CRITIQUE, concert, Orange, Théâtre Antique le 24 juillet 2023, Gala Verdi, Netrebko, Eyvazov, Orchestre phil. Nice, Mazza.
Anna Netrebko la FANTASTICA
subjugue le public du Théâtre Antique.
Ce théâtre qui a vu et entendu tant de Divas s’est réveillé ce soir comme cela faisait longtemps. L’enthousiasme du public (près de 5000 personnes) tout du long et parfois de manière intempestive, sacre Anna Netrebko en Diva Fantastica, car La Splendida ne suffit plus à honorer dignement une telle artiste. Entendre une telle plénitude vocale dans cette acoustique sensationnelle tient du miracle. Et nombreux sont ceux qui s’en sont rendus compte et l’ont manifesté.
Dès son entrée en scène avec le premier air de Lady Macbeth, elle prend possession de la scène et du cœur du public. La lecture de la lettre suscite une écoute très attentive et ensuite le slancio verdien prend une dimension cosmique dès ses premières phrases chantées d’une voix pleine et vibrante. Car ce n’est pas seulement un timbre unique, une homogénéité sur toute la tessiture et une puissance qui semble infinie qui nous subjuguent. C’est l’instinct musical surnaturel qui lui permet d’aborder avec exactitude toute musique indépendamment des classifications.
La Diva russe possède une voix qui évolue vers de plus en plus d’opulence et de si riches harmoniques inouïes que je crois qu’aucune autre soprano ne peut et n’a pu s’enorgueillir d’une telle évolution. Au stade de sa carrière un sommet semble atteint et le Verdi de la maturité est au cœur de ses possibilités. Son art du chant est tout simplement sidérant. L’élan qu’elle donne à chaque intervention, les infinies nuances, les couleurs multiples tout est d’un Verdi de haute lignée comme au temps historique des Ponselle, Callas, Price, Vischnevskaïa. Et avec cette qualité d’angélisme et de pureté que des voix de cette ampleur conservent rarement, même Caballe a été entachée de certaines duretés avec le temps.
L’autre air du récital est un Pace, pace de la Force du destin qui laisse pantois. La maîtrise de la ligne vocale est parfaite et elle sait donner à chaque Pace une couleur, une nuance différente. C’est un art du chant grandiose qui culmine avec un Pace pianissimo quasi surnaturel face au mur. Cet art de la scène l’habite au plus au point et lui permet de se déplacer avec une aisance parfaite sur toute la large scène, de gravir les marches centrales, de se déplacer étole au vent dans sa première robe rouge et toutes voiles irradiantes dehors pour la deuxième partie qui donne une dimension angélique à son Aïda.
Dans les duos son art du challenge lui permet non seulement d’irradier mais de porter son partenaire à se dépasser. Ainsi le duo d’Aïda avec le ténor Yusif Eyvazov nous offre une osmose délicate. Des voix si larges capables de cette délicatesse dans cette acoustique si fidèle offrent un plaisir suave aux spectateurs. La voix de la princesse Amnéris par Elena Zhikova est hélas trop discrète. Avec le baryton Elchin Azizov dans le superbe duo du Trouvère, Mira d’accerba lacrime, la pulsation intraitable devient diabolique avec des vocalises à pleine voix parfaites. A nouveau ce slancio verdien si rare est hypnotisant. Dans le final du Trouvère de l’acte un et qui termine le concert, les trois voix (soprano, ténor, baryton) s’interpénètrent dans un festival d’harmoniques rares. Quel swing entre ces trois artistes galvanisés par l’immense Anna ! Pour ma part c’est dans le duo final d’Aïda, opéra que les deux chanteurs donnent à Vérone cet été (prochaines représentations le 30 juillet et le 2 Août) que le sommet me semble atteint tant Yusif Eyvazov se hisse au niveau de son épouse et partenaire. Ce chant éthéré et pianissimo reste comme un rêve éveillé. Dans le quatuor de Rigoletto l’équilibre n’a pas été parfait car dès que la voix de Netrebko, même dans une nuance piano se révèle, elle éclipse par sa richesse harmonique toutes les autres alors que le début permettait à la mezzo Elena Zhidkova de s’imposer de manière satisfaisante. Rendons toutefois hommage à Yusif Eyvazov dont la voix de ténor claire et pure fait merveille dans le Duc de Mantoue. Le chant soutenu par une belle émotion lui permet de gagner la sympathie du public dès son premier air. Pour ma part son deuxième air, celui si sombre d’Alvaro dans la Force du destin, n’a pas les ombres si indispensables à décrire la souffrance du héros contre lequel le sort s’acharne. Plus de nuances et de couleurs auraient enrichi l’interprétation trop lumineuse du ténor azerbaïdjanais. Dans le duo du dernier acte de la Force du destin l’opposition de couleurs avec son compatriote le baryton Elchin Azizov en Carlo fonctionne parfaitement offrant un beau succès aux deux voix masculines. Précédemment le baryton jouant de sa voix sonore n’a pas semblé vouloir rendre les subtils tourments de Renato dans son air de l’acte deux du Bal Masqué, Eri Tu. Un son généreux et un chant assez martial a semblé assez hors contexte dramatique même si dans cet air ses moyens considérables resplendissaient. Il nous reste à rapidement évoquer la mezzo-soprano Elena Zhidkova qui de toute évidence nous a paru souffrante et ne disposait pas de tous ses moyens ce soir. Nous reparlerons d’elle dans des conditions plus normales.
L’orchestre de Nice et le chef Michelangelo Mazza ont tout fait pour être à la hauteur de l’événement, sans génie mais avec efficacité. Le ballet extrait d’Othello est certes plus apte à mettre en valeur l’orchestre, il ne m’a pas charmé outre mesure. Des petits décalages n’ont pas été évités par le chef italien avec un ténor parfois alangui sur les notes longues et un baryton parfois trop pressé. Seule Anna Netrebko telle un caméléon a un sens du tempo surnaturel qui avec un art félin lui permet de toujours être exacte.
Voilà un Gala Verdi de haute tenue galvanisé par une Anna Netrebko en très, très grande forme, irradiant de théâtralité verdienne et de charme : Anna la Fantastica !
En bis tout ce petit monde, public en frappant dans les mains a dégusté un Brindisi de la Traviata rappelant quel a été le succès de Netrebko dans ce rôle aujourd’hui abandonné par la Diva.
Espérons que dans les années prochaines elle offrira aux chorégies d’Orange un de ces immenses rôles verdiens qui conviennent si idéalement à ses moyens vocaux et son art du chant. Sinon il nous faudra la suivre ailleurs, à Vérone ? …
Critique. Concert. Chorégies d’Orange. Théâtre antique, le 24 juillet 2023. Gala Verdi. Airs duo, trios, quatuor, extraits d’opéras de Verdi. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Macbeth, Rigoletto, Il Trovatore, La Forza del destino, Un Ballo in maschera, Aïda : ext. Anna Netrebko, soprano ; Yusif Eyvazov, ténor ; Elena Zhidkova, mezzo-soprano ; Elchin Azizov, baryton. Orchestre philharmonique de Nice. Micelangelo Mazza, direction.
TOUTES PHOTOS : Philippe Gromelle
Critique écrite pour Classiqenews.com