CRITIQUE, Concert, La Roque d’Anthéron, Parc du château, le 2 août 2023, Beethoven, Schubert, Kantorow, Petrova, Pascal, Despeyroux, Dubost, Sinfonia Varsovia, Nikolitch.
Carte Blanche à Alexandre Kantorow = Maxi Schubertiade.
Ce soir ce n’est pas la réincarnation de Liszt qui est là mais Schubert le compositeur qui avait deux passions : l’amitié autant que la musique. C’est exactement ce qui vient à l’esprit en regardant le programme concocté par Alexandre Kantorow, d’une rare générosité et ne comprenant qu’un morceau en solo.
D’abord Beethoven pour rendre hommage au père bien aimé pour la première partie de la nuit. Le compositeur de la musique du bonheur dans le choix de deux œuvres solaires, heureuses et enthousiasmantes.
Le premier Trio de Beethoven
Le trio en mi bémol majeur porte le numéro 1 mais n’est pas le premier… partition accomplie qui permet aux trois interprètes d’offrir le meilleur d’eux même aux collègues comme au public. Cette osmose entre les trois amis est un régal des yeux et des oreilles. En effet Alexandre Kantorow, Liya Petrova et Aurélien Pascal se connaissent depuis un certain temps et assurent ensemble la direction artistique des Journées Musicale de Nîmes. Nous les y retrouverons avec plaisir. Ce trio encore très mozartien est déjà bien rythmé et avec ses quatre mouvements se dégage du modèle classique. Grâce de cette musique, la complicité entre les musiciens et le silence des cigales semblent faire de ces instants un exemple de bonheur sur terre, c’est la preuve que l’amitié et la musique se donnent la main. Le piano d’Alexandre Kantorow cherche constamment l’équilibre parfait avec les cordes. Ses regards attentifs sont éloquents. Aurélien Pascal que nous avions entendu à Salon de Provence il y a quelques années, a beaucoup changé et en affirmant une personnalité musicale plus sure d’elle il donne à son jeu tout en finesse un peu plus d’éloquence.
Liya Petrova que nous découvrons a une assurance qui donne à son jeu, lumière et brillant mais sans ostentation. De ce fait l’équilibre entre les trois est constamment parfait. C’est la violoniste qui a la position du centre qui fait avancer les choses. La beauté de chaque instrument, les nuances communes, les phrasés complices, la fusion, tout est pur bonheur. Le public est charmé totalement.
Le Triple concerto de Beethoven
Puis avec l’entrée du Sinfonia Varsovia dirigé par le premier violon, Gordan Nikolitch, fait sensation. Le violoncelle monte sur une estrade, la violoniste reste debout. D’évidence nous montons d’un cran. Les sonorités se développent afin de créer un bien bel équilibre face à l’orchestre. Liya Petrova avec un jeu plus extraverti offre des sonorités riches et des nuances subtiles. La beauté des sonorités est un enchantement. Aurélien Pascal qui dans la composition a un rôle plus moteur s’engage avec panache. La beauté des sonorités, la largeur des phrasés et la variété des nuances sont idéales. Ce n’est pas un violoncelle conquérant, au contraire c’est la voix de l’amitié. Et Alexandre Kantorow de couver les deux autres solistes du regard et d’ajuster les équilibres sonores amoureusement. Sourires aux lèvres, il semble vivre un grand moment de bonheur. Il faut dire que cet orchestre est celui avec lequel il a fait ses débuts à 16 ans ! Il est ce soir entouré de vrais amis.
Le public exulte et fait un triomphe à tous les musiciens, solistes comme ceux de l’orchestre. Le Sinfonia Varsovia a été d’une précision admirable. La grande phrase d’entrée si éloquente a donné le frisson a plus d’un, tant le rythme était souple dans une beauté sonore parfaite.
