Ce nouveau disque sera présenté à Paris le 27 février, et dès le 3 avril, il sera en concert au Théâtre de Muret avec ses French Standards, qui sont déjà disponible sur internet (www.abeillemusique.com).
Doit-on présenter Philippe Léogé*, musicien incontournable de la scène hexagonale, et même au-delà, et directeur artistique du Festival Jazz sur son 31? Il compose, arrange, improvise et enseigne, il anime le Big Band 31 Cadet, composé de jeunes musiciens de 10 à 16 ans, tous issus des Ecoles de Musique du Département, dont certains renaissent dans cet ensemble et grâce à la musique après de rudes épreuves. Tout cela avec la même passion. Eclectique, il ne connaît pas de frontières: butinant du Jazz à la Pavane avec les Sacqueboutiers, -l’Ensemble de Cuivres anciens de Toulouse-, il puise aussi aux sources de la musique « classique » avec par exemple le non moins superbe Chant de la Terre de Déodat de Séverac, en duo avec le saxophoniste Jean-Marc Padovani.
Il s’agit ici encore et toujours d’improvisations**, sur des thèmes très connus. Léogé se livre à une relecture originale de quelques chansons françaises inoubliables qui furent reprises par des jazzmen et autres crooners américains, au point de figurer dans le grand répertoire du Jazz et de devenir ce que l’on appelle des standards (composition musicales qui revêtent une importance particulière dans cette musique, souvent à base d’arrangements ou d’improvisations, très souvent joués, repris, détournés, en particulier lors de jam sessions; ils représentent à la fois un patrimoine historique, un détournement artistique, et un dialecte original de la langue vernaculaire des jazzmen).
Beaucoup sont des chansons populaires, et certains empruntent, comme ceux choisis ici, à la « chanson française » qui désigne depuis 1945 un genre musical se définissant par la mise en valeur de la langue française, avec la référence à des maîtres et modèles hérités de la littérature poétique, où le texte est primordial, par opposition aux formes dominantes privilégiées par l’industrie musicale, où celui-ci est secondaire par rapport à la musique.
On sent bien que chacune de ces versions est influencée par le souvenir poétique des paroles de ces chansons éternelles: comme le dit lui-même le musicien, « le propos de cet album est donc de jouer sur la relation entre le jazz et la musique classique des impressionnistes en favorisant avant tout la mélodie et l’harmonie ».
Citons par exemple, La belle Vie, une chanson composée par Sacha Distel en 1962, devenue un standard de jazz en 1963 lorsque le chanteur américain Tony Bennett l’enregistra sous le titre de The Good Life; What now my Love, paroles de Pierre Delanoë et musique de Gilbert Bécaud en 1961, reprise avec succès par des dizaines d’interprètes anglo-saxons, sous le titre de Et maintenant (par Shirley Bassey ou Sarah Vaughan en particulier); Que reste-t-il de nos amours ?, chanson écrite et interprété par Charles Trenet, un de ses plus grand succès, qui a servi de bande sonore aux Baisers volés de François Truffaut en 1968: I wish your Love a brillé de tous ses feux avec Nat King Cole, Frank Sinatra, ou Chet Baker (qui en a enregistré une version instrumentale et partiellement improvisée, jouée au bugle); ou encore Ne me quitte pas de manière déchirante par Nina Simone…
Sans oublier le coup de chapeau à Claude Nougaro qui, lui, avait mis des paroles sur des standards américains, dans un medley intitulé Monsieur Claude : Autour de minuit (Around midnight), Dansez sur moi (Girl talk), Bidonville (Berimbau), Sing Sing (Worksong).
Seul petit regret (personnel), il n’y a pas Léo Ferré qui n’a pourtant pas dédaigné le Jazz, a inspiré des musiciens amoureux de cette musique, comme le contrebassiste Yves Rousseau dans le disque « Poètes, vos papiers », ou Roberto Cipelli (piano), Gianmaria Testa (voix et guitare) et Paolo Fresu (trompette) sur « F. à Léo (EMI) »; et Dee Dee Bridgwater (qui a chanté Billie Holiday avec le Big Band 31) a donné une superbe version de l’inoubliable Avec le temps, pourtant repris des centaines de fois.
Mais je ne boude pas mon plaisir qui est profond à chaque plage; bien au contraire.
En enregistrant au Domaine musical de Pétignac, dans la région Poitou-Charentes, chez Gérard Fauvin, un concessionnaire passionné, sur un Steinway and Sons, Philippe Léogé a cherché à retrouver une palette sonore picturale, comme celle des 24 Préludes de Debussy***, à la manière de Samson François (1924-1970), ce géant de la musique classique trop tôt disparu, grand amateur de Jazz. Et il y réussit fort bien, développant un chatoiement de couleurs qui reflète à merveille les tranches de vies évoquées par les chanteurs revisités ici.
Ces thèmes coulent de source pour cet étonnant musicien, dont les notes font penser à des gouttes d’eau. Il s’agit bien de cela, de rêverie au fil de l’eau de la musique: Philippe Léogé nous « donne une impression de jeunesse ou de jouvence en nous rendant la faculté de rêver et de nous émerveiller » comme disait Bachelard dans L’eau des Rêves.
Et la musique emporte tout En entraînant dans son sillage Tous ceux qui rêvent de voyages intérieurs…
Même si le Real Book rassemble les grilles harmoniques de nombreux standards de Jazz, il n’existe pas de liste officielle de ceux-ci; mais nul doute que ce Léogé French songbook va devenir un standard des amateurs de musique poétique!
Voilà un superbe cadeau à faire à ceux que vous aimez: de quoi leur tenir chaud dans les frimas à venir, comme s’ils étaient dans un club de jazz new-yorkais ou dans la maison de Déodat de Séverac quand les voitures n’avaient pas encore raccourci le temps.
E.Fabre-Maigné
*http://www.philippe-leoge.com
**N’oublions pas qu’improvisée, la musique le fut souvent à l’origine dans les traditions, méditerranéennes, indiennes ou extrême-orientales, avant d’être écrite, codifiée à la note près, même si certains musiciens classiques comme Bach, Beethoven et certains organistes ne l’ont pas dédaignée. C’est le Jazz, dans les ragtimes puis dans ses grandes heures, qui a donné en Occident ces lettres de noblesse à cette technique. Et comme on le sait, on ne peut improviser que sur ses bases solides: même si au final, on a l’impression que « c’est facile », seuls les musiciens les plus accomplis y parviennent.
***compositions très libres, à propos desquelles le compositeur disait : « Quand on n’a pas les moyens de se payer des voyages, il faut suppléer par l’imagination », en hommage à ceux de Frédéric Chopin.