La photographie est à l’instar du langage, une prétention. Prétention à vouloir représenter à tout prix la réalité ? Comme la réalité d’un discours, d’une pensée, d’un pouvoir. L’image est par excellence le moyen d’appropriation du réel en vue de la réduire à des proportions assimilables à nos facultés humaines. Elle peut être assimilée à un acte magique de transformation du réel extérieur en réel intérieur.
Mais elle concourt aussi, et surtout, à l’amalgame entre réalité et vérité. Couple qui a de nombreux méfaits à son actif. Elle donne souvent à l’information une portée messianique… mais pour quelles fins ?
Cette volonté de vérité, qui est essentiellement un besoin de faire croire, construit une machine à exclure. Car il y a un lien entre vérité et pouvoir, le second a besoin de la première pour légitimer son existence et son exercice, et la première a besoin de l’aide du second pour réussir à s’imposer. Ce dont a besoin le pouvoir c’est de croyance. Et comme nous croyons ce que nous voyons….Cet enfer me ment avec nos certitudes.
Définitivement la réalité n’est pas la vérité, elle n’en est qu’un des volets.
Malgré la violence déployée, qui nous fait souvent trop croire en sa puissance. Il ne faut pas se laisser effrayer comme il ne faut pas se laisser convaincre que nous allons remettre de l’ordre dans tout cela. Comme nous nous obstinons trop souvent à mettre du rationnel, confusément, afin de maintenir l’illusion que la vie demeure humaine.
La photographie contrairement à la poésie n’a pas à rendre la réalité plus vivable, au contraire elle nous la livre telle qu’elle est : brute, autant que notre homme impressionne. Sa carrure, la taille du cœur (pas la coupe) le volume, la résonnance. « Cet homme est vêtu de lin blanc et de probité candide ».
Pour vous qui avez peut-être déjà croisé le « viet », ces quelques mots doivent vous parler. La profondeur de son regard, qui porte aussi loin que son ombre et qui ne s’oublie jamais. Ce regard de l’homme, cet égard pour l’autre, appelle celui du photographe. L’œil qui voit, qui suit, qui vous observe, qui vous scrute, rompt dévisage décortique derrière un sourire toujours bienveillant. Il emprunte et rend tout, augmenté, à l’instar de notre Char d’assaut. Un éclair au fond de l’œil, un éclat de lumière, un état pour mieux révéler les états que nous portons en nous et qui ne demandent qu’à être exhumés. Un siècle de Lumières ce n’est pas suffisant pour notre homme. Dans la photo la mort a son mot à dire pour Roland Barthes. Il est clair que nous sommes en rupture, en attente de révélateur faute de révélation. Lui convertit le monde pour une conversion du regard, le nôtre cette fois-ci.
Et puis il y a ça. Comment les nommer ? Caprices ? serait insuffisant. Fulgurances ? trop incertain. Ordonnancements ? Incompréhensible à nos yeux encore neufs.
Les mouvements qu’il donne, créent un langage, une dialectique, qui développent des formes, qui elles-mêmes ébauchent nos pensées et forment nos idées, élabore une consistance : une réalité éphémère (pléonasme ?), un état, une précarité, une vanité. Le type maîtrise. Dominique nous fait ressortir les couleurs cachées, fragmentées, ethniques tant elles sont authentiques, vernaculaires tant elles sont ancrées, sculpturales tant le relief se fait corps.
Pour tout ce que ne nous ne voyons pas, pour l’ensemble de ce qui nous échappe, son art sent et accompagne cette lumière pour nous la rendre perceptible, il nous la traduit pour mieux la diffuser, c’est un autre volet de l’histoire, un pivotement : la seule révolution qui soit se nomme liberté.
Jean-Julien Urbain
Site internet : Dominique Viet