Holopherne ne pouvait pas se douter d’un tel succès, sûrement, ni Judith, ni Abra. Ni Marc Labarbe ! qui entre dans la légende, ayant su mettre au service de sa passion toute l’humilité et la perspicacité amenant à cette conclusion de rêve, pour lui comme pour les heureux possesseurs de cette toile roulée.
La représentation de cette décapitation, d’un homme par une femme, reste un sujet fort prisé alors, sans parler des tableaux sur le même thème qui ont pu être détériorés, certains brûlés en totalité, donc détruits. Il en reste de magistrales exécutions que le livre édité pour l’occasion, intitulé Caravaggio, Judith et Holopherne, vous présente.
Mais, que la traque de la peinture réalisée par Michelangelo Merisi da Caravaggio ait pour point final la Halle aux Grains de Toulouse, un 27 juin 2019, à 18h, voilà bien un sensationnel événement. Le coup de marteau accompagnant le “adjugé“ du maître des lieux, Marc Labarbe, sera HISTORIQUE. Quand on vous dit que, tout est parti, paraît-il, d’un petit coup d’éponge sur la pupille de l’œil droit d’Abra !!
Si l’on excepte le Salvator Mundi de Léonard de Vinci, dernièrement vendu, il n’y a pas de tableaux dits anciens dans ce Topten des tableaux les plus chers vendus. Seules figurent des œuvres du XIX et du XXè vendues au cours du XXIè. Notre Judith toulousaine pourrait donc fort bien se classer très honorablement. Et même davantage au titre de chef-d’œuvre daté du Seicento soit notre XVIIè. Les estimations pour certains experts sont les plus folles car certaines fortunes peuvent investir n’importe quel montant. Fortune russe, américaine, chinoise, arabe, certains états, des fortunes nées dans les pays émergents, etc…… Des sommes vertigineuses ont été dépensées pour des Picasso, Modigliani, Basquiat, Warhol Gauguin, Munch. Pourquoi pas un Caravage. Ce serait en Angleterre, on pourrait ouvrir des paris sur le montant de l’adjudication ! Dommage…
D’aucuns se posent peut-être la question du pourquoi en ce temps-là de si nombreux tableaux avec de tels sujets !! Histoire vraie ou imaginaire, peu importe ? Le résultat est que cet acte héroïque de la jeune veuve magnifique sur un général ivre de désirs dans tous les sens du terme, ce fait a inspiré bon nombre d’œuvres aussi bien en peinture que sculpture et dessins. Et, c’est aussi un thème en musique et littérature, sans oublier, mais à un degré moindre, théâtre et cinéma. Maintenant il faut s’attarder sur le comment traduire en peinture de telles images. En ce temps-là, si l’on peut dire, une certaine fascination pour la pitié et la terreur s’étend tout au long du siècle, ces deux passions sur lesquelles se fondent les racines de la tragédie, en Italie comme surtout en France d’ailleurs. Que ce soit les récits d’un certain écrivain, Jean-Pierre Camus, entre autres, l’un de ses ouvrages, Les spectacles d’horreur. On comprend mieux alors, à sa lecture, l’intérêt obsessionnel pour les épisodes sanglants de l’histoire antique. Pareil avec les tragédies de Prosper Jolyot de Crébillon, plus simplement “Crébillon père“ qui a su, paraît-il, montrer la perversité humaine dans toute son atrocité. Les passions les plus sanglantes et les plus révoltantes sont disponibles. En France, Charles le Brun n’avait pas son pareil pour exprimer par gravures et peintures toutes les figures de la passion. Et en Espagne, d’abord, puis en Italie ensuite, Naples évidemment, José de Ribera aime bien les scènes de cruauté qu’il semble peindre avec délectation.
Pendant ce temps, à Rome, c’est de visu que l’on peut se distraire. Un lieu, en effet, était réservé aux exécutions capitales, comme ailleurs, d’ailleurs. Pas tout à fait une place, disons une rue. Et ce, devant une petite église. Une estrade était installée pour le public, et en particulier pour les enfants, aux fins d’instruction morale ! Mais les meilleures places étaient aussi réservées aux artistes, peintres et sculpteurs, afin qu’ils puissent mieux observer les spasmes et les expressions des suppliciés divers, les traits de leur visage, la façon dont le sang pouvait jaillir et la tension des corps dans les souffrances et la plus ou moins lente agonie. Leçon de choses sur le vif. On raconte que le 11 septembre 1599, la jeune noble romaine Béatrice Cenci, condamnée pour le meurtre de son père, y est exécutée, en même temps qu’une partie de sa famille, jugée comme complices. On peut penser que Caravage assistait à cette mise à mort pour qui, seul le vrai était à considérer, et la représentation de la mort constituant pour Merisi comme une sorte de stimulant. Toutes les déformations subies par le visage sont sous l’influence des sentiments extrêmes : terreur, colère, stupeur, douleur, etc…Tous ces éléments se retrouvent rigoureusement dans le tableau que le Caravage est en train d’exécuter en 1598-99, sa première Judith tranchant la tête d’Holopherne. Respectant à la lettre les indications du texte biblique, il n’a pas dû manquer un seul instant de ces exécutions très prisées. Il saura s’en resservir quelques années plus tard, preuve irréfutable depuis 2019, on n’en doute pas.
Avant de revenir à notre Caravage toulousain, quelques mots sur le tableau Judith décapitant Holopherne du Caravage, le plus connu, celui admiré déjà par des millions d’intéressés ou supposés. Un tableau autographe reconnu du Caravage qui ne signait pas ses tableaux. Une composition admirable exécutée dans une technique parfaite. Il est à Rome, Galerie Nationale d’art antique, Palais Barberini. Il l’aurait conçu dans les premiers mois de 1599. C’est un travail du jeune peintre pas encore trentenaire. Il est mentionné comme une « Judith qui coupe la tête d’Holopherne, (peinte) pour les seigneurs Costi », soit le banquier Ottavio Costa. L’historique du tableau jusqu’à son arrivée au Barberini a été reconstitué en 1989. Il est dit comme étant le premier vrai tableau « d’histoire » de Caravage. Il fut découvert en 1951 lors d’une grande expo à Milan. À propos de son iconologie, les experts insistent surtout sur la signification profondément religieuse du tableau, y voyant une sorte d’exaltation de la victime, comme une allégorie de la vertu qui triomphe du mal, et plus précisément un symbole de l’Église qui, au nom du Christ, remet les péchés et détruit le démon en l’occurrence Holopherne. Quant à la servante, elle représenterait l’humanité mortelle, pouvant atteindre à l’immortalité par l’entremise de la grâce. Elle semble une allusion à La Vieille de Giorgione que Caravage a peut-être connu. Des considérations que l’on peut évidemment attribuer aussi au tableau toulousain. Dans celui de Toulouse, il y a une force incroyable dans la représentation des rides et de ce magnifique goitre !! Les connaisseurs auront remarqué que ce n’est pas une décapitation mais bien un égorgement ! Le sang jaillit à flots de l’artère carotide et des artères vertébrales tranchées. Il a été écrit : « L’image est extrêmement sanglante, mais elle a le calme de l’inexorable. » !
On précise, qu’à ce jour, en 2014 !! aucune copie de celui-ci n’est connue. L’œuvre a été judicieusement acquise en 1971 par l’Etat italien pour 230 millions de lires soit l’équivalent de ……2 petits millions d’euros!!! Pour la découverte toulousaine, le tarif ne sera pas le même, on en est persuadé.
Avec le Caravage, on sait l’immense problème des attributions, les deux clans des « restrictionnistes » et celui des « extensionnistes » s’affrontant rageusement dès la moindre découverte sérieuse, les tableaux authentifiés originaux dits autographes, ceux attribués à par certains experts, ceux simplement attribués à, et la nova quæstio des “doubles“ : Judith 1599 n’a toujours pas de “double“ mais la Judith 1607 de Naples avait un original !
Revenons à Toulouse. C’est l’événement chez tous les proches du tableau. Les points communs avec la Judith du tableau accroché à un mur d’une banque de Naples – Banco di Napoli – finissent par donner des sueurs froides. Les vidéos vous informent. Sur les toiles du Caravage, on sait tout grâce aux examens scientifiques, les mêmes que la toile découverte aura subis, que ce soit la nature du support, la couleur de l’apprêt, son nombre de couches, leur nature, ce qu’elles contiennent. Comment tous ces composants ont pu être liés. Il faut repérer les incisions. Enfin, la palette de couleurs et même la provenance de certaines. Ce sont certains pigments rouges qui, retrouvés dans d’autres tableaux, aide à situer celui-ci lors de sa fuite à Naples et son premier séjour vers 1607. Sans oublier les traces du pinceau, comment il est passé ! quand il s’attarde ! quand il roule la pointe ! quand il le lève,……Au bilan, finalement, peu de couleurs et surtout pas de bleu, “le poison des couleurs“ comme il l’appelle, sauf pour peindre La Madone.
Les scientifiques passés, toutes les radiographies discutées, comme pour les parfums, il y a les nez, ici, nous avons les « yeux », un peu comme pour les pièces d’arts premiers. Plusieurs « yeux » reconnus pour ce peintre ont dit oui, tout en regrettant que l’œil le plus aguerri et dit, exceptionnel ne puisse donner son avis : Roberto Longhi. Il est décédé en 1970. Mais, depuis que le tableau a été nettoyé, rassurez-vous pas au Karcher, de nouveaux avis ont été émis qui ont permis d’acquérir une certitude au bout de deux ans de restauration : le tableau est bien de Michelangelo Merisi da Caravaggio dit Le Caravage. Mieux que ça, le tableau napolitain serait bien la copie de l’original disparu, qui serait donc retrouvé à Toulouse !! le grenier hébergeait l’original d’une toile du Caravage sûrement peinte lors de son premier passage à Naples. Comme le soupire Me Labarbe : un rêve éveillé depuis quelque “cinq ans“. Entre ça et les sceaux et rouleau impériaux, il faut avoir un cœur “bien accroché“.
Classé trésor national, le délai de trente mois étant écoulé, la restauration s’étant révélée fort longue, il y a de fortes chances que le tableau parte hors de nos frontières, la somme qui se révèlera sûrement nécessaire étant hors de portée de nos musées nationaux mais, pas de certaines fortunes personnelles. Un certain Bernard Arnault, pour ne citer que lui, pourrait décider de se faire ce petit cadeau, cadeau indirectement à la France. Entre temps, Notre-Dame de Paris et sa charpente sont passées par là. Cependant, les dizaines de millions peuvent venir d’horizons très divers. Qui sait ? l’État italien peut souhaiter récupérer un Caravage …, une autre Judith mais bien plus chère que la précédente ! Pas tellement le moment tout de même pendant que les ponts autoroutiers s’effondrent.
En tous les cas, c’est un « sacré »événement dans le monde de l’art qui aura donc lieu à……Toulouse. Merci aux propriétaires et à Me Marc Labarbe. Et tant mieux pour les heureux possesseurs de la toile qui n’auront pas perdu la journée et qui pourront remercier les ancêtres. Au vu de la somme, on peut leur suggérer un don généreux à notre Musée des Augustins qui en a fort besoin, et ce n’est pas une litote. Il reste à élucider une partie du CV de la toile depuis Amsterdam jusqu’à, jusqu’où au fait ?!
📍 Judith et Holopherne ou, pleins feux sur les dangers des charmes féminins
Caravagio • Judith et Holopherne
jeudi 27 juin 2019 • Halle aux Grains