Les 20 et 21 septembre, des centaines, sinon des milliers de lieux, souvent invisibles par le public, ont ouvert leurs portes au public le plus large, dans une belle démarche citoyenne, dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine*.
A Toulouse, ce ne fut, hélas, pas le cas de la Chapelle Notre Dame de Nazareth, située 4 rue Philippe Féral, car elle vient d’être fermée au public, pour une durée indéterminée, pour « raisons de sécurité » (?), par décision de l’Archevêché de Toulouse en date du 1er septembre.
On ne peut que le regretter: depuis 2 ans, la Mission catholique italienne de Toulouse**, qui faisait vivre ce site depuis près d’un siècle, avait pris l’initiative de l’ouvrir à tous, organisant même des concerts (respectant l’esprit du lieu et sa vocation spirituelle, comme ceux de la harpiste Katrine Horn, la soprano Muriel Barbie-Castell ou encore du groupe de polyphonies sacrées corses Andému). L’an passé, plus de 1000 personnes avaient été sidérées par la beauté, par le mobilier et l’acoustique exceptionnels, de cette Chapelle, située à l’écart des rues passantes, dans le quartier des Carmes.
Le 6 mars 1954, par ordonnance du Cardinal Saliège***, elle était devenue le siège de la Mission Catholique Italienne de Toulouse, qui a accueilli tout au long du XXème siècle les nombreux immigrants, les hébergeant dans la maison attenante et les aidant à s’insérer dans la société française. Une messe en italien y était toujours célébrée le premier samedi du mois; et la spiritualité, la solidarité, comme la convivialité de ses fondateurs perduraient toujours en ces lieux. Jusqu’au mois de juin dernier.
Alors, même si cette porte a été fermée pour longtemps semble-t’il, nous vous proposons une visite virtuelle.
Cette Chapelle est un harmonieux édifice gothique construit de 1452 à 1520, sur le site d’un oratoire abritant une statue de la Vierge découverte vers 1265 devant la Porte Montgaillard (Jardin des Plantes), lors du recreusement des fossés de la ville: la Maison de la Vierge, objet de grande dévotion, prendra le nom de Notre Dame de Nazareth, par allusion à l’église de cette ville de Judée, la plus grande du Moyen-Orient. Devenue Chapelle des gens du Palais de Justice, elle a accueilli les sépultures de plusieurs de leurs notables.
On peut lire au-dessus de l’autel la mention « autel privilégié », ce qui signifie qu’un Pape (peut-être Pie XI dont les armoiries sont visibles sur un des murs) avait accordé ce titre, moyennant finances sans doute, pour célébrer des offices sous sa bénédiction et délivrer des indulgences.
Le maître-autel est surmonté d’un fronton et d’un retable en bois doré à colonnes cannelées encadrant une magnifique Annonciation du XVIIème siècle. De part et d’autre, 4 bas-reliefs en bois peint doré du XVIIIème siècle dont un représente une Vierge à l’Enfant ; au-dessus encore, un tableau de la Visitation attribué à Jean-Pierre Rivals (1625-1706), architecte et peintre toulousain de renom.
Le vitrail de l’abside daté du XVIème siècle, un des très rares épargnés par la Révolution, représente une Nativité dans l’étable; au sommet, la Maison de Nazareth, la Santa Casa, qui selon la tradition est portée par les anges de Palestine à Lorette en Italie. Est évoquée par là l’origine de cette Chapelle.
Les deux absidioles**** Nord présentent de remarquables retables en bois doré à colonnes du XVIIème siècle. Celle de Saint Joseph, plus stricte, conserve un tableau de Sainte Catherine de Sienne (sainte patronne de l’Italie) qui œuvra longuement pour le retour à Rome des Papes d’Avignon: en haut à gauche, y figure Saint Pierre du Vatican; le couvent de son ordre, les Dominicaines, se situait à Toulouse, sensiblement à l’emplacement de l’actuelle Grande Poste.
