Jouer avec le feu, un film de Delphine et Muriel Coulin
Adaptant le roman de Laurent Petitmangin (Ce qu’il faut de nuit), les sœurs Coulin nous livrent ici un film d’une rare puissance en cela qu’il creuse profondément des maux intimes autant que sociétaux. Pierre, caténairiste à la Sncf, veuf, élève avec toute la conviction de ses valeurs humanistes, ses deux fils aujourd’hui pré-adultes.
Si le jeune, Louis, est un brillant élève qui va poursuivre ses études à la Sorbonne, son aîné, Fus, vivote avec un BTS de métallurgie que d’ailleurs il n’a pas passé. Fan de foot, joueur lui-même, il se met à fréquenter des ultras qui bientôt vont l’amener sur des chemins de traverse particulièrement dangereux, ceux de l’extrémisme. Avec le culte de la virilité, de la puissance physique et de la masculinité qui vont avec. Sans oublier bien sûr le refus de « l’autre ». Pierre s’en aperçoit et demande à son fils d’arrêter ce type de fréquentation. Peine perdue… Entre séance de MMA dans une usine désaffectée et gradins déchainés dans un match de foot (le parallèle est troublant…), Fus se lance dans une véritable course à l’abîme. Ni son frère, ni son père ne pourront le stopper. Avec une caméra virtuose sachant capter au plus près les regards perdus et les non-dits de lassitude, de renoncement et d’effroi des trois protagonistes, les réalisatrices mettent en lumière non seulement les dérives de notre temps mais aussi les méfaits collatéraux du déclassement social. Grâce à des interprètes stupéfiants de justesse, elles analysent les liens familiaux (paternité, fraternité) jusque dans leurs extrêmes limites. Vincent Lindon (Pierre), vient de se voir décerné la Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine pour ce rôle lors de la dernière Mostra de Venise. Son plaidoyer final est un moment inoubliable de douleur et d’amour. Si Benjamin Voisin est le Fus que l’on attendait de cet acteur flamboyant, il ne saurait effacer le Louis de Stefan Crepon qui, dans un rôle dont la partition est un brin plus compliquée, moins démonstrative, confirme bien l’étendue de son talent. Un film grave mais nécessaire.