On est sauvé, la grande prêtresse de la critique et des humeurs opératiques qui sévit dans le soi-disant média papier le plus objectif du territoire a décidé de nous éclairer. Ses divines lumières dégoulinant des hauteurs hidalgotesques inondent de leurs faisceaux les gueux, vous savez ces habitants de province qui osent faire un triomphe à une mise en scène pétrie de références historiques d’un certain Michel Fau : au fait, qui c’est celui-là ? il vient d’où ? et ces gueux qui ont, ô sacrilège, fait afficher complet de complet pour les dernières d’un opéra wagnérien ?
Horreur, mais comment ose-t-on convoquer en première ligne, serrées comme des sardines, ces fileuses munies de leur rouet ? Du haut de son Olympe, la Grande Prêtresse aurait préféré sûrement des repasseuses, “sapées“ à la Gustave Caillebotte, ou des techniciennes de surface en jupette nettoyant un alignement de bidets. Plus compliqué à gérer quand on chante : « Tourne, tourne… » Et dire qu’il a fallu prendre, qui sait, une Caravelle ? ou une BB-99669 ? pour assister à ça.
À moins de souffrir d’une déficience neuronale passagère, comment ne pas vouloir remarquer l’adéquation si travaillée entre le moindre geste de chacun des protagonistes et le chant et la musique, si formidable et confondante pourtant quand on en repère les faits. Comment ne pas reconnaître le travail de décors d’un Antoine Fontaine, comment ironiser sur le travail de tous les costumes et maquillages d’un Christian Lacroix, comment ne pas être élogieux sur les lumières de Joël Fabing ? Et pourtant, ce spectacle est TOTAL dès une Ouverture qui dit tout, comme une déflagrante.
Écorchée à vif ? semble-t-il, mais quel supplice n’est-ce pas ? Il a bien fallu reconnaître quand même, et l’écrire, le bonheur d’entendre une telle distribution vocale, en osmose parfaite et découvrir un Hollandais immense de voix et de présence physique, définitivement consacré dès sa prise de rôle, Aleksei Isaev, et un Daland de même, Jean Teitgen, et un Erik de bout en bout, Airam Hernandez et enfin, mais déjà consacrée, une Senta qui a interloqué cette assemblée de gueux, Ingela Brimberg. Hors de question d’oublier une Mary et un Pilote, à savoir, Eugénie Joneau et Valentin Thill.
Il a bien fallu aussi reconnaître la qualité des tenants de la fosse, les musiciens de l’Orchestre national du Capitole galvanisés par un chef qu’ils apprécient fort, Frank Beermann, et en sachant que dès les premiers accords au cor anglais, on s’est dit, c’est parti. Et s’incliner devant le travail de Gabriel Bourgoin avec ses troupes de choristes, quelle leçon enthousiasmante, hommes comme femmes.
Et, sous-jacent, le travail des techniciens de plateau et leurs prouesses avec un plateau si réduit. Ah ! ces deux bateaux sur scène, quelle crise de nerfs sur les claviers parisiens ! Quelle forme d’insulte aussi pour les réalisateurs d’attaquer un tel travail d’ensemble. Mais, cela fait boomerang car les gueux ont fait un véritable TRIOMPHE à tout ça.
Ce parisianisme échevelé fait des dégâts. On a lu des comptes-rendus plus “finasses“. On n’archivera pas le dernier concerné, à coup sûr.