Rien n’égalera jamais la sincérité. Rien ne surpassera la puissance d’une conviction portée en soi telle une vérité inébranlable. Voilà qui pourrait résumer l’humeur de Stephen Morrissey le jour où il composa les paroles de Meat Is Murder.
Quelques mois plus tôt, en février 1984, un premier album a offert la gloire immédiate à son groupe, The Smiths, quatre garçons de Manchester : Johnny Marr à la guitare et la composition, Andy Rourke à la basse, Mike Joyce à la batterie et Morrissey aux voix et aux textes.
Captant avec une acuité rare l’esprit d’une époque et les travers d’une nation, cet opus éponyme a suffit pour voir Morrissey promu, à raison, meilleur parolier d’Angleterre.
Richard Boon, directeur de production chez Rough Trade Records, expliquera: « Les Smiths étaient des nordistes attachés à une tradition d’opposition ouvrière opiniâtre, mais exprimée d’une façon très plaisante, très séduisante. Il n’était pas question de dresser des barricades et de hurler. C’était beaucoup plus subtil. Leur intention était de toucher ceux qui se sentaient privés de voix. »
Pour leur deuxième album, le groupe souhaite délivrer un message précisément politique et dénoncer « la violence, l’oppression et l’horreur » de temps troublés par les dommages de l’administration Thatcher. Aucun dysfonctionnement sociétal n’est épargné : depuis les châtiments corporels autorisés (avec The Headmaster Ritual) à l’inhumanité des foyers pour enfants (avec Barbarism Begins At Home).
Au mois d’octobre 1984, Morrissey s’attaque à un thème lui tenant particulièrement à cœur : la cruauté envers les animaux. Initié par sa mère au végétarisme à l’âge de onze ans, c’est un fervent défenseur de la cause animale, qui refuse de s’attabler devant un repas carné et a converti ses condisciples à sa croisade.
Il écrit le texte d’une traite, exprimant sa sensibilité profonde avec une force évocatrice apte à hanter éternellement tout auditeur :
This beautiful creature must die
A death for no reason
And a death for no reason is murder
(…)
It’s not natural, normal or kind
The flesh you so fancifully fry
The meat in your mouth
As you savour the flavour
Of murder
/
Cette magnifique créature doit mourir
Une mort inutile
Une mort inutile est un meurtre
(…)
Ce n’est ni naturel, ni normal, ni bon
Cette chair que vous faites frire avec enthousiasme
Cette viande dans votre bouche
Quand vous savourez le goût du meurtre
Son titre : Meat Is Murder.
Stephen Street, l’ingénieur du son de l’album, se souvient : « Il n’y avait pas de démo. Les accords étaient inhabituels sur ce morceau, ils voulaient créer une atmosphère. Johnny a esquissé les accords, puis on a rajouté du piano et inversé les premières notes pour créer cette noirceur oppressante. Morrissey m’a remis un disque d’effets sonores de la BBC et m’a dit : « Essaye de créer le bruit d’un abattoir. » Sur le disque, on entendait des vaches mugir gaiement dans les champs. C’était un défi, mais j’ai adoré. J’ai utilisé une sound machine, un harmonizer et baissé les fréquences pour les rendre plus sombres, plus terrifiantes. C’était comme un collage sonore. Le groupe a appris à jouer la chanson live après qu’elle a été enregistrée. »
Le titre devient aussi celui de l’album. Sorti le 11 février 1985, son caractère subversif le place en une des journaux et au sommet des charts britanniques avec This Joke Is Not Funny Anymore comme premier et unique single.
Jugée trop angoissante, la chanson titre ne connaîtra jamais de sortie et ne sera pas jouée en radio. Pourtant. Son influence se révélera inversement proportionnelle à sa diffusion. Bientôt : c’est par milliers que se dénombrent ceux clamant s’être convertis au végétarisme après avoir écouté l’album.
Angus Batey, journaliste au Guardian, se souvient : « Ce disque a été une partie significative dans le processus qui a conduit à ma décision d’abandonner la viande, qui fit une différence fondamentale sur la manière dont je vis depuis maintenant trente ans.
Bien que l’opus suivant, The Queen Is Dead, s’éloigne du manifeste politique pour revenir à des thématiques plus quotidiennes, Morrissey restera toujours fidèle à sa bataille.
Trois décennies après la sortie de Meat Is Murder, devenu artiste soliste et ambassadeur de PETA*, il déclarera recevoir encore de nombreux messages où les fans expriment combien l’album les a profondément changés : « Tant de gens m’ont dit avoir arrêté de dévorer de la chair après nous avoir entendus. Je ne peux pas demander plus que cela. Je ne pourrais rien espérer de plus. »
Si rien n’égalera jamais la sincérité, il est une chose qui dépasse la puissance d’une conviction portée en soi telle une vérité inébranlable : découvrir que d’autres la partagent.
Eva Kristina Mindszenti
*PETA (People for the Ethical Treatment of Animals) : association à but non-lucratif dont l’objet est de défendre le droit des animaux.
The Smiths : Meat is Murder
.
En 2016, The Smiths réunis pour l’occasion ont sorti avec PETA un jeu vidéo, intitulé This Beautiful Creature Must Die, pour dénoncer l’élevage industriel : « Ce jeu symbolise la plus grande des croisades sociales, préserver les faibles et les sans défense de la cruauté humaine. Vous ne trouverez pas ça avec les Pokémons » a déclaré Morrissey.
This Beautiful Creature Must Die par PETA : http://features.peta.org/meat-is-murder-game/
Parce que rien n’éclaire mieux nos vies que leurs bandes-sons, Culture 31 s’intéresse aux chansons qui ont marqué l’Histoire, la grande comme la petite.
Chapitre I : Gloomy Sunday (Szomorú Vasárnap) le chef-d’œuvre tragique de Rezső Seress
Chapitre II : My Way de Frank Sinatra
Chapitre III : Good Vibrations – The Beach Boys
Chapitre IV : I wanna be your man – The Rolling Stones / The Beatles
Chapitre V : Mission : Impossible par Lalo Schifrin
Chapitre VI : I Feel Love par Donna Summer
Chapitre VII : Let’s Dance de David Bowie
Chapitre VIII : Smoke On The Water de Deep Purple