Je suis de plus en plus sidéré par ces musiciens qui jouent de mémoire des milliers de notes dans un concert ; avec le sourire en plus, comme si c’était un jeu d’enfant. Jean Luc Amestoy et Gilles Carles sont de cette trempe-là, capables de nous offrir des envolées des doigts sur le clavier de l’accordéon et sur le manche de la guitare pour des balades allant des rives méditerranéennes et européennes jusqu’au country-blues.
Il faut remercier une fois de plus Marc Marin, directeur de la cave Poésie, d’ouvrir les portes de cet incontournable lieu culturel toulousain à des musiciens qui sortent de l’ordinaire, c’est le moins qu’on puisse dire.
Le Toulousain d’adoption Jean Luc Amestoy, originaire d’Hasparren au Pays Basque, appartient à la race des gens discrets, mais efficaces. Après l’obtention d’une licence de musicologie et des études de piano, autodidacte de l’accordéon, il s’y adonne avec passion : « j’y suis arrivé grâce aux ressemblances avec le piano : c’est la même main droite. La gauche, je l’ai d’abord remplacée par un sourire ».
Il fait partie de ces accordéonistes vagabonds qui enchantent un public de plus en plus nombreux : comme Galliano transcendant Vivaldi avec le Trio Wanderer du violoniste Jean-Marc Phillips-Varjabedian ou Marc Perrone avec l’organiste Roberto Antonello revisitant Verdi ou Nino Rota*, Amestoy n’a pas hésité à tutoyer Bach en compagnie de l’ensemble Baroque de Toulouse, sous la direction de Michel Brun.…
La somme de ses collaborations laisse pantois, puisqu’on y retrouve Vicente Pradal, Philippe Léotard, Eric Lareine, Art Mengo… Excusez du peu ! N’oublions pas Bernardo Sandoval, avec lequel il a enregistré les musiques des films « Western » de Manuel Poirier (César de la meilleure bande son et du meilleur film), et « Marie Line » de Mehdi Charef. Ni Serge Lopez et les membres du groupe Zebda, avec lesquels il a participé à la création du collectif « 100% Collègues » et à l’enregistrement du disque « Motivés ». Il a aussi accompagné Magyd Cherfi dans un répertoire consacré aux chansons de Georges Brassens, ainsi qu’Hakim et Mouss dans les belles reprises des chansons de l’immigration algérienne « Origines contrôlées »…
C’est ce qu’on appelle de l’éclectisme !
Mais il revient toujours comme ce soir à la valse ou au fox trot déjantés, avec son vieux complice Gilles Carles, un guitariste venu de l’univers de l’image (il a été éclairagiste à la télévision).
Soir de Paris, le premier morceau, a de faux airs du Petit Bal perdu de Bourvil et on pense au regretté Tibal Bazar de Didier Dulieux, autre maestro du piano à bretelle, présent dans la salle (ce n’est pas un hasard). Mais ils enchainent aussitôt avec à une samba à 5 temps, puis passent allégrement d’un tango échevelé à une valse chansonnière.
Car ils chantent, oui Madame. Ils chantent sur leurs compositions des textes pleins d’un humour pince-sans-rire, oulipien ou pataphysicien comme l’on veut (dont certains de Marcelle Petit). Par moment, comme dans « Marinette », il y a un je ne sais quoi de Marguerite Monod (l’alter-ego de la Môme Piaf). Mais aussi en duo un « Besame mucho » très latino-américain.
Même s’ils n’arrêtent pas de dialoguer entre eux avec les yeux, ils ne parlent pas beaucoup au public, mais sont très polis : ils remercient au moins dix fois leur public.
Ils tricotent de la dentelle musicale comme le dit si bien le morceau Histoire et couture, et on se demande quel lapin ils vont bien pouvoir encore nous sortir de leurs chapeaux de musiciens-magiciens.
On reprend pied en 1° rappel avec leur tube « Les petits pois » ; mais un « Twilight Blues », du côté de chez Bashung, nous refait chavirer derechef.
Après près de 2 heures de concert, le public enthousiaste a du mal à les laisser partir, et parmi leurs fan-club, les dames ne sont pas les dernières, ce qui est un bon signe pour la parité.
Rappelons qu’à l’origine, ce duo est un trio et qu’il a déjà 2 disques à son actif : « Le Fil » et « Sport & Couture » **.
« Notre musique prend sa source aux origines du musette, brassage Improbable d’Italiens, d’Allemands et d’Auvergnats… Que serait devenue cette musique avec une autre histoire, d’autres techniques, d’autres acteurs ? Prenons un tuba pour respirer, une guitare humide pour rames, un accordéon pour souffler les voiles, repartons de cette source pour en dévier le cours, avec derrière l’oreille un petit air de ne pas y toucher… Nous n’aurons plus qu’à écouter le paysage, et à nous laisser emporter tout naturellement vers la danse. »
Entre parfums d’Occitanie, airs traditionnels basques ou folklore breton…, Jean-Luc Amestoy et Gilles Carles nous ont entrainé dans la danse, la danse des cultures qu’ils savent si bien métisser.
Ils devraient aller jouer à Naples*** où ce melting-pot connaît son apogée ! Ils y seraient accueillis à bras ouverts par un Daniele Sepe, maitre es contagion musicale et culturelle.
A l’heure de la mondialisation nihiliste sans foi ni loi et des extrémismes barbares (dans le sens second de Qui manifeste de la cruauté, qui est inhumain), il professe que la pratique de musiques métissées nous rapprochent de l’esprit des Lumières, fondé sur la croyance dans le progrès de l’humanité et l’affirmation des valeurs d’ouverture, nécessaires pour combattre l’intolérance religieuse et l’absolutisme politique.
Plus prosaïquement, elles ne peuvent que nous faire du bien. Et c’est déjà beaucoup. Santé, Messieurs les Musiciens !
E.Fabre-Maigné
9-IX-2014
* A ne pas rater le samedi 4 octobre à 11h, en l’Eglise du Gésu, dans le cadre du Festival Toulouse Les Orgues.
** disponibles sur www.labeldaqui.com
*** J’en profite pour vous recommander l’excellent ouvrage de Marcelle Padovani « Les Napolitains » (Ateliers Heny Dougier) 12€