Merci D’Avoir Répondu – Chaque jour, Culture 31 se fait l’écho de la création culturelle à Toulouse et ailleurs. Aujourd’hui, nous posons deux questions très simples à l’un de ses acteurs : La culture : pourquoi ? La culture : comment ?
Vous avez un jour décidé, malgré les multiples difficultés du métier d’auteur, de vous consacrer à l’écriture, et plus spécifiquement à l’écriture jeunesse. Quel a été votre cheminement jusqu’à cette décision ?
Je ne savais rien du métier d’auteur. Qu’il soit pour adulte, jeunesse, pour tous les âges. Ça ne faisait pas partie des métiers que j’imaginais « pour plus tard ». Pâtissier oui, comédien de théâtre, j’aurais aimé. Mais c’est surtout papa que je suis devenu. À vingt-et-un ans, et comme une illumination : celle que ma vie tournerait autour de ce bouleversement. C’est ma plus belle carte d’identité, papa.
L’écriture était déjà là, mais c’est à ce moment précis que j’ai franchi le cap d’envoyer un premier manuscrit à un premier éditeur. Grâce à la grande complicité de la maman de mes filles, tout a été facile. Nous étions de grands lecteurs de livres jeunesse.
Je crois qu’il m’a fallu beaucoup d’innocence, de naïveté et sans doute l’audace de mes vingt-et-un ans pour penser une publication possible. Peut-être aussi parce qu’une chanteuse qui me fascine, Anne Sylvestre, venait de m’écrire qu’elle pouvait faire les musiques des textes que je lui avais envoyé. Ce projet ne s’est jamais fait mais…mon premier livre venait de sortir aux Editions Actes Sud Junior.
Vous êtes auteur, participez à des lectures publiques, rencontrez les lecteurs, animez des ateliers. Vous êtes aussi membre de l’Atelier du Trio, qui propose performances scéniques et expositions. Autrement dit : vous êtes à l’inverse du cliché de l’écrivain entouré de chats et seulement concentré sur son œuvre. Quelle est votre nécessité dans cette démarche d’ouverture : au public, mais aussi à de multiples disciplines ?
L’écriture, même si elle m’est viscérale -je le sais aujourd’hui- n’est pas ce qui m’accapare le plus. À l’inverse de plusieurs amis, je ne suis jamais hors de la vie lorsque j’écris. On peut me proposer un cinéma ou un verre à boire : je remettrai les mots à plus tard sans aucun regret. Parce que c’est, bien sûr, ce qui nourrit mes histoires. C’est aussi pour ça que je suis souvent sur les routes, à la rencontre des enfants, des adolescents ou des adultes. Les mêmes qui mettent en lumière ces livres qui ne seraient sans doute jamais vus dans tout ce qui se fait. Je dois beaucoup aux enseignants, aux libraires, aux bibliothécaires, aux organisateurs de salons du livre…
Ce qui me guide, c’est avant tout le plaisir et la possibilité de me surprendre. Cela passe depuis longtemps par la lecture à voix haute. J’ai été élevé à cela. Les histoires enregistrées, avec le ton et les musiques pour créer l’ambiance… ça me permet de m’adresser aux petits comme aux plus grands, aux adolescents qu’on a perdu, parfois, en lecture et en écriture.
En les rencontrant lors des salons du livre, en classe ou en atelier d’écriture, je vois que lire ne va pas de soi, c’est un vrai apprentissage. Pas simplement déchiffrer, mais lire entre les lignes. C’est ce qu’offre la littérature : les silences, la subtilité… lire à haute voix ouvre des portes insoupçonnées à des oreilles qui n’auraient jamais lus ces textes.
Ces ados sont capables, dans la même heure, d’être des murs de pierre, des bâtons de dynamites, des bulldozers, des oreilles avides et des yeux sensibles, des avis précis sur ce qu’on leur fait lire. Ils disent surtout : « regardez-moi », « écoutez-moi », « aimez-moi ». S’il y a bien un endroit où on ne peut pas tricher, c’est devant un adolescent !
Une lecture théâtralisée est un moment partagé autour d’un texte. Je tiens au livre entre les mains. Pour que l’objet soit au centre. Parce que c’est lui qui renferme les mots qui font les émotions. C’est de lui dont il ne faut plus avoir peur. Il s’agit de donner l’envie. Cela passe donc par le choix de textes exigeants mais adaptés. De récits contemporains et littéraires comme ceux de la collection « d’une seule voix » chez Actes Sud, par exemple.
