Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
Courlande de Jean-Paul Kauffmann
Alors que Jean-Paul Kauffmann recevra le 17 octobre le prix Jacques Audiberti de la ville d’Antibes, présidé par Didier van Cauwelaert, rejoignant ainsi un palmarès prestigieux (Lawrence Durrell, Antonio Tabucchi, Jean Rolin, Arturo Pérez-Reverte, Michel Déon…), pour son beau récit autobiographique L’Accident, on peut se replonger dans l’œuvre du journaliste devenu écrivain. Au commencement, il fut l’un de ces noms et des visages qui ouvrirent longtemps les journaux télévisés tandis que la voix du présentateur égrenait la durée de la détention de ceux que l’on appelait les « otages français au Liban », kidnappés et détenus par le Hezbollah. On connut donc d’abord le journaliste Jean-Paul Kauffmann, captif de mai 1985 à mai 1988, pour de tragiques raisons avant de découvrir quelques années plus tard l’écrivain.

Jean Paul Kauffmann © Maurice Rougemont – Opale Photo / Éditions Des Équateurs
Un écrivain qui ne se frotta pas au roman, mais qui signa de beaux récits comme L’Arche des Kerguelen en 1992, La Chambre noire de Longwood (prix Roger Nimier et prix Femina essai) en 1997 sur l’exil de Napoléon à Sainte-Hélène ou La Lutte avec l’Ange en 2001 ainsi que des textes sur le vin. Si la plupart de ses écrits avaient à voir avec le thème de l’enfermement, ce n’est que dans La Maison du retour en 2007 qu’il évoqua plus directement son passé d’otage et son retour de captivité quand il ressentit le besoin de s’enfermer dans un lieu qu’il avait choisi cette fois-ci : une vieille maison abandonnée au cœur de la forêt des Landes.
En 2009, Jean-Paul Kauffmann publiait le superbe Courlande, quintessence de son art littéraire, récit d’un voyage dans un pays méconnu, devenu une province de la Lettonie indépendante en 1918, pour un reportage prétexte à des quêtes plus intimes. De Louis XVIII qui s’y réfugia à Casanova et Blaise Cendrars qui y séjournèrent, il y avait bien des raisons de se souvenir de la Courlande. Marguerite Yourcenar y planta l’action du Coup de grâce tandis qu’Eduard von Keyserling fit de son pays natal le cadre de ses romans et demeure l’un des courlandais les plus célèbres, en compagnie d’Arvids Blumentals, plus connu sous le surnom de « Crocodile Dundee ». Au XXème siècle, le sort de la Courlande épousa celui de la Lettonie occupée durant la deuxième guerre par les soviétiques puis les nazis pour finalement être absorbée par l’URSS en 1945.
Préserver une fine pellicule remplie de rêves
Jean-Paul Kauffmann, quant à lui, avait une raison supplémentaire de ne pas avoir oublié la Courlande. Alors qu’il effectuait son service militaire en tant que coopérant à Montréal, il tomba amoureux d’une jeune et belle libraire courlandaise prénommée Mara incarnant « la représentation d’une certaine perfection et de l’innocence perdue ». Des années durant, le souvenir de Mara – « un stigmate agréable du passé » – survécut à travers la Courlande. Aussi, quand un ami de Kauffmann, dirigeant un magazine, lui proposa un reportage sur les pays Baltes, la destination s’imposa d’elle-même. Ce voyage « à la poursuite d’un souvenir » permit aussi de répondre à la demande d’une cousine dont le père, alsacien, fut enrôlé de force dans la Wehrmacht. Disparu en Courlande en 45, le corps de ce « malgré nous » ne fut jamais retrouvé, mais sa fille avait entendu parler d’un homme, « le Résurrecteur », qui là-bas identifiait les tombes oubliées…
Courlande est donc le récit d’un voyage à double ou triple fond où les quêtes intimes d’un amour ancien et d’une sépulture se mêlent à la découverte d’un pays « où l’on ne cesse d’emprunter aux autres pour se construire une identité ». Avec ses châteaux, ses forêts et ses paysages, la Courlande semble se laisser apprivoiser, mais elle ne cesse pourtant de s’échapper (à l’image de l’insaisissable chercheur de tombes ou d’une belle inconnue qui pourrait être Mara), de s’évanouir entre mythologie et réel. On croise un couple d’Allemands, un rocker polytonal, un peintre fasciné par les barons baltes – « des monarques mélancoliques qui passaient leurs nuits à forcer le cerf ou à scruter les étoiles ». Sans doute que Kauffmann partage avec lui le désir de tirer de l’oubli ce qui n’existe plus, non par goût romantique des ruines mais pour « préserver une fine pellicule remplie de rêves ». Le reportage ne sera finalement pas publié et son auteur en perdra même la copie, mais il en tirera plus tard un livre où, comme toujours chez Kauffmann, la chasse au trésor est plus importante que le trésor convoité et où les confessions avancent masquées.


