Quartier Saint-Cyprien, l’atelier de Thierry Messiez-Poche est un refuge d’odeurs anciennes. Depuis 47 ans, cet ébéniste restaure et ressuscite des meubles d’un autre temps. Entre passion et désillusion, le parcours de ce Parisien devenu Toulousain raconte l’histoire d’un métier en voie de disparition, et celle d’un homme qui n’a jamais cessé d’aimer ce qu’il fait.

Thierry Messiez Poche © Kévin Mouveaux
De la chimie au bois : un virage imprévu
Thierry Messiez-Poche n’était pas destiné à devenir artisan. Né à Paris, il se rêvait chimiste, « Mais les maths n’étaient pas mon fort », confie-t-il dans un sourire. L’échec d’un rêve scientifique l’oriente vers des études de lettres, un domaine qui attise à l’époque sa curiosité. Les débouchés étant soit l’écriture, soit l’enseignement, deux branches qui ne plurent pas à Thierry, il se ravisa à nouveau. C’est alors à 16 ou 17 ans qu’il bifurque. Pas par révélation mystique, mais parce qu’un jour, un collègue plombier avec qui il servait dans un bar lui souffle qu’un ébéniste cherche quelqu’un. Il s’y rend. Il est pris. Et tout commence.
C’est donc dans l’atelier d’un autre que Thierry découvre ce qui deviendra sa vocation. « J’ai su que je voulais devenir ébéniste et faire quelque chose de mes mains à ce moment-là, en entendant parler de cette place libérée », se souvient Thierry Messiez-Poche. Une initiation sur le tas, à la dure, mais formatrice. Il n’a jamais quitté le métier depuis.
Paris, Toulouse : itinéraire d’un ébéniste amoureux
Il passe seize années à Paris, notamment dans le fameux quartier des ébénistes, quartier historique du métier depuis le Moyen Âge. Aujourd’hui, le nom est presque désuet, les architectes et designers y ont remplacé les artisans de la sorte. Ce changement de paysage, Thierry l’a quitté pour d’autres raisons. L’amour, d’abord. Il rencontre une femme qui souhaite devenir toulousaine pour des raisons professionnelles, et Thierry décide de partir avec. Il vend ses parts, déménage et repart de zéro.
C’est dans un atelier de 15 m² qu’il reconstruit patiemment sa clientèle. Un an et demi plus tard, il s’installe au 34 rue des Teinturiers, en plein Saint-Cyprien, autrefois un quartier davantage ouvrier. L’espace est plus grand, mais l’approche reste la même : une restauration jusqu’à une remise à neuf.
Restaurer, c’est comprendre
Car Thierry n’est pas un créateur de mobilier, même s’il lui est arrivé de transformer un piano en bureau ou de concevoir des bibliothèques. Il est avant tout un restaurateur. Et plus qu’un restaurateur, un penseur du bois. « Aucun meuble n’est pareil. Il faut réfléchir avant de commencer, imaginer le résultat final. Sinon, on fait des erreurs », prévient l’ébéniste.
Et les meubles qu’il reçoit sont parfois des pièces historiques qui se font rares, comme des créations du Second Empire, de l’époque Louis XV ou Louis XIV, ornées de matériaux aussi nobles qu’étonnants. « Certains sont décorés de métaux, d’écailles de tortue, de peaux de raie ou de poissons… », continue Thierry Messiez-Poche. Pour chacun, le diagnostic est essentiel. Pas question de trahir l’objet. Un meuble peut lui demander quelques heures, ou plus d’une centaine, notamment lorsqu’il arrive en morceaux. Ce pourquoi « il faut des outils adaptés en tout genre, des scies de toutes sortes, des étaux de tailles diverses pour que la colle prenne, des raboteurs… je ne compte plus les outils », indique l’artisan.
Le cœur au métier, pas à la valeur
Certains meubles qu’il restaure valent une fortune, « le plus cher devait tourner entre 40 000 et 50 000 euros. Mais qu’importe, je travaille de la même manière. Je ne fais pas ça pour l’argent », indique-t-il. Une déclaration d’amour à son métier, qu’il décline pourtant avec une tendresse particulière pour les petits objets tels que les malles, mallettes, boîtes à pharmacie anciennes.
Mais dans les paroles du maître artisan s’échappe une forme de mélancolie. Le goût pour les meubles anciens se perd. Les modes passent, les gens n’achètent guère de meubles en brocante, car « quand on achète une pièce rare 300 euros et qu’on doit payer 800 euros pour la restaurer, les gens ne veulent plus », avance Thierry. La tendance s’est inversée : la restauration coûte plus que l’achat.
Thierry, survivants d’un métier en péril
Ce constat, Thierry le répète avec désarroi : « Il y avait une quarantaine d’ébénistes dans le centre-ville de Toulouse il y a une quarantaine d’années, tandis qu’aujourd’hui, nous ne sommes plus que trois », c’est inéluctable, pèse l’artisan. Une réalité crue, à laquelle il oppose une autre, celle des jeunes attirés par l’ébénisterie. Il les accompagne, leur fait passer le CAP, diplôme qu’il n’a jamais eu lui-même et qui pourtant ne l’a pas empêché d’exercer, et de devenir un maître artisan.
Son message à la relève est clair. Aimer le métier ne suffit pas, il faut s’accrocher, accepter que ce soit plus dur qu’on ne le croit, surtout par les temps qui courent.