Parce que rien n’éclaire mieux nos vies que leurs bandes-sons, Culture 31 s’intéresse aux chansons qui ont marqué l’Histoire, la grande comme la petite.
« J’ai une mauvaise nouvelle. On a rejeté le générique proposé par l’agence de graphisme. Je n’aimais pas ce qu’ils avaient fait. Tu vas devoir composer devant un écran noir. »
« Imagine une bougie, une allumette et boom ! La musique démarre. »
« Fais-moi un truc vraiment excitant. Un truc léger, pas comme de la musique d’ambiance, trop sérieuse. Un truc un peu ironique, avec beaucoup de rythme, de vivacité. Donne-moi un truc rythmiquement excitant. Tu es libre de faire ce que tu veux.»
C’est en termes approchants que, durant l’automne 1966, le producteur Bruce Geller explique au compositeur Lalo Schifrin ce qu’il attend de lui pour son nouveau projet télévisuel.
Geller précise : « Je veux que les gens qui vont se chercher un coca-cola dans la cuisine et entendent la télé dans leur living-room s’écrient : « Ça y est ! Mission: Impossible commence ! ».
Si peu d’indications façonneront le thème le plus inoubliable du petit écran.
Il faut dire que Lalo Schifrin n’est pas un compositeur parmi d’autres. Né en Argentine en 1932, il est fils du premier violon de l’Orchestre Philharmonique de Buenos Aires. Son apprentissage musical débute à six ans, au piano d’abord, avec Enrique Barenboim, père du chef d’orchestre Daniel Barenboim.
Toute l’enfance, toute l’adolescence, il approfondit sa connaissance du piano, du violon, de l’harmonie avant d’obtenir, à vingt ans, une bourse d’étude au Conservatoire de Paris, où il est l’élève d’Olivier Messiaen.
Étudiant le jour, Schifrin joue dans les clubs la nuit et se mêle à la crème de la scène jazz internationale : Eric Dolphy, McCoyTyner ou John Coltrane. En 1955, c’est lui qui représente l’Argentine au Festival de Jazz de Paris aux côtés d’Astor Piazzolla.
De retour à Buenos Aires au début des années 60, il crée son premier orchestre : un big-band jazz de seize musiciens. Lors d’une soirée, Dizzy Gillespie l’entend jouer au piano ses propres créations. Impressionné par ses talents de compositeur et d’interprète, le jazzman lui offre de devenir son pianiste et arrangeur. Trois années au sein de son quintet conduiront le jeune homme de New York jusqu’aux collines Hollywoodiennes.
A l’automne 1966, Lalo Schifrin s’attaque donc au générique d’une série qui n’existe pas encore. En plus de n’avoir aucune image pour support, on ne lui a laissé que quelques jours pour composer, ce qui ne l’inquiète guère.
Sans cesse interrogé sur la prolificité de son œuvre, il répondra toujours: « Je compose très vite. C’est ma forme d’écriture. Quand on écrit, on ne réfléchit pas à la syntaxe, c’est naturel : on dit simplement ce qu’on a à dire. Je n’écris pas des mots. J’écris de la musique ».
Respectant le temps imparti, à l’heure dite et au jour prévu, Schifrin soumet à Geller le main-title de Mission : Impossible: un titre composé en 5/4, gorgé de cuivres et de percussions latines. Geller adore. Schifrin ne s’emballe pas pour autant .
Il connaît la férocité de l’industrie du spectacle : « L’année où j’ai écrit le thème de Mission : Impossible, j’avais écrit les génériques de neufs autres séries d’espionnage qui n’avaient pas trouvé preneur. J’avais fait des choses très bien pour ces séries, mais personne ne les entendra jamais, parce qu’elles n’ont pas été achetées. Non seulement Mission : Impossible s’est vendue, mais c’est devenu un succès. Donc la musique est devenue un succès. ».
C’est CBS qui croit au projet, et l’achète. Le label DOT Records, filiale de la Paramount qui produit la série, y croit aussi. Il propose à Schifrin de publier un album autour de son thème principal. Trente à trente cinq minutes de musique sont nécessaires. Schifrin compose alors neufs thèmes, inspirés par neufs personnages de la série, qui ne seront jamais utilisés à l’écran.
L’album offre à Schifrin deux Grammy Awards en 1968: celui du Meilleur Thème Instrumental et celui de la Meilleure Partition Originale pour un Film ou une Émission Télévisée. Le titre-phare devient pour toujours légendaire.
Moins connu du grand public que Henry Mancini ou John Barry, Lalo Schifrin marquera l’histoire de la musique et l’imaginaire de millions de spectateurs avec son mélange précurseur d’orchestrations classiques, jazz, latines et funk. Il composera plus d’une centaine de bandes originales, parmi lesquelles celles de Mannix, Starsky & Hutch, mais aussi Les Félins de René Clément, Bullit de Peter Yates ou The Fox de Mark Rydell- plus tard utilisée pour la publicité Dim.
Parallèlement à sa carrière hollywoodienne, il enregistrera de nombreux albums de jazz, de bossa, et dirigera les meilleurs orchestres dans les œuvres des compositeurs les plus subtils, tels Stravinsky ou Ravel.
Intronisé Commandeur des Arts et des Lettres à Paris le 16 Novembre 2016, celui qui se définit comme un simple music maker déclarera, avec l’humilité dont seuls les géants sont capables : « Je ne peux pas y croire. C’est un rêve devenu réalité. Je suis tellement ému que quand je suis arrivé à Paris, j’en ai pleuré ».
Mission : Accomplished.
Eva Kristina Mindszenti
Lalo Schifrin – Mission Impossible
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Bullit
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Mannix
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Les Félins
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Lalo Schifrin interprétant la bande-originale de The Fox au Grand Rex
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…Et pour le plaisir : Générique en images de Mission : Impossible
https://www.youtube.com/watch?v=1lih-z4G4jY
Parce que rien n’éclaire mieux nos vies que leurs bandes-sons, Culture 31 s’intéresse aux chansons qui ont marqué l’Histoire, la grande comme la petite.
Chapitre I : Gloomy Sunday (Szomorú Vasárnap) le chef-d’œuvre tragique de Rezső Seress
Chapitre II : My Way de Frank Sinatra
Chapitre III : Good Vibrations – The Beach Boys
Chapitre IV : I wanna be your man – The Rolling Stones / The Beatles