Le Vin et l’Homme, c’est une très longue histoire et une histoire d’amour, qui a inspiré non seulement les travailleurs de la terre, les vignerons en premier bien sûr, mais aussi les poètes et les romanciers, les musiciens et les plasticiens.
On a trouvé à Montesarchio en Italie un cratère en calice richement décoré et signé par le céramiste Assteas, daté du IVesiècle avant Jésus-Christ, et un bas-relief mésopotamien d’environ 2000 av.JC portait déjà l’inscription « l’eau fait pleurer, le vin fait chanter ».
Depuis la nuit des temps, le vin est perçu comme un breuvage magique permettant d’accéder au divin, aux vertus thérapeutiques et liturgiques. C’est aussi l’artisan de l’échange entre les amants, comme on le voit dans la belle Poésie persane en particulier ; et surtout entre les hommes, comme carburant de l’amitié : Luc Bérimont (1915-1983) a exalté celle qui unissait les membres de « l’Ecole de Rochefort », dont le poète René Guy Cadou (1920-1951) mort si jeune, durant l’Occupation
(…) car il n’était point vert le vin de vignes chaudes
il mûrissait le verre où se soudaient les doigts
et quand on l’inclinait à hauteur de la bouche
on chavirait de l’or des feuillages et des toits…
Si la vigne a bien failli disparaître, en laissant des traces indélébiles dans l’imaginaire, elle a ressuscité de ses cendres comme le Phénix, grâce à des vignerons passionnés, et suscité d’innombrables chef-d‘œuvres, comme par exemple les remarquables œuvres de Dame Colette Angelitti (1), aquarelliste de la Flore sur les cépages disparus, dont j’illustre cette chronique.
La vigne est l’une des plantes les plus anciennes de la terre (2) : des fossiles datant d’il y a soixante millions d’années ont été retrouvés en Champagne, mais les débuts de la viticulture dateraient de 7 000 ans av. JC. La vinification quant à elle, existe depuis plusieurs millénaires.
Le berceau de la vigne et du vin se situerait en Arménie si l’on en croit l’Ancien Testament (où l’on trouve les plus anciens chants évoquant la vigne et le vin) : c’est Noé qui aurait planté le premier vignoble, devenant ainsi le premier vigneron, mais aussi « le premier homme à s’enivrer avec son vin et à se promener tout nu en chantant ».
En tout cas, des fouilles archéologiques, y ont mis au jour un complexe de vinification (un pressoir à vin et une cuve de fermentation en argile) datant d’au moins 6000 ans avant notre ère.
Tous les historiens s’accordent pour écrire que la vigne, comme la plupart des arbres à fruits, est originaire de l’Orient, et que les Grecs ont excellé, de toute antiquité, dans l’art de fabriquer du vin, qu’ils ont transmis aux Romains.
« L’invention » du vin est sans doute due au hasard. Il est produit à partir du fruit de la vitis vinifera, dont le jus fermente naturellement. Dans la région méditerranéenne, la vigne sauvage (vitis sylvestris) pousse spontanément. En analysant des restes de charbons de bois carbonisés et des pépins de raisin, les archéologues ont acquis la certitude de sa présence dans l’environnement humain de cette région ainsi que de son utilisation dès le Paléolithique. Ces vignes sauvages produisaient de petits grains noirs au goût amer, qui ont très probablement d’abord été consommés comme aliments. En témoignent les pépins retrouvés dans de nombreux contextes paléolithiques de la Méditerranée, à côté de ceux d’autres baies et de fruits récoltés dans la nature (2).
La culture de la vigne s’est ensuite répandue vers le sud, en Mésopotamie, dans une aire géographique de plus en plus étendue : sa présence est attestée en Jordanie vers -4000 avant JC, en Israël au cours de la première moitié du IVe millénaire ; elle a atteint la Basse Mésopotamie et l’Égypte vers -3000, puis la Grèce et la Crète vers -2500. Dès cette époque, la viticulture est déjà très organisée.
La première représentation du procédé de vinification est le fait des Egyptiens, au IIIe millénaire avant notre ère sur des bas-reliefs représentant des scènes de pressurage et de vendange; ce sont les Egyptiens qui ont appris aux Grecs à cultiver la vigne. Entre 1500 et 500 avant notre ère, la vigne devient un élément essentiel de l’agriculture pour les Grecs. Ils l’implantent dans l’ensemble du bassin méditerranéen notamment en Italie, puis en Gaule en 600 av. JC. La viticulture s’étend le long du couloir rhodanien vers le nord, et à l’ouest vers le Languedoc.