Au fond de la nef, face Sud, une importante toile de 2,8m sur 2,2m datée du XVIème siècle, représente une autre Vierge à l’Enfant, en compagnie de Saint Ignace de Loyola et d’un ange, couvrant de son manteau 9 religieuses vêtues de noir et blanc: les vêtements de celles-ci, semblables à ceux des Bénédictines, permettent d’identifier un ordre féminin, les religieuses de Notre Dame, ou religieuses du Sac, qui avaient leur maison sise rue Larrey (ancienne rue du Sac).
En levant les yeux, on peut y admirer un superbe plafond en excellent état de conservation, couvert de fresques aux tons bleus célestes!
L’orgue du XIXème siècle, œuvre de Théodore Puget, qui ne demande qu’une petite toilette, mériterait de s’inscrire à nouveau dans le patrimoine organistique toulousain si bien mis en valeur par le remarquable Festival Toulouse les Orgues***** qui se déroulera du 2 au 12 octobre.
D’autant que l’acoustique de la Chapelle est exceptionnelle, y compris au niveau des voix, séduisant il y a quelques décennies l’Orchestre de Chambre de Toulouse (dont la saison 2014-2015 s’annonce aussi passionnante que les précédentes******) qui y avait répété, et même enregistré sous la direction de Louis Auriacombe dans les années 70 et 80. Renaud Grüss, le contrebassiste à qui l’Orchestre doit en grande partie sa survie, alors qu’il a failli disparaître à la veille de son 50° anniversaire, se souvient en particulier d’un enregistrement en 1984 des Variations on a theme of Franck Bridge de Benjamin Britten avec Gérard Caussé: la Chapelle s’appelait alors Chapelle des Italiens !.
Même s’il reste beaucoup d’autres lieux du patrimoine toulousain à visiter, et que l’on ne pourra pas tous les admirer en deux jours, il est toujours triste de voir se fermer l’un d’entre eux, trop méconnu. Outre les édifices religieux où, même si l’on n’est pas croyant, on peut être ému par la beauté et la spiritualité à l’oeuvre, ne vous privez pas d’aller musarder dans l’un ou l’autre de ces sites sur lequel le temps a si peu de prise, nous rappelant notre humaine condition en même temps que la grandeur de l’Homme quand il oublie ses penchants guerriers ou obscurantistes, quand il veut se dépasser par ses œuvres artistiques, en l’occurrence architecturales.
Pour vous guider ou vous rafraichir la mémoire, nous vous recommandons le magnifique ouvrage de Jean-Claude Jaffé Toulouse « Le patrimoine révélé ».*****
Et n’oubliez pas le poème de Marc Lafargue (1876-1927), poète lui aussi quelque peu oublié (son buste, œuvre du sculpteur Henry Parayre, enfoui dans quelque réserves poussiéreuses de la ville, attend toujours d’être remis à sa place devant les Augustins), qui se désolait de ne plus pouvoir « se rincer l’œil et l’âme » dans ces édifices de plus en plus nombreux fermées au public:
Ah ! si j’ai bien souvent un sujet de tristesse
C’est quand je ne vois plus
Ces maisons que j’aimais, ces hôtels de noblesse
Dans les quartiers perdus.
Combien de ces logis avec leur vigne vierge
Et leur puits dans la cour
Et leur petit donjon qui vers le ciel émerge
Sont perdus pour toujours.
PS. Avec de nombreux concitoyens, nous comprenons bien sûr les soucis de sécurité de l’Archevêché qui l’ont poussé à cette décision.
Mais nous soutenons la démarche de Don Mario Daminato et du Conseil pastoral de la Mission catholique italienne, afin que des solutions techniques soient trouvées rapidement par les équipes de l’Archevêché, en concertation avec celui-ci.
Afin que les portes de la Chapelle Notre Dame de Nazareth restent ouvertes au plus grand nombre, ainsi que le souhaitaient ses bâtisseurs, ceux qui l’ont fait vivre pendant des siècles, religieux comme laïcs; sans parler de la Mission catholique, dont le souvenir d’un des membres les plus actifs, Don Alfonso Masielo, perdure ne serait-ce que par la plaque apposée à côté de Catherine de Sienne.
Pour les Journées du Patrimoine, mais aussi aussi souvent que possible.
A Naples, dont la situation économique et sociale a tout à envier à celle de la Ville Rose, depuis 1993, des monuments, sites, cloîtres, statues de Saints etc. ont été sauvés de l’oubli par « l’Opération Adoption », à laquelle participent même des écoles; édifiant par là des gamins dont l’avenir était catastrophique.
Un exemple à méditer, car « Lorsque la beauté règne sur les yeux, il est probable qu’elle règne aussi dans l’âme » (Vauvenargues).
E.Fabre-Maigné
19-IX-2014
* Journées européennes du Patrimoine: le thème 2014 « Patrimoine culturel, Patrimoine naturel » ouvre résolument le champ du patrimoine avec la mise en lumière de sites où nature et patrimoine sont indissociablement liés.
Ce thème s’inscrit dans la continuité du thème précédent, « Cent ans de protection », la notion de patrimoine ayant énormément évolué depuis le début du XXe siècle. La société, dans son ensemble, a pris conscience de sa diversité comme de sa valeur citoyenne, économique et sociale, modifiant sa perception auprès du public mais aussi les actions pour sa protection, sa conservation ou sa mise en valeur, ainsi que sa gestion par les pouvoirs publics. Aujourd’hui, le patrimoine ne se conçoit plus sans son environnement végétal, urbain, littoral ou champêtre – qui le côtoie, l’abrite ou le sublime.
Les Journées européennes du patrimoine sont organisées par le ministère de la Culture et de la Communication / direction générale des patrimoines et mises en œuvre par les directions régionales des Affaires culturelles. Placées sous le patronage du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne, elles bénéficient de l’engagement des architectes en chef des monuments historiques, de l’Institut national de recherches archéologiques préventives et du réseau des Villes et Pays d’art et d’histoire.
http://www.journeesdupatrimoine.culture.fr
** Mission catholique italienne de Toulouse: Les missions catholiques italiennes ont une longue histoire du fait que l’immigration italienne de masse a commencé après 1920. L’Eglise d’Italie a pris l’initiative d’envoyer des prêtres italiens pour accompagner et assister spirituellement cette nombreuse immigration. Un ordre est né, « les scalabrini », dont la vocation a été d’aller dans tous les pays accompagner ces italiens qui ont émigrés en Australie, en Argentine, au Canada, sans compter tous les pays d’Europe. De 1947 à 1950, il y a eu une très forte arrivée d’Italiens dans notre région. Les souvenirs sont encore bien vivants chez les anciens du travail accompli par l’infatigable Don Masiello. C’était un abbé Pierre avant l’heure par sa disponibilité et son courage; il avait accès à la préfecture pour régulariser des papiers, trouver un médecin… que de visites faites et de messes célébrées dans nos villages ! surtout à la campagne parce les italiens ne pouvaient exercer que le travail de la terre. Voir le remarquable ouvrage de Laure Teulières (2010) Histoire des immigrations en Midi-Pyrénées (XIXe-XXe siècles), Nouvelles Éditions Loubatières, 176 p., ISBN : 978-2-8626-6624-2.
*** Monseigneur Jules-Géraud Saliège, ecclésiastique et résistant français (1870-1956).
Mobilisé en 1914, il participe à la Grande Guerre comme Aumônier Militaire; affecté à la 163ème Division d’Infanterie, l’Abbé Saliège, sur le front, se dépense sans compter, visitant quotidiennement les tranchées malgré les violents bombardements pour y donner ses soins et ses consolations aux blessés.
