poète engagé, un révolté de la tendresse, avec beaucoup d’empathie pour ces paysans, ces ouvriers (son père était imprimeur), ces artisans que l’on traite comme du bois mort: les hordes humiliées, paludiers, journaliers, paysans d’une terre qui ne les nourrit plus, les bandes d’ouvriers, tranquilles, résignés devant les grilles hautes des fabriques fermées, plutôt que cultiver, écussonner, boiser, on abat, on réforme, comme avec le bois mort… Dans la tradition des grands protest-singers américains, il n’a pas hésité pas à écrire à notre Président de l’époque pour dénoncer l’absurdité de la guerre en Irak avec un simple banjo:
Il aurait dû
Il chantait à la française, une tradition d’auteurs-compositeurs-interprètes enracinée au fil des siècles depuis les Troubadours et les Trobairitz.
Installé dans le Berry, terroir de très anciennes traditions, il n’a jamais cessé de créer ni de donner à entendre ses phares de notre patrimoine chanté.
Gabriel Yacoub a revisité d’anciennes routes musicales et célébré les noces du mot et du chant, tout en émotion et nuances, aidé par des musiciens fidèles et de grande qualité, mais il a aussi fait évoluer cette si riche tradition.
En partenariat avec Emmanuel Pariselle et Marc Robine, il a produit en 1992-1994 une remarquable Anthologie de la chanson française – l’Histoire en chansons, enregistrée & mixée par Jacques Dompierre: un coffret regroupant 15 CD (300 chansons (!) & un livre présentant commentaires, textes et partitions pour chaque chanson (Éditions E.P.M. (1994) | Albin Michel), où il interprète (seul ou accompagné) 18 chansons, dont le fameux Comprenez-vous Marquise (les reproches de La Tulipe): En 1757, Louis XV était roi de France et sous l’influence de sa maîtresse Madame de Pompadour depuis près de 10 ans. Surnommée « Madame Poisson » par ses détracteurs (de son vrai nom Jeanne Poisson), la Pompadour avait favorisé la carrière de différents nobles dont Charles de Rohan-Soubise. Durant la Guerre de sept ans (1756-1763), un des fronts du conflit était entre la France et le Saint-Empire Romain contre la Prusse. A la bataille de Rossbach, Soubise fut totalement dépassé, ce qui permit aux 22 000 hommes des troupes prussiennes de vaincre les 45 000 hommes des troupes françaises laissant sur le carreau des milliers de morts sans oublier les estropiés, les gueules cassées comme on les nommera après la Grande Guerre de 1914-18.
Comprenez-vous Marquise
Compagnon de route d’Alan Stivell (je me souviens d’un concert mémorable en février 1972 à l’Olympia) et Dan Ar Braz, ses répertoires discographiques et scéniques évoluaient du traditionnel à la composition personnelle, musicalement inspirée par le folk américain (en particulier Woody Guthrie), les ballades irlandaises (en particulier le groupe Planxty) et le rock anglo-saxon (il reprenait sur scène Biko de Peter Gabriel), privilégiant les instruments acoustiques anciens et modernes. Ses textes évoquent le temps qui passe, l’amour et la nostalgie, dans une constante quête de sens et de spiritualité.
Gabriel Yacoub, s’il enregistrait des disques d’anthologie, était un formidable artiste de scène que ce soit devant des centaines de personnes comme aux Francofolies de la Rochelle en 2010 ou dans les petites salles confidentielles, comme ici lors d’une « veillée » à la Croix-Rousse le 11/11/2011:
> https://youtu.be/PtQOTq-xmWA?si=vFLk0hpoivzyTOVf
Il a contribué a faire sortir de l’ombre de nombreux poètes méconnus ou oubliés comme Gaston Couté, né à Beaugency dans le Loiret le 23 septembre 1880, mort à Paris dans le 10e arrondissement le 28 juin 1911, poète libertaire et chansonnier français, connu pour ses textes antimilitaristes, sociaux et anarchistes utilisant parfois le patois beauceron ou l’argot, rentrant chez sa pauvre Maman le Jour de lessive:
Jacques vassal a écrit dans Chorus: « il a fallu de rudes épreuves, sans doute, des joies intenses, sûrement aussi, pour réaliser un album aussi personnel de celui qui a chanté « pour revenir de tout | il faut pourtant y être allé »; il distillait des climats poétiques à la Louis Brauquier (1900-1976), lorsque « le marin fatigué s’accoude à des comptoirs »…[ in le café de la fin du monde] ».
Ce soir je me souviens de bribes du poème de Saint-Pol-Roux le Magnifique (1861-1940) Pour dire aux funérailles du Poète:
Allez bien doucement, Messieurs les fossoyeurs,
Allez bien doucement, car ce coffre, il est plein d’une harmonie faite de choses variées à l’infini: cigales, parfums, guirlandes, abeilles, nids, raisins, cœurs, épis, fruits, épines, griffes, serres, bêlements, chimères, sphynx, dés, miroirs, coupes, amphores, trilles, thyrse, arpèges, brises, vagues, arc-en-ciel, lauriers, palmes, rosée, sourires, larmes, rayons, baisers, or, tout cela sous un geste trop prompt pourrait s’évanouir ou se briser…
Allez bien doucement, car cet apôtre de lumière, il fut le chevalier de la Beauté qu’il servit galamment…
So long Gabriel, nous ne t’oublierons pas, tu fais partie de notre Anthologie de la Chanson française.
> Pour en savoir plus : site de Gabriel Yacoub