La Wanderer Fantaisie de Schubert
Pour la deuxième partie entièrement consacrée à Schubert, Alexandre Kantorow a choisi de se présenter seul avec la Wanderer-Fantaisie. Il en offre une version brillante et il obtient des sons orchestraux de son piano. Les rythmes peuvent être d’une précision terrible, les couleurs sont d’une beauté renversante et l’énergie est totalement romantique. Alexandre Kantorow se jette dans cette ballade avec audace osant des nuances extrêmes. Les plans sonores sont brillamment mis en valeur à chaque instant. C’est limpide, exaltant et enthousiasmant. Le chant éperdu entrecoupé des moments très rythmés sont opposés de manière sensationnelle. C’est vraiment un piano élégant et audacieux à la fois. L’adagio permet à une émotion délicate de diffuser dans un récitatif éloquent et un chant émouvant. Les coulées perlées sont de la magie pure avec Alexandre le bien heureux. On sent combien il aime cette partition et s’en délecte. Le Presto et le Final sont des moments de pur bonheur sous des doigts si inspirés et virtuoses. La fugue est construite avec puissance et rigueur. Les moyens phénoménaux d’Alexandre Kantorow donnent une dimension démiurgique à ce final. Le public exulte, un piano si riche avec une puissance quasi orchestrale c’est beau et rare. Le public fin connaisseur de La Roque le fait savoir avec reconnaissance.
La Truite de Schubert : Musique de l’amitié
Après ce moment d’émotions l’installation des musiciens du Quintette apportent de la diversion. L’altiste et la contrebasse trouvent leur place au sein du trio et la magie de « La Truite » peut se dérouler. Cette œuvre, la plus jubilatoire de Schubert, apporte toujours une joie particulière partagée par les musiciens et le public. Les amis d’Alexandre ce soir sont partout sur scène et dans le parc. Le pianiste épatant est aux anges et semble particulièrement apprécier les interventions de ses collègues, le violoncelle heureux d’Aurélien Pascal, le violon si beau de Liya Petrova, l’alto moelleux de Violaine Despeyroux, la contrebasse goguenarde de Yann Dubost. On ne peut plus parler simplement de complicité entre eux ou d’admiration réciproque, ce sont l’amitié et la joie de faire de la si belle musique ensemble qui s’incarnent sous les yeux du public réellement aux anges. Que de joie partagée sous le ciel provençal et les arbres augustes. Cette magie de la Roque prend une dimension universelle avec de tels musiciens en fête. Bien évidemment le temps passe trop vite alors que le concert a duré près de trois heures ! Le thème de La Truite si jubilatoire est bissé par les artistes, puis c’est la remise des fleurs et afin de ne pas se quitter tout de suite il se passe un moment de pure magie. L’amitié s’invite avec évidence lorsque Liya et Violaine s’asseyent serrées l’une contre l’autre sur un tabouret, qu’Aurélien s’alanguit sur un autre tabouret et que Yann prend le troisième tout proche du piano. Et Alexandre de chercher dans sa tablette une pièce à jouer à la demande de ses amis qui veulent l’écouter ! Il choisit un Intermezzo à la mélancolie si douce Cela diffuse un grand moment d’émotion que chacun déguste et les musiciens sur scène ne le cachent pas. Oui de vrais amis ont fait de la musique ensemble et pour nous. Le bonheur est total je vous l’assure ! Ce concert enregistré par France Musique a été diffusé et peut être réécouté en ligne, ne le ratez pas, il est certain que cet amour passe les ondes ! Et cette musique est si belle !!
Critique. Concert. 43 ième Festival de la Roque d’Anthéron ; Parc du Château de Florans, le 2 Aout 2023. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Trio pour piano et cordes n°1 en mi bémol majeur, op.1 n°1 ; Triple concerto pour piano, violon et violoncelle en ut majeur, op.56 ; Frantz Schubert (1797-1828) : Wanderer-Fantaisie, op. 15 D. 760 ; Quintette pour piano et cordes en la majeur, op.114 D.667 « La Truite » ; Alexandre Kantorow, piano ; Liya Petrova, violon ; Violaine Despeyroux, alto ; Aurélien Pascal, violoncelle ; Yann Dubost, contrebasse ; Sinfonia Varsovia ; Direction, Gordan Nikolich.
Photos : Valentine Chauvin