Démobilisé en 1918, il est nommé Evêque de Gap en 1925 puis Archevêque de Toulouse en 1928. Après la débâcle de juin 1940, il poursuit ses activités ecclésiastiques mais, dès le mois de mars 1941, il prend ses distances avec le gouvernement de Vichy, n’admettant ni ses principes totalitaires, ni sa législation antisémite. A partir de ce moment, Monseigneur Saliège ne cesse de protester véhémentement contre les arrestations de Juifs réalisées par Vichy en coopération avec les nazis: patronnant des œuvres caritatives en leur faveur, il s’insurge contre le sort qui leur est réservé, c’est-à-dire le départ vers les camps d’extermination allemands qui commence le 3 août 1942 sous la direction de la Police française. Il participe alors pleinement à l’organisation du placement d’enfants et d’adultes juifs menacés, dans des lieux sûrs aux alentours de Toulouse, risquant à chaque fois de se faire arrêter. A Capdenac, au Couvent de Massip, les Sœurs cacheront et sauveront, à sa demande, près d’une centaine d’enfants juifs livrés par le gouvernement de Vichy à la déportation et à une mort certaine.
Le 23 août 1942, il ordonne la lecture publique dans son diocèse d’une lettre pastorale restée célèbre dans laquelle il affirme : « les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes… Tout n’est pas permis contre eux… Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier. »
Le texte de cet appel, lu en chaire, bouleversent les consciences de nombreux paroissiens et partant de nombreux citoyens. Repris à l’étranger, en particulier en Suisse, cet appel qui est une véritable remontrance, aura un retentissement considérable. Bien qu’interdite par arrêté préfectoral, la lecture de cette lettre a quand même lieu dans toutes les paroisses et surtout, elle sera reprise et diffusée sur les ondes de la B.B.C à Londres. Laval est furieux, il craint que les Allemands ne remettent en cause son autorité. Le chef du gouvernement convoque le secrétaire de la nonciature du Vatican pour demander la mise à la retraite anticipée de Monseigneur Saliège. Celui-ci ne pourra empêcher la rafle de la nuit du 26 au 27 août, qui conduit à l’arrestation de 6.845 personnes Ses lettres pastorales continueront à mettre l’accent sur le refus de la barbarie. Il fait lire en chaire ces textes que les croyants pouvaient relire dans « La Semaine Catholique », rappelant qu’à côté des obligations de la charité, les exigences de la justice doivent être respectées.
Il manque d’être déporté à son tour, car le 9 juin 1944, deux hommes de la Gestapo se rendent à son domicile afin de l’arrêter: Il ne doit alors son salut qu’à son état de santé précaire, une paralysie du bulbe rachidien, à son grand âge et à l’opposition passive des habitants du quartier.
A la Libération, Monseigneur Saliège, considéré comme le premier résistant de la ville, seraacclamé par plus de 20 000 personnes sur la place du Capitole. Le 18 février 1946, il reçoit la Croix de la Libération en même temps que ses insignes de Cardinal.
Le Cardinal Saliège a été inhumé dans la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse et un buste le représentant a été érigé dans le jardin de celle-ci, avec le texte qui, hélas s’efface comme la mémoire de certains, de sa Lettre pastorale « Sur la Personne humaine ».
**** Absidioles: Petite chapelle en hémicycle autour de l’abside principale ou sur les bras du transept d’une église.
***** Festival Toulouse les Orgues : la 19° édition, intitulée « l’Orgue dans la Cité » toujours portée par une équipe passionnée de permanents et de bénévoles, et impulsée avec un sang neuf par l’organiste Yves Rechsteiner, aura lieu du 2 au 12 octobre à Toulouse et en région.
****** De l’Arte del Violino à Café Tango, en passant par Marais, la Viole de Gambe
www.orchestredechambredetoulouse.fr
******* Photographies Arnaud Späni aux Editions Privat