Durant toute cette période, la vinification se faisait essentiellement à base de raisins noirs, mais restait exempte de macération, les vins étaient donc de couleur claire. Le jus était en général recueilli après un simple foulage et la pressée était immédiate. Le pressoir était connu depuis longtemps déjà mais c’étaient de lourdes machines, fort onéreuses et peu de caves pouvaient en posséder. Les plus riches, mieux équipés, pouvaient presser à la demande pour les plus modestes, mais moyennant un paiement le plus souvent jugé lui aussi trop onéreux.
À la chute de l’Empire romain, paradoxalement c’est l’Eglise, prêchant par ailleurs la tempérance, qui maintient dans ses diocèses la culture de la vigne et du vin et répand sa commercialisation, prêtant à satire, en particulier dans la littérature médiévale où l’ecclésiastique est souvent représenté enivré de vin.
C’est à partir du Moyen Age que la qualité des vins progresse.
Alors que les vins de l’Antiquité étaient coupés d’eau et agrémentés d’herbes et d’aromates, le vin sous la forme où nous le consommons aujourd’hui, apparaît au Moyen Âge. À la fin du Xesiècle, Bordeaux seule région viticole à ne pas être sous l’influence de l’Église, commence à se développer, mais le vignoble bordelais ne prend son véritable essor qu’à la fin du XIIesiècle.
C’est avec la colonisation que la vigne s’est répandue partout dans le monde
On trouve des traces de vignes en Amérique du Sud au milieu du XVIe siècle et en Afrique du Sud dès 1659. Au XVIe siècle, des plants européens sont importés et plantés sur la côte est des États-Unis, mais ils ne résistent pas aux maladies locales de la vigne et c’est véritablement à partir du XVIIe siècle que la production du vignoble nord américain se développe.
C’est sur le continent Nord Américain au XXe siècle qu’est née l’idée des vins de cépages (vins issus d’un cépage unique), un produit qui va faire la renommée du vignoble nord-américain et avec lui, celui de tout le « Nouveau Monde ».
Au XIXe siècle, le vignoble européen a été décimé : le phylloxéra a été introduit accidentellement dans le sud de la France ; le puceron s’est répandu dans tout le vignoble, imposant l’arrachage systématique dans toutes les régions. Il sera sauvé par l’importation massive de plants américains résistants à l’insecte. De nos jours, les cépages français sont greffés sur des pieds de vignes américains.
Au XXe siècle, la qualité du vin se précise, les progrès de la recherche et de nombreux investissements permettent l’avènement d’une science du vin, l’œnologie. La hiérarchisation des vignobles s’opère peu à peu pour arriver à celle que nous connaissons aujourd’hui.
Le coupage, qui répondait au temps de l’Algérie française « à une forme d’enrichissement de la qualité du vin et du négoce dit expéditeur qui œuvrait au mélange de la sauce des vins du Midi avec ceux d’Algérie, en y trouvant son compte tout comme le négoce de place embouteilleur au plus près des consommateurs », n’est heureusement plus qu’un lointain (et mauvais) souvenir.
La diversité ainsi que la qualité des cépages, en France et en Italie en particulier, a été multipliée, grâce à de nombreux viticulteurs passionnés et laborieux. Et c’est un des bonheurs de la vie de découvrir et déguster, en plus de nos « phares », des nouveaux crus au hasard de nos pérégrinations, ne serait-ce qu’en France ou en Italie.
En résumé, quelques dates clés à retenir :
– 6 000 avant JC. : Apparition de la vigne dans le Caucase et la Mésopotamie.
– 3 000 avant JC. : La vigne est cultivée en Égypte et en Phénicie.
– 2 000 avant JC. : Apparition en Grèce.
– 1 000 avant JC. : La vigne est cultivée en Italie, en Sicile et en Afrique du Nord.
– 1 000-500 avant JC. : Apparition en Espagne, au Portugal et dans le sud de la France.
– 500 avant JC. jusqu’au Moyen-Âge : Implantation au nord de l’Europe, sous l’influence des Romains, et jusqu’en Grande-Bretagne.
Il existe depuis l’Antiquité une civilisation du vin: elle est à la base de la communauté spirituelle des peuples latins, elle a marqué de son sceau les paysages, l’économie, l’architecture, la religion, les traditions, la littérature, les arts, la culture en général, et elle a été, de tout temps, une source inépuisable d’inspiration poétique en particulier. Alors qu’elle est souvent prohibée, jamais boisson n’a occupé dans les conceptions doctrinales, théologiques et ésotériques, autant de place que le vin.
Selon Emmanuel Le Roy Ladurie, la vigne est un apport fondamental dans l’histoire de la civilisation : « elle offre à bien des gens la possibilité de boire un liquide relativement stérile (le vin), dans lequel l’alcool joue le rôle d’antiseptique. Ainsi sont limités les dégâts de beaucoup d’épidémies qui autrement seraient propagés par l’eau de boisson ».