C’est effectivement ce que nous faisons aussi avec Cathy Ytak et Gilles Abier, sous le nom de L’Atelier du Trio : faire découvrir trois voix pour trois écritures différentes. Écrire ensemble aussi, pour lier nos questionnements, trouver la forme graphique la mieux adaptée pour exposer nos trois univers.
Transmettre le plaisir, dire ce qui me touche, me met en colère, me fait peur ou me passionne : c’est ce qu’on m’offre de partager au jour le jour. C’est une liberté qui se paye en kilomètres parcourus, sans doute, mais qu’elle chance de pouvoir s’exprimer !
Question subsidiaire : votre bibliographie est particulièrement étoffée, pourtant, vous avez voulu racheter les droits de l’album Rendez-vous n’importe où, à présent épuisé, afin de le rééditer par crowd-funding. Pourquoi cette démarche, et ce livre en particulier ?
Parmi tous nos livres publiés, certains ont un écho qui nous dépasse. Ils ont leurs histoires propres. Et ça ne tient pas tant au livre lui même qu’à ce que les lecteurs en font. Rendez-vous n’importe où fait partie de ceux là. Avec deux ou trois autres, il est devenu l’un de mes passeports.
Il a été publié en 2003 par Valérie Cussaguet, alors éditrice des albums aux Éditions Thierry Magnier (aujourd’hui directrice des « Fourmis Rouges ») et illustré par Ingrid Monchy.
Sa vie a été très jolie. C’est loin d’être un classique, mais celles et ceux qui l’ont croisé en parlent avec beaucoup de tendresse. Sans doute parce que c’est une correspondance amoureuse…!
En 2005, il est devenu une pièce de théâtre imaginée et interprétée par Gingolph Gateau, avec Bérangère Lamy. Il a donné son nom à une librairie de Pontivy en Bretagne. Il a été dans la liste conseillée par l’Éducation Nationale.
Il y a quelques années, Thierry Magnier a proposé qu’il soit réimprimé en petit et souple dans une nouvelle collection. Un livre moins cher, avec plaisir… mais cela sous-entendait que le format album allait disparaître.
Or l’album est, je trouve, le format idéal du livre. Pour l’alchimie texte-images, pour les multiples lectures possibles, pour les âges variés qu’il touche. J’ai dit oui pour que d’autres titres passent dans cette collection, parce qu’ils ne perdaient pas trop à la réduction mais pour Rendez-vous n’importe où, son illustratrice et moi avons dit non. C’était la première fois que je disais véritablement « Non » en quinze ans d’éditions.
Thierry Magnier a tenu sa promesse. L’album a disparu. C’est là que nous avons récupéré nos droits. Il n’y a pas de gentils auteurs et de méchants éditeurs, il y a une logique commerciale qui souvent ne convient pas au livre. Nous travaillons sur du sensible et, encore une fois, Rendez-vous n’importe où est ma carte d’identité.
C’est bien pour ça qu’après avoir digéré la tristesse, la question s’est posée de le refaire. L’album aurait pu trouver sa place chez d’autres éditeurs qui l’avaient aimé, mais sans les illustrations d’Ingrid.
Ça aurait été une belle aventure nouvelle de l’imaginer autrement, mais les images d’Ingrid Monchy sont le livre. Elles n’ont rien perdu de leur sensibilité ni de leur force poétique. Là encore, c’était impossible autrement.
Le crowd-funding permet cette autonomie de création. Nous avons tous deux remonté nos manches et voilà : grâce aux soutiens multiples, à la grande fidélité des gens que nous croisons et qui nous font confiance sur le terrain, là où vivent vraiment nos livres (loin des entrepôts onéreux des distributeurs), Rendez-vous n’importe où va renaître, pour de nouveaux lecteurs.
Alors, sans doute que ça ne bouleversera pas le monde entier. Mais en 2018, cela fera vingt ans que mon premier livre a été publié et celui-ci, fait par nos soins, sera un beau cadeau d’amour…pour continuer.
Thomas, merci d’avoir répondu.
Eva Kristina Mindszenti
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