Kamil Ben Hsaïn Lachiri est arrivé pour la première fois sur la scène du Capitole en…delta plane ! Il faut dire qu’il chantait l’oiseleur Papageno de La Flûte enchantée, dans une mise en scène de Pierre Rigal (décembre 2021). Il est né en Belgique, où il vit toujours, d’un papa marocain et d’une maman belgo-italienne. Le soleil d’une voix a toujours des racines. Il est revenu à Toulouse pour un Oratorio de Noël, puis pour une Carmen qui connut quatre distributions en huit représentations (Covid oblige…). Mais nous le savons, avec Christophe Ghristi, the show must go on !
Rencontre
Classictoulouse : Comment définissiez-vous votre voix aujourd’hui ?
Kamil Ben Hsaïn Lachiri : Depuis le Papageno que vous citez plus haut, ma voix a évolué. J’ai eu trente ans l’année passée et, autant pour les barytons, ce qui est mon cas, que pour les basses, c’est un moment de bascule physiologique. Ma voix a gagné en couleurs, en volume, en ambitus, elle s’est épaissie également. Il me faut clairement réapprendre à la maîtriser car c’est un temps de perte de repères. La voix change comme le corps. C’est normal. Il faut être préparé et vigilant à cela. Notre technique doit nous permettre cette souplesse d’adaptation.
Quel a été votre parcours professionnel et comment est née votre passion pour l’opéra ?
C’est un hasard complet. Au départ je suis pianiste classique. J’ai commencé cet instrument alors que j’avais à peine 3 ans. J’ai suivi les cours du Conservatoire de Namur. Or, pendant ce cursus, il y avait aussi, obligatoires, des cours de chant. Alors qu’en fait je suivais également des études en économie et finance, dont je suis diplômé par ailleurs, j’ai commencé à chanter avec Françoise Viatour, celle-là même qui a révélé Jodie Devos, Anne-Catherine Gillet et bien d’autres. C’est l’époque à laquelle La Monnaie a créé une Académie pour les choristes. Je l’ai intégrée puis est arrivé le temps d’une première production, Alcina, et là je découvre tout ce qu’est l’opéra, les maquillages, les décors, les costumes, le chef d’orchestre, tout un univers qui s’est alors imposé à moi. J’ai compris où était mon avenir. J’ai rejoint le Chœur de chambre de Namur qui, rapidement, m’a offert quelques opportunités de solos. Puis j’ai fait connaissance avec mon agent actuel et avant même ma dernière année de Conservatoire, ma carrière se lançait.
Quel est à ce jour votre répertoire ?
Mozart avant tout. C’est le répertoire dans lequel ma voix s’épanouit le plus naturellement, sans risques aucuns. Des risques auxquels je suis très attentifs. Bien sûr que dans ma tête se glissent parfois les grands Verdi, mais ça ne va pas plus loin à l’heure actuelle. Donc pour l’instant je fréquente Papageno, Guglielmo, Leporello, Figaro et le Comte. Alors bien sûr je commence à travailler des rôles italiens comme celui de Malatesta, Dandini, Belcore ou Riccardo dans I Puritani. Manière comme une autre d’être prêt lorsque le moment viendra.
Vous chantez souvent en Belgique. Comment se porte l’opéra dans votre pays ?
Pour en discuter avec mes collègues, car c’est notre travail, l’opéra en Belgique se porte mieux qu’en France. C’est un sujet qui revient souvent dans nos discussions, moins de productions, moins de travail donc. Quel est l’avenir de notre métier ? Même des artistes connus et reconnus n’ont pas d’emploi du temps franchement surchargés. J’ai la chance d’être artiste résident à la Monnaie de Bruxelles. Je m’y produits de ce fait souvent. C’est une question de fidélité entre un théâtre et un artiste et je voudrais dire à présent que c’est un aspect du métier que l’on retrouve très fort au Capitole, un théâtre franchement à part dans le panorama français. Je pense que l’avenir passe par la refondation du public et pour cela il faut des spectacles de grande qualité certes mais dont les niveaux de lecture sont accessibles à tous, néophytes comme lyricomanes.
Le répertoire d’Offenbach vous est-il familier ?
Pas du tout ! Mais je viens de comprendre qu’il faut le travailler de manière très profonde et précise. Le comique d’Offenbach ne s’improvise pas. Il suffit d’une intention manquée, d’un mot incompréhensible et tout un gag tombe à l’eau. La prosodie est fondamentale.
Quelles sont ses difficultés d’interprétation ?
Mon rôle de Mars n’est pas très long, mais je l’ai accepté avec plaisir car c’est un vrai bonheur de travailler dans l’ambiance chaleureuse et hyper-professionnelle du Capitole. Et puis je retrouve ici des collègues avec lesquels je m’entends bien et, de toute manière, on apprend toujours quelque chose dans une maison comme le Capitole. Ceci étant, je suis dans un trio, avec Vénus et Cupidon au deuxième acte, au cours duquel Offenbach a glissé tout de même dans cette courte intervention pas moins de deux sol aigus ! En fait le rôle est écrit pour un baryton type « Martin », assez aigu. Donc même si l’intervention est courte, il s’agit de la prendre très au sérieux, comme souvent avec ces « petits » rôles redoutables.
Votre Papageno toulousain nous a fait découvrir un véritable artiste, incarnant avec subtilité cet oiseleur. Vous semblez conjuguer avec conviction le chant au théâtre.
Je suis arrivé à l’opéra par amour du théâtre. Je n’arrive pas à isoler le chant et la comédie. Je suis quelqu’un d’un peu timide mais la scène m’attire comme un aimant. Une fois sur les planches, il y a quelque chose qui se débloque en moi et me libère une énergie folle. De suite je me connecte avec le rôle, avec les partenaires, avec le public. C’est pour cela que je fais ce métier. Et puis, chaque soir c’est différent. Cela dit un travail colossal en amont est nécessaire pour vivre cette liberté et ce plaisir.
Quel est le chanteur d’aujourd’hui ou du passé qui vous sert de référence ?
Pour le répertoire italien, certainement Giorgio Zancanaro. Il a 85 ans aujourd’hui mais pour moi c’est un modèle de technique et de profondeur dramatique. Ses Verdi sont tout juste incroyables. Pour un chanteur contemporain ce sera Peter Mattei. C’est le baryton que je rêve d’être en termes de finesse et d’intelligence.
Vers quels rôles souhaiteriez-vous évoluer demain ?
Je le disais tout à l’heure, Riccardo d’I Puritani de Bellini, ce fabuleux rôle qu’est celui de Posa dans le Don Carlo verdien. J’ai la voix et le caractère de Leporello et j’aspire à le chanter, tout comme le rôle de Don Giovanni. Dans le répertoire français, bien sûr Valentin, dans le Faust de Gounod, un rôle plus complexe qu’il n’y paraît. Je l’ai déjà chanté, une fois, mais j’aimerai le rechanter avec un peu plus de maturité. Cela va vous étonner mais, après avoir vu Stéphane Degout ici même dans Wozzeck, je rêve d’incarner la folie de ce personnage.
Quels sont vos projets après Toulouse ?
Guglielmo de Cosi fan tutte à Bruxelles. Je l’ai déjà chanté mais je suis ravi de retrouver ce personnage. Des nouvelles très excitantes arrivent pour la saison prochaine mais je ne peux malheureusement pas vous en dire plus pour le moment 😉.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
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