A partir du 1ersiècle après Jésus Christ se répand en Gaule une véritable viticulture indigène ; elle y deviendra l’une des bases essentielles des civilisations rurales du cru ; elle utilise non plus des plants helléniques ou italiens, mais bel et bien des plants autochtones, apprivoisés ou hybridés par quelques vignerons ingénieux : plant Pinot sur l’axe Rhône-Saône, ou Côtes du Rhône/Bourgogne, cépage Cabernet sur la verticale Bayonne-Bordeaux-Muscadet. Et une invention annexe, le tonneau, fils des montagnes forestières du Bas-Dauphiné, consacre pour vingt siècles la fortune de la viticulture nationale.
Le Vin est aussi contemporain de l’invention de l’écriture: l’Epopée de Gilgamesh, première œuvre littéraire de l’humanité (IIe millénaire avant J.C) atteste déjà de son existence. Intimement liée à la nature et à son alchimie, la culture de la vigne était une sorte de religion païenne célébrant le culte de la terre avec le cycle des saisons, et le vigneron était à la fois un artisan et un prêtre éveillant les desseins les plus cachés du mystère de la vie.
Un traité de viticulture de l’époque gréco-romaine indique que pour faire un grand vin, il faut :
Un fou pour cultiver la vigne,
Un sage pour la réglementer,
Un artiste pour faire le vin,
Un amoureux pour le boire,
Un poète pour le chanter.
En tout cas, le Vin a inspiré l’Homme depuis l’Antiquité :
Le vin est une chose merveilleuse pour l’homme, le cas échéant, à la fois la santé et la maladie, s’il est administré avec sagesse et perspective. Hippocrate (460 à 377 avant JC)
Là où il n’y a pas de vin, il n’y a pas d’amour. Euripide (480 avant JC)
Le vin est l’ami du savant et l’ennemi de l’ivrogne. Avicenne, médecin iranien (XIe siècle).
Bonum vinum laetificat cor hominis Le bon vin réjouit le cœur de l’homme. François Rabelais (1483 ou 1494-1553). Dans son Quart livre, il relate le voyage de Pantagruel et de ses compagnons partis afin d’interroger l’oracle de la Dive Bouteille.
Et dans sonTraité de bon usage de Vin, il ira jusqu’à écrire (par pure gausserie):
… Le vin vous donnera pisse saine et rose, veloutée comme bois de cerf. Alors que les buveurs d’eau l’auront trouble et soufrée.
Et le vin vous donnera une verge puissante et belle, que vous brandirez à volonté et observerez avec contentement. Alors que les buveurs d’eau l’auront pleine de bulles-et de hoquets…
Rien d’étonnant à ce que les amateurs de bon vin, qui pullulent dans notre beau pays, aient toujours été de joyeux hédonistes, comme Olivier Basselin (1403-1450) né à Vire en Normandie où les bons vins sont légions, auteur de ce fameux poème :
Le vin rend le teint beau !
Vaut-il pas mieux avoir la couleur rouge et vive,
Riche de beaux rubis, que si pâle et chétive
Ainsi qu’un buveur d’eau ?
Qui aime bien boire du vin est de bonne nature.
Les morts ne boivent plus dedans la sépulture.
On m’a défendu l’eau, du moins en beuverie,
De peur que je ne tombe en une hydropisie ;
Hé ! qui sait s’il vivra
Peut-être encore demain ? chassons mélancolie.
Je vais boire d’autant à cette compagnie :
Suive, qui m’aimera !
Nombres de poètes de la Renaissance, de Clément Marot à Pierre de Ronsard, de Joachim du Bellay à Antoine de Baïf, ont écrit maints poèmes sur le nectar de la vigne qui ne laisse personne indifférent. Ces mêmes auteurs se sont emparés avec bonheur, et souvent une certaine éloquence que l’on pourrait qualifier d’égrillarde, des rapports coquins. Thématique centrale de ce programme, le vin, ce précieux nectar si cher à Bacchus, est l’objet, au Moyen Âge et à la Renaissance d’une attention particulière de la part des poètes.
Marot (1496-1544) illustre la posture ambivalente de l’homme par rapport à la boisson : « le vin qui trop cher m’est vendu, M’a la force des yeux ravie, Pour autant qu’il m’est défendu, Dont tous les jours m’en croît l’envie ».
Ronsard (1524-1585) invite à boire car, si l’on en croît ses mots, « tout boit » ; et « Vin est le meilleur remède contre mélancolie » :
Corydon, va quérir ma mie
Avant que la Parque blêmie
M’envoie aux éternelles nuits.
Je veux, buvant la tasse pleine,
Couché près d’elle, ôter la peine
De mes misérables ennuis.
Selon Montaigne (1533-1592), « Le vin réjouit l’homme & le rajeunit », selon Voltaire« Un peu de vin pris modérément est un remède pour l’âme et le corps », et selon Chateaubriand « Comme Platon, il faudrait défendre le vin à la jeunesse et ne le permettre qu’aux vieillards ».
Quant à Pasteur (1822-1895), l’illustre chimiste français du XIXe siècle, découvreur entre autres de la vaccination, il est aussi l’auteur de citations enthousiastes comme « le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons » et plus poétique « Un repas vin est comme un jour sans soleil ».
Léonard de Vinci (1452-1519) disait à propos de la Toscane: « je crois que les hommes qui naissent là où se trouvent les bons vins ont un grand bonheur, on devrait y vivre plus joyeux et plus longtemps qu’ailleurs ». Et ce n’est pas un hasard si mon cher Léo Ferré, par exemple, s’est finalement installé dans cette région bénie des Dieux, sur la « Colline des Mûres, Poggio ai mori »à Castellina-in-Chianti, avec sa douce Marie, pour y élever ce chianti classico au coq noir, si chaleureux comme lui, en même temps que ses enfants.
De nombreux écrivains et compositeurs ont loué Monseigneur le Vin, on peut citer Lucien de Rubempré dans les Illusions perduesde Balzac (1799-1850) :
Hippocrate à tout bon buveur
Promettait la centaine.
Qu’importe, après tout, par malheur,
Si la jambe incertaine
Ne peut plus poursuivre un tendron,
Pourvu qu’à vider un flacon
La main soit toujours leste ?
Si toujours, en vrais biberons,
Jusqu’à soixante ans nous trinquons,
Rions ! buvons !
Et moquons-nous du reste.
Ou Frédéric Mistral (1830-1914) et sa Coupo santo, sa coupe sainte :
Provençaux, voici la coupe
Qui nous vient des Catalans
Tour à tour buvons ensemble
Le vin pur de notre cru.
Coupe sainte
Et débordante
Verse à pleins bords
verse à flots
Les enthousiasmes
Et l’énergie des forts !
Même Mozart (1756-1791) aurait composé une chanson à boire :
Qui ne connaît la seconde chanson à boire du Bourgeois Gentilhomme de Molière et Lully (1632-1687):
Buvons, chers amis, buvons :
Le temps qui fuit nous y convie ;
Profitons de la vie
Autant que nous pouvons.
Quand on a passé l’onde noire,
Adieu le bon vin, nos amours ;
Dépêchons-nous de boire,
On ne boit pas toujours.
Et ce n’est qu’à bien boire
Que l’on peut être heureux.
Sus, sus, du vin partout, versez, garçons, versez,
Versez, versez toujours, tant qu’on vous dise assez.
Et même sans être amateur d’opéra qui n’a fredonné le magnifique chœur Libiamo ne’ lieti calici (Buvons joyeusement le vin de ces coupes)qui invite à trinquer sur un joyeux tempo de valse, tiré du premier acte de la Traviata (scène II) de Giuseppe Verdi (1813-1901) qui s’était endetté avant d’être célèbre, pour acquérir le domaine vinicole de Sant’Agata, au bord du Pô en Emilie Romagne :
Buvons, buvons joyeusement [le vin] de ces coupes.
Que la beauté fleurisse ,
Et que l’heure fugitive
S’enivre de volupté.
Buvons dans les doux frissons
Que suscite l’amour,
Puisque ces yeux tout-puissants
Percent le cœur.
Buvons ! l’amour, l’amour entre les coupes
Aura des baisers plus ardents.
Ils sont légions les poètes qui l’ont loué: le Vin partage avec l’Amour le redoutable privilège d’avoir été et d’être encore la chose la plus célébrée du monde; en particulier par les hédonistes pour sa sensualité.
L’Arétin écrivait au Titien :
En nous voyant prendre du bon temps,
Comme si nous avions toujours vingt ans,
Téter les bonnes bouteilles
Comme les seins de nos princesses,
La vieillesse, espionne de la Mort,
Ne rapportera jamais à sa maîtresse
Que nous vieillissons.
Gabriel Cousin (1918-2010) a chanté le vin des amants qui lui a semble-t-il assuré une belle longévité:
Un bordeaux sur mon palais Un beaujolais entre mes lèvres
Et le nectar divin Et le jus féminin
Puisé à l’entrée du « palais » Qui coule entre mes lèvres
De ton temple féminin Comme une rose carmin
Aussi étonnant que cela puisse paraître, même des mystiques en apparence les plus rigides n’ont pas résisté à ses attraits, comme Martin Luther (1483-1546) : « Qui n’aime point le vin, les femmes et le chant restera un sot toute sa vie » !
Aquarelles de Colette Angelitti, avec l’aimable autorisation de sa fille Marianne Angelitti-De France.
A SUIVRE…
Le Vin : quelle histoire ! que d’histoires ! – 2e partie
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