Dans son essai Le prof de philo fait son cinéma, Mariangela Perilli explore avec finesse l’image du professeur de philosophie telle qu’elle se déploie dans le cinéma et les séries télévisées françaises. Plus qu’un simple inventaire de rôles ou de personnages, l’ouvrage interroge les mythes et stéréotypes qui, en France, imprègnent cette figure si particulière qu’est le « prof de philo ». Perilli met en lumière les ressorts historiques, sociaux et esthétiques qui nourrissent son aura, tout en soulignant la singularité de ce statut : la philosophie, « discipline de couronnement » au lycée, exerce un attrait puissant sur l’opinion publique, notamment à l’approche du fameux bac.

Mariangela Perilli
L’autrice montre comment le grand écran s’empare volontiers de cette figure : de nombreuses fictions donnent à voir un professeur de philosophie occupant un rôle souvent disproportionné par rapport à sa place réelle dans la société. Cette omniprésence suscite alors des questions : pourquoi ce « prof de philo », censé n’être qu’un enseignant parmi d’autres, se retrouve-t-il investi d’une telle importance symbolique ? Quels désirs ou craintes projette-t-on sur la philosophie, cette matière tour à tour admirée pour sa « subversion » et redoutée pour son exigence ?
Le livre se déploie en une série de chapitres mêlant analyse historique et décryptage culturel. Mariangela Perilli remonte d’abord à l’héritage antique, où Socrate ou Diogène ont inspiré un « corps philosophique » souvent présenté comme marginal et subversif, mais aussi auréolé d’un prestige quasi mystique. De ces modèles gréco-romains subsistent aujourd’hui des archétypes : barbe imposante, habit négligé, attitude détachée ou désabusée – autant de codes qui nourrissent la représentation moderne du professeur de philosophie.
Lorsqu’elle s’attarde sur le « prof de philo » français, Mariangela Perilli souligne combien le cinéma joue d’une double représentation : d’un côté, un intellectuel puissant, héritier d’une « matière reine » qui confère une forme d’autorité magique ; de l’autre, une figure parfois cynique, séductrice ou même sadique à l’égard de ses élèves. S’appