Dans son solo « Ce corps qui parle », Yves Marc donne à voir au Théâtre du Grand Rond ce que notre cerveau pense. Fascinant.
Est ce une conférence ? Un one-man-show ? Un spectacle de théâtre ? de mime ? Une performance d’acteur ? Co-fondateur avec Claire Heggen, en 1975, du Théâtre du Mouvement, Yves Marc s’est appuyé sur des travaux de neurosciences et de synergologie et sur son expérience d’acteur gestuel pour créer en 2012 un solo inclassable : « Ce corps qui parle ». D’un côté, son propos «scientifique» en fait un spectacle stimulant où l’on vient puiser des enseignements sur nos gestes inconscients les plus intimes. De l’autre, sa forme interactive, légère et poétique le rend ludique et très drôle. «À quoi voit-on que les gens pensent ?» se demande et nous demande Yves Marc, qui présente son solo à Toulouse, au Théâtre du Grand-Rond.
Sachant que 78% de notre communication est non-verbale, le «conférencier» facétieux, formé à l’art du mime par son maître Etienne Decroux, nous ouvre les portes du langage de notre corps, le «corps-texte» (cortex) qui peut autant soutenir nos propos que les contredire, voire les trahir. Nous avons peu conscience de notre corps tant il est vrai que nous vivons à l’ère de la communication, du contrôle de soi, de l’apparence. Or, c’est oublier que nous sommes sculptés par nos pensées. Du mouvement des sourcils – haut lieu de lecture de nos émotions – à nos 240 000 expressions faciales, en passant par nos gestes d’auto-contacts, de micro-démangeaisons, nos postures, notre marche (anagramme de «charme»), notre corps a sa propre musicalité… Sans compter la main, la partie visible de notre cerveau ! Oui, notre corps est le théâtre de nos états intérieurs.
Nous nous surprenons au cours du spectacle à nous observer : ce doigt qui vient gratter notre oreille, triturer une mèche de cheveu, cette jambe impatiente qui tressaute… Et Yves Marc aussi ! Car rien ne lui échappe, surtout chez les spectateurs du premier rang… Il nous décrypte avec tendresse et humour, décortiquant et commentant nos postures, nos regards, nos mimiques anodines, comme s’il lisait en nous. Metteur en scène, comédien et mime rompu à de nombreuses techniques et pratiques corporelles, il vient appuyer sa démonstration en croquant des figures illustres au vocabulaire expressif singulier : par exemple, Marylin Monroe dont les yeux fixes ne clignaient pas – à l’inverse du Bambi de Walt Disney – ou d’autres encore dont les démarches «parlantes» vous campent avec bonheur un personnage fictif ou réel. On ne marche pas comme Aldo Maccione, comme Jacques Tati ou comme Charlot.
Et son corps à Yves Marc, comment parle-t-il ? Sa grande silhouette svelte de gymnaste, au port de tête de danseur, virevolte, danse, joue de dynamiques variées, s’inscrit dans l’espace scénique. Concevant l’art de l’acteur basé sur la gestualité et non sur une approche psychologique ou textuelle, Yves Marc offre à travers ce spectacle une leçon de théâtre pertinente axée sur l’engagement du corps de l’acteur sur scène et sur la corporéité d’un personnage théâtral. D’autre part, par un effet miroir, il rend compte des divers registres de jeux et d’adresses liés à tous les statuts de l’acteur qu’il endosse : mime, clown, conférencier, conteur, marionnettiste. Comme lorsque, avec une infinie poésie, il nous démontre comment une simple louche, à laquelle il imprime de subtiles inclinaisons et manipulations, peut se mettre à penser, à être douée d’émotions, de tristesse, de doute ou de contrariété…
« Ce corps qui parle » est mené de main de maître par un esprit brillant, interprété par un corps qui sait de quoi il parle… Et il y a fort à parier qu’après ce spectacle, vous ne regarderez plus les autres de la même façon !
Sarah Authesserre
une chronique du mensuel Intramuros
Du mardi 12 au samedi 16 mai, 21h00, au Théâtre du Grand-Rond,
23, rue des Potiers, Toulouse. Tél. 05 61 62 14 85.