Rencontre avec le flûtiste François Laurent, soliste de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse et cofondateur de la saison toulousaine de musique de chambre Les Clefs de Saint-Pierre.

Les musiciens du dernier concert de la saison des Clefs de Saint-Pierre
La flûte traversière
«Les flûtes les plus anciennes que l’on connaisse datent de 20 000 ans avant notre ère. La flûte traversière est l’instrument chantant par excellence : c’est la voix du dessus, l’instrument qui brille, c’est le petit oiseau dans « Pierre et le Loup » et l’instrument de « la Volière » dans « le Carnaval des animaux ». Mais c’est aussi l’instrument voluptueux dans « Daphnis et Chloé » de Maurice Ravel. Il peut jouer beaucoup de rôles différents et peut amener des couleurs très diverses à l’orchestre : il est capable de chanter dans les aigus au dessus de l’orchestre, capable aussi de très belles phrases dans le grave. À l’âge de 6 ou 7 ans, j’ai vu cet instrument lors d’une parade militaire, à Valence, la ville dont je suis originaire. Il m’a quasi hypnotisé parce que, se jouant en travers et brillant, il m’a paru différent de tous les autres et il était immédiatement identifiable par ses notes. Lorsqu’on m’a inscrit au conservatoire, j’ai choisi la flûte malgré tous les conseils éclairés que l’on produisait à mes parents sur les autres instruments. Je n’en ai pas démordu !»
Les années d’apprentissage
«Après le conservatoire de Valence, puis le conservatoire de Lyon, avec un grand professeur, monsieur Marius Beuf, j’ai intégré ensuite le conservatoire national supérieur de Paris dans la classe du prestigieux Jean-Pierre Rampal. J’ai eu la chance de travailler avec des maîtres très différents comme Alain Marion, Christian Lardé, Michel Debost, Raymond Guiot, Ida Ribera, par exemple, des gens qui représentaient vraiment ce qu’était la flûte française. La flûte française c’est avant tout un son, perlé et chatoyant avec plusieurs couleurs possibles, pas trop cuivré – plus cuivré on va vers un son plutôt américain –, pas trop ouvert non plus – plus ouvert on va vers un son allemand. La flûte française est liée à la facture de l’instrument, une facture aussi très française au XIXe et pendant la première moitié du XXe siècle. On cherchait ce son lumineux, avec tout de même du timbre, mais raffiné et élégant, et tout à fait propre à jouer la musique française».
Michel Plasson et l’Orchestre du Capitole
«J’ai passé avec succès le concours de recrutement de l’Orchestre du Capitole en avril 1982, et j’ai terminé mes études au CNSM de Paris en juin de la même année. Michel Plasson, qui était alors directeur musical de l’Orchestre du Capitole, m’a appris ce métier – que je connaissais un tout petit peu pour avoir joué avec des orchestres auparavant. Il m’a appris énormément de choses sur la musique, sur le phrasé, et beaucoup de mes collègues de ma génération, ou plus jeunes, ont également beaucoup appris avec lui. On abordait un répertoire axé sur la musique française, mais pas seulement. Il n’était pas très patient, et n’avait peut-être pas un grand sens de la psychologie des musiciens, mais il savait ce qu’il voulait et il le faisait toujours au service de la musique. Il était communicatif malgré ses défauts : je me souviens de tournées en Allemagne, en Amérique du Sud, aux États-Unis où l’orchestre avait une incroyable envie de jouer !»
La musique française
«Je ne dirais pas qu’aujourd’hui l’orchestre a complètement perdu son identité qui s’est construite sur la musique française, mais cela s’est un peu gommé, comme pour la majeure partie des orchestres dans le monde. Le son des orchestres a tendance à s’uniformiser : à la radio, il est devenu très difficile de reconnaître la nationalité d’un orchestre par sa couleur. Le répertoire des orchestres est de plus en plus large, on joue toutes les musiques (américaine, italienne, allemande, française, etc.) et ça donne donc un son moins spécifique. Il n’y a plus d’orchestre aujourd’hui ayant une vraie couleur de musique française. Sous la direction deTugan Sokhiev, nous continuons à interpréter de la musique française mais, comme on peut le comprendre, nous jouons beaucoup de musique russe. Notre son s’est donc un peu internationalisé.»
Les chefs d’orchestre
«Michel Plasson est un instinctif, il dirigeait “avec ses tripes”. Il était d’une exigence absolue pour obtenir des nuances extrêmes, par exemple, et bataillait très dur pour obtenir les pianissimos qu’il avait envie d’entendre. Les répétitions pouvaient être tendues car il exigeait toujours davantage. Il avait également une grande exigence pour la cohésion, pour que les musiciens jouent le plus ensemble possible. Pour un enregistrement, la plupart du temps à la Halle aux Grains, c’était compliqué car il écoutait immédiatement la prise. Il fallait parfois la refaire dix à quinze fois tant qu’il ne trouvait pas le son qu’il voulait entendre. Tugan Sokhiev construit davantage ses répétitions, il connaît exactement le temps dont il a besoin et il a son plan en tête. Quoi qu’il se passe, il reste assez imperturbable. Il est souple dans la mesure où, par exemple, il est d’accord pour refaire quelque chose à notre demande».
Le tour du monde
«Nous partons chaque année en tournée, au moins une fois par an, parfois deux, parce que le binôme Tugan Sokhiev/Orchestre du Capitole est très demandé. Cette saison, deux grandes tournées ont été programmées, en Amérique du Sud à l’automne puis au Japon, en mars. Depuis que l’effectif de l’orchestre est passé à 125 musiciens, il est tout à fait possible de partir en tournée tout en étant présent à Toulouse avec un effectif plus réduit pour assurer les représentations au Théâtre du Capitole d’un ballet, d’un opéra de Mozart ou de Rossini. Le Conseil régional nous confie également la mission de décentraliser des concerts dans la région. Nous sommes par ailleurs présents chaque saison à la Philharmonie de Paris, ce qui est devenu une nécessité pour un grand orchestre français comme l’Orchestre national du Capitole, mais nous ne sommes pas les seuls.»

Halle aux Grains, Toulouse © Patrice Nin
Histoire d’acoustiques
«L’acoustique de la Philharmonie de Paris est excellente, peut-être un peu généreuse mais elle est d’un grand confort pour les musiciens. Nous y avons un retour qui est moins présent à la Halle aux Grains. L’acoustique de la Halle aux Grains a beaucoup changé depuis que la salle a été refaite: il y avait auparavant une grande réverbération, un peu modérée par la présence du public. À l’époque, avec les gradins en béton et les banquettes en skaï (sans dossier), on pouvait y entasser jusqu’à 3 000 personnes, mais l’acoustique était bonne, même s’il pouvait y faire très chaud. Je suis viscéralement attaché à la Halle aux Grains : elle est pour moi l’identité forte de l’Orchestre. Pour les Toulousains, les deux noms sont associés de manière “importantissime”. C’est la Halle aux Grains qui a vu naître les cycles de concerts créés par Michel Plasson (cycles Beethoven, Brahms, etc.). On parle aujourd’hui de construire une salle dans l’ancienne prison Saint-Michel. Mais si on n’y met pas le paquet sur le plan financier, je me demande ce qu’on va faire : la Philharmonie de Paris a coûté pas loin de 400 millions d’euros, la Philharmonie de l’Elbe – qui est une salle extraordinaire à Hambourg – 850 millions d’euros.»
«Si on fait une salle avec de petits moyens à Toulouse, on prend le risque de faire pire que ce qui existe déjà ! Est-ce que cela vaut vraiment la peine de mettre 250 à 300 millions d’euros dans une nouvelle salle pour un résultat qui ne sera pas à la hauteur des espérances des musiciens et du public ? Et avec une image à construire… Je ne veux pas faire de polémique mais je me pose la question. C’est peut-être parce que j’ai passé 35 ans dans cette salle que j’y suis aussi attaché. Parmi les salles dans lesquelles j’ai joué, j’aime beaucoup la Philharmonie de Cologne, en Allemagne, je trouve aussi extraordinaire – mais dans un genre très différent puisque ce n’est pas une salle de concert à proprement parler – le Théâtre Colón à Buenos Aires, le Musikverein à Vienne, évidemment, qui est une salle rectangulaire, toute en longueur, mais qui sonne admirablement…».
Affinités électives
«La saison des Clefs de Saint-Pierre est née en octobre 2000. Un certain nombre de musiciens de l’Orchestre du Capitole souhaitaient s’exprimer en petite formation à Toulouse, dans le cadre d’une saison qui porterait un peu le nom de l’Orchestre du Capitole. Malheureusement, Michel Plasson ne voyait pas du tout les choses de la même manière que les musiciens : il souhaitait inviter des grands noms qui joueraient avec des musiciens de son choix. De notre côté, nous avions envie de jouer par affinités et par amitié, les groupes se formant au gré des volontés et des désirs des uns et des autres. La première saison comportait quatre concerts – il y en a cinq aujourd’hui.»
«Nous avons démarré avec peu de moyens, avec le concours amical du Conservatoire de Toulouse, à l’époque dirigé par Marc Bleuse, et avec le soutien de l’imprimerie Escourbiac, à Graulhet, qui a réalisé gratuitement pendant plusieurs années tous les supports de communication. Les musiciens et quelques bénévoles s’occupaient de tout ce qu’il fallait faire pour réaliser une saison de concerts. L’association Internotes organise chaque saison des Clefs de Saint-Pierre : elle regroupe des fidèles parmi le public des concerts des Clefs de Saint-Pierre et aussi de l’Orchestre du Capitole, et des musiciens qui organisent les concerts à l’auditorium Saint-Pierre-des-Cuisines et s’occupent de la réalisation des programmes, des affiches, de la billetterie, etc. Aujourd’hui, nous organisons également cinq concerts à l’Escale de Tournefeuille, dans le cadre du cycle “Les concerts au marché” qui ont lieu le dimanche matin.»
«Pour la programmation, un comité constitué de musiciens membres de l’association – et n’ayant pas proposé de programme – se réunit pour sélectionner les ensembles ayant soumis un projet. Dans la construction d’un programme de saison, on veille à garder un équilibre entre les différentes catégories d’instruments pour éviter, par exemple, que des cordes jouent toute l’année. Nous avons également beaucoup de plaisir à accueillir de nouvelles têtes, donc les jeunes musiciens ayant depuis peu intégré l’orchestre et qui font partie d’un ensemble ayant soumis un projet auront les faveurs du comité de programmation.»
Propos recueillis par Jérôme Gac
en octobre 2017, à Toulouse,
pour le mensuel Intramuros
Les Clefs de Saint-Pierre :
«Élégance française» , lundi 30 avril, 20h00, à l’auditorium Saint-Pierre-des-Cuisines,
12, place Saint-Pierre, Toulouse. Tél. : 06 63 36 02 86

Les Clefs de Saint-Pierre