Sorry We Missed You, un film de Ken Loach
Nous avons l’habitude d’être secoués par les films de Ken Loach. Son dernier opus va encore plus loin. Il n’est que « d’entendre » le silence dans la salle après que la dernière image ait disparu de l’écran. Ce citoyen britannique, aujourd’hui largement octogénaire, marxiste convaincu, a fait de la classe ouvrière, et de sa défense, un sujet de prédilection. Ses héros sont tous des laissés-pour-compte. Son dernier opus ne faillit pas.
Nous voici à Newcastle, dans le Nord Est de l’Angleterre. Aujourd’hui. Ken Loach pose sa caméra au cœur d’une famille qui peine à joindre les deux bouts. Abby s’éreinte à parcourir la ville un maximum de fois par jour en tant qu’assistante auprès de personnes âgés. Ricky vient de trouver un travail comme chauffeur-livreur indépendant dans une boîte travaillant entre autres avec Amazon. Leur fils Seb, artiste graffeur dans l’âme et en pleine crise d’adolescence, enchaîne les fugues, les absences à l’école, voire plus grave encore. Seule leur petite fille semble tenir le coup.
Ricky se retrouve donc au cœur de cette nouvelle exploitation de l’être humain dénommée l’ubérisation. Travailler plus pour gagner plus. Si ce concept libéral s’avère exact, la réalité plonge ses pratiquants dans un esclavage qui fait frémir. C’est cela que nous raconte Ken Loach. Sans économie aucune et servi par un cast de débutants au cinéma qui ajoute à l’authenticité des regards, le dernier opus de ce multi-récompensé au plus haut niveau est littéralement glaçant. Des entretiens décérébrés avec un manager vacciné tous les matins au virus du profit immédiat, à cette scène hallucinante dans un centre de première urgence après le passage à tabac de ce pauvre Ricky, en passant par la foultitude d’accueils plus que divers des clients livrés, le panorama, parfaitement documenté, pour aussi varié soit-il, se révèle d’une noirceur terrifiante. Et apparemment sans espoir aucun. Si ce n’est d’arrêter de commander via internet… A moins qu’il ne soit déjà trop tard ! Sans être révolutionnaire, la caméra de Ken Loach est toujours aussi juste et bienveillante. Pas d’effets de style, mais une profondeur de ton en osmose parfaite avec le sujet traité, marque de fabrique de ce cinéaste de la classe ouvrière.