C’est peut-être lors des défis qu’il se lance que Bertrand Chamayou révèle avec le plus d’éclat l’étendue de ses talents de pianiste, de musicien authentique. L’intégrale du cycle des Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus d’Olivier Messiaen n’est pas des moindres. Ce nouvel album de l’enfant de Toulouse vient à point confirmer l’étendue d’une imagination musicale féconde, d’un sens aigu de l’analyse, tout comme de la synthèse. L’interprète, particulièrement à l’aise dans les répertoires contemporains, nous livre ici une réflexion autour d’une œuvre majeure du XXème siècle qu’il accompagne judicieusement d’un bouquet bienvenu de partitions hommages.
On se souvient avec émotion du chalenge qu’a constitué pour le pianiste l’exécution de l’intégrale des Années de Pèlerinage de Franz Liszt au cours d’une même journée. Autre défi, celui du concert-spectacle donné en 2010 au musée Les Abattoirs de Toulouse, dans le cadre du festival Piano aux Jacobins et consacré aux musiques les plus actuelles et les plus diverses. Rappelons en outre que Bertrand Chamayou, qui offre dans le livret de cet album un très beau et très éclairant commentaire, est un familier de cette œuvre dont il avait donné une interprétation marquante en 2009 dans la cadre du festival Messiaen du Pays de la Meije.
Le défi s’avère ici concentré sur une même idée musicale. Celle qui a guidé toute la production d’un Olivier Messiaen, à la fois profondément religieux, passionné d’ornithologie et affecté de synesthésie, ce phénomène neurologique qui associe fortement sons et couleurs.
Si le contenu spirituel du cycle des Vingt Regards se fonde sur les paroles de la Bible et des Evangiles, les couleurs et les chants d’oiseaux n’en sont pas absents. L’écoute continue de cette brillante et profonde interprétation révèle tout un monde spirituel et musical d’une richesse infinie qui touche tout autant les croyants que les non croyants.
De la sérénité de la première pièce Regard du Père à l’exaltation finale de Regard de l’Eglise d’amour, la palette expressive sur laquelle Bertrand Chamayou puise les couleurs de son toucher éblouit par son invention et sa variété. La perfection technique se place ici au service d’un texte musical d’une richesse inouïe. Le scintillement associé au mystère du Regard de l’étoile, la tendresse mais aussi l’inquiétude qui émanent du Regard de la Vierge, en disent long sur cette aptitude à multiplier les atmosphères les plus diverses. Le charme extatique du Baiser de l’Enfant-Jésus adoucit comme un baume la terrifiante Parole toute puissante.
Une fois encore on admire la subtilité avec laquelle l’interprète adapte son toucher, intense ou léger, à l’épisode évoqué. On admire surtout le déploiement sans limite de la part du pianiste des couleurs d’une écriture aussi riche que raffinée.
En outre, Bertrand Chamayou insère cette exécution magistrale entre cinq pièces contemporaines dédiées par leurs auteurs à Olivier Messiaen. Live Ear Emission !, du jeune compositeur et pianiste américain Anthony Cheung, s’avère d’une ardente virtuosité dans le style même de Messiaen. Rain Tree Sketch II, du grand Tōru Takemitsu disparu en 1996, s’écoute comme une belle méditation poétique. Alors que la plus fine transparence caractérise l’écriture de Cloche d’adieu et un sourire… de Tristan Murail, la miniature …humble regard sur Olivier Messiaen du vétéran hongrois György Kurtág évoque une tendre confidence. Enfin le Britannique Jonathan Harvey (disparu en 2012), avec son Tombeau de Messiaen, mêle au piano des sons électroniques dans un langage par instants cataclysmique.
Bien entourée par ces hommages, l’interprétation des Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus par Bertrand Chamayou marque l’histoire de l’enregistrement de cette œuvre majeure, d’autant plus que sa qualité technique est à la hauteur de celle de l’exécution.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Bertrand Chamayou sera en concert le jeudi 29 septembre 2022 à la Halle aux Grains (20h00), dans le cadre du Festival International Piano aux Jacobins
Bertrand Chamayou • ERATO / Warner Classics