Somptueux programme de concert dirigé par le chef espagnol Josep Pons, grand habitué de la Halle aux grains, à la tête de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. C’est pour deux dates, le jeudi 6 février et le vendredi 7, à la Halle, 20h. Trois œuvres d’inspiration ibérique de Maurice Ravel (1875 –1937), Alborada del gracioso, Rapsodie espagnole et, …un certain Boléro. Se glissera en seconde position, Nuits dans les Jardins d’Espagne de Manuel de Falla, musicien espagnol (1876 – 1946)

Maurice Ravel photo vers 1915
Les trois œuvres de Ravel vont vous permettre de découvrir des instruments, et surtout des percussions que l’on rencontre plutôt rarement ! Ravel, le natif de Ciboure, en plein pays basque, si près de la frontière espagnole d’alors, Ravel qui aimait tant la musique, mais pas l’éloquence, ni l’effet. À toutes les mauvaises habitudes d’écoute, léguées par le romantisme et le symbolisme, il opposait d’instinct un discours ramassé et sans complaisance, qui parut le comble de l’orgueil. Comme Mozart, de la musique, il se bornait à dire, « qu’elle peut tout entreprendre, tout oser et tout peindre, pourvu qu’elle charme et reste enfin et toujours de la musique. »
Le concert débute avec Alborada del Gracioso de 1919, (« aubade du bouffon »), donné en version pour orchestre et qui correspond à la quatrième pièce sur cinq d’un recueil pour piano intitulé Miroirs. Cinq comme les cinq amis de Maurice Ravel qui formaient avec lui le groupe surnommé “le cercle des Apaches“. D’une durée de 7 à 8 minutes, c’est une réussite complète pour cette évocation aux couleurs rutilantes, mettant en œuvre toutes les ressources de l’orchestre avec une frénésie grinçante : crotales (!!!), castagnettes, harpes, xylophone recréent une Espagne palpitante et excessive.

Josep Pons © Igor Cortadellas
Don Manuel Maria de Falla est né à Cadix fin 1876 d’un père originaire de Valencia et d’une mère catalane. C’est à partir de leur installation à Madrid en 1896 qu’il penche vraiment vers le piano et cinq ans plus tard qu’une heureuse rencontre l’amène vers la composition. Parti pour Vichy, le hasard le conduit à Paris. Des quelques jours envisagés, il y restera sept ans ! 1907, rencontre avec Debussy, Ravel par l’entremise du pianiste virtuose Ricardo Viñes, Dukas qui apprécie son premier opéra La Vie brève et envisage de monter à l’Opéra-comique.

Manuel de Falla esquissant un sourire !
Il va donner lui-même le sous-titre d’Impressions symphoniques pour piano et orchestre à ces Nuits dans les jardins d’Espagne, trois mouvements, à savoir Au Généralife (en arabe, jardin élevé) : allegro tranquillo e misterioso suivi de Danza lejana ( Danse lointaine) : Allegro giusto et enfin, (en los Jardines de la sierra de Cordoba, Dans les jardins de la sierra de Cordoue) : Vivo, enchaîné au précédent. Durée totale de l’œuvre, environ 23 minutes.

Malagueña ( Rapsodie espagnole) Los Angeles 1921 Martha Graham et Ted Shawn
De 1907, la première grande œuvre orchestrale du compositeur, la Rapsodie espagnole, d’une durée de seize minutes environ, est une leçon de choses côté instrumental. Vous découvrirez le sarussophone, mais aussi, tambour de basque, tam-tam, célesta, xylophone, triangle et castagnettes, etc…En quatre mouvements, Prélude à la nuit suivi de Malagueña puis Habanera (Assez lent et d’un rythme las) elle se termine par Feria (plutôt animé), véritable enchantement sonore, sommet d’une partition magistrale grâce au don exceptionnel question couleur instrumentale de son compositeur.
« C’est dans la Rapsodie espagnole, que retentit pour la première fois cet orchestre nerveux, félin, dont la transparence, la netteté et la vigueur sont exemplaires ; dont la sonorité tout ensemble soyeuse et sèche est comme la marque de Ravel. Aucune instrumentation n’avait encore obtenu de tutti plus cassant, de piani plus légers. Géomètre du mystère, Ravel sait doser maintenant les impondérables de la substance sonore sur les balances les plus sensibles et les plus justes du monde »

Portrait de Maurice Ravel vers 1930 – Ludwig Nauer
Le 22 novembre 1928, salle comble, le public de l’Opéra de Paris sait-il qu’il assiste à la création d’une des pages les plus célèbres de la littérature orchestrale du XXè siècle, le fameux Boléro, musique pour un ballet commandée par la danseuse et mime russe, Ida Rubinstein amenée à Paris par Diaghilev, un an avant la triste fin de ce dernier. Ravel est alors en Espagne, et ne sera présent que le 29. Au même moment, un certain Paul Valery écrivait « Toute belle œuvre est chose fermée », et on apprend qu’à la Cité de la musique à Paris, la Philharmonie de Paris monte une expo intitulé “Ravel Bolero“ jusqu’au 15 juin 2025 pendant que, paraît-il, dans le monde entier, un Boléro commence toutes les quinze minutes !! On comprend mieux les batailles successives pour les droits des héritiers du compositeur, sans descendance directe !.
La nomenclature orchestrale de ce Tempo di Bolero moderato assai (tempo de boléro très modéré) est trop longue à énumérer avec ces différents, clarinettes, trompettes, ou saxophones, et même hautbois avec le hautbois d’amour ! Tout ça pour une pièce n’utilisant aucune forme connue, aucun développement thématique, aucun luxe harmonique, hormis les deux mélodies voisines qui se développent sur le rythme d’un boléro et se répètent indéfiniment, avec un « caractère obsédant et horrifiant » devant rendre l’œuvre « insupportable », dixit Maurice Ravel. Les seules variations sont apportées par les changements de timbres et le continuel crescendo qui définit – coup de génie sans égal – la dynamique de l’œuvre. Surpris par le succès de son « Boléro », Ravel ironise : « Je n’ai écrit qu’un chef d’œuvre dans ma vie, et il n’y a pas de musique dedans. » Pourtant, sans concessions, il y a la vie.
Quant à la durée, 15 minutes ou moins, c’est trop rapide, 18’ et plus, c’est beaucoup trop lent ! Dur le tempo ! On dit, entre 16 et 17. Le percussionniste à la caisse claire est bien le second chef d’orchestre, si ce n’est le premier, de ce morceau qui constitue en lui-même une véritable école d’orchestration. Rude tâche pour Thibault Buchaillet.

Thibault Buchaillet © OnCT / Pierre Beteille
Avec un décor d’Alexandre Benois, très inspiré de Goya, « Une posada, à peine éclairée. Le long des murs, dans l’ombre, des buveurs attablés, qui causent entre eux ; au centre, une grande table, sur laquelle la danseuse essaie un pas. Avec une certaine noblesse d’abord, ce pas s’affermit, répète un rythme… Les buveurs n’y prêtent aucune attention, mais, peu à peu, leurs oreilles se dressent, leurs yeux s’animent. Peu à peu, l’obsession du rythme les gagne ; ils se lèvent, ils s’approchent, ils entourent la table, ils s’enfièvrent autour de la danseuse… qui finit en apothéose. Nous étions un peu comme les buveurs, ce soir de novembre 1928. Nous ne saisissions pas d’abord le sens de la chose ; puis nous en avons compris l’esprit. »
Henri de Curzon (musicologue, mort en 1942)
La première française du Bolero en concert, ce fut le 14 janvier1930, dirigée par Maurice Ravel à la Salle Gaveau avec l’orchestre des Concerts Lamoureux.
Orchestre national du Capitole