Chaque mercredi, nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir un film américain passé inaperçu lors de sa sortie.
On ne sait pas quand l’immense talent de l’acteur Will Ferrell sera enfin reconnu par la critique et le public français, mais cela ne nous empêche pas d’y rendre hommage avec ce film sorti en janvier 2007 dans une indifférence plus ou moins polie. Pourtant, dès les premières images, L’Incroyable destin de Harold Crick distille son étrangeté. On y suit la vie extrêmement réglée d’un falot fonctionnaire du fisc, célibataire dont les habitudes et la ponctualité obsessionnelle façonnent la solitude. Il y a quelque chose de la grisaille des romans d’Emmanuel Bove ou de Franz Kafka chez ce Harold Crick, silhouette anonyme sur laquelle personne ne se retourne, manière de fourmi avançant dans la ville.
Cependant, un matin, en se lavant les dents, notre homme ordinaire entend une voix féminine. Fatigue passagère ? Troubles de l’audition ? Que nenni. Quand elle intervient, la voix – telle une présence omnisciente – décrit les faits, les gestes et les pensées de ce pauvre Harold… Un jour, il reconnaît la mystérieuse voix intérieure. Elle s’échappe d’un poste de télévision et sa propriétaire est une romancière à succès. Harold Crick se rend compte qu’il est le personnage principal du prochain roman de Karen Eiffel. Or, celle-ci a l’habitude de faire mourir les héros de ses livres… Il ne reste plus à cet homme sans qualités qu’à rencontrer sa «créatrice» et à la convaincre de renoncer à son projet. À moins que de profonds changements dans sa propre vie ne réussissent à ajourner sa disparition programmée… On aura compris que L’Incroyable destin de Harold Crick repose sur un scénario d’une originalité rare et qu’il ne s’agit pas ici de filmer un professeur face à sa classe.
Cela n’aurait pu donner naissance qu’à une comédie loufoque tournant à vide sans la gravité et le mélange des genres subtilement instillés par le scénariste Zach Helm et le metteur en scène Marc Forster – Suisse exilé à Hollywood à qui l’on doit notamment Les Cerfs-volants de Kaboul, le James Bond Quantum of Solace ou World War Z. Car, au-delà de la cocasserie naturelle des situations, L’Incroyable destin de Harold Crick se joue des codes et de la facilité. Mise en abyme, interrogation existentielle, peinture mélancolique d’une société en proie à la déshumanisation : le film, à l’instar de ceux de Tim Burton, mais avec une esthétique lorgnant plutôt du côté du Tati de Playtime, ne sacrifie pas ses ambitions ni le tragique de son propos aux exigences du spectacle.
À ce titre la romance qui naît entre Harold Crick et la tenancière rebelle d’une boutique de cookies trouve le juste équilibre entre la comédie sentimentale et le mélodrame amoureux sans tomber dans le pathos. La qualité de l’interprétation – Maggie Gyllenhaal en délicieuse anar, Emma Thompson parfaite en romancière, Dustin Hoffman en professeur de littérature – est pour beaucoup dans la réussite d’un film aussi sensible que singulier. Évidemment, L’Incroyable destin de Harold Crick repose néanmoins sur les épaules de Will Ferrell révélé (comme Ben Stiller, Adam Sandler et tant d’autres) par le show télévisé Saturday Night Live.
On a pu suivre ses compositions ébouriffantes dans Zoolander de Ben Stiller, Retour à la fac de Todd Phillips, Ricky Bobby : roi du circuit d’Adam McKay (peut-être le sommet d’une fructueuse collaboration avec ce cinéaste qui a donné également Présentateur vedette : La Légende de Ron Burgundy, Frangins malgré eux, Very Bad Cops et Légendes vivantes) ou Semi-Pro de Kent Alterman. À l’écart de ces rôles marqués par la démesure et la dinguerie, c’est dans un registre plus en demi-teinte, déjà aperçu avec le Melinda & Melinda de Woody Allen, qu’il s’illustre ici. Si Will Ferrell compte toutefois quelques fans dans l’hexagone, signalons que deux de ses films tournés en 2015, En taule : Mode d’emploi et Very Bad Dads (chapeau au passage aux auteurs de ces titres « français » grotesques) ne sont même pas sortis en salles chez nous.
L’Incroyable destin de Harold Crick
De Marc Forster
Avec Will Ferrell, Emma Thompson, Maggie Gyllenhaal plus
Genres : Comédie, Fantastique, Romance
Durée : 1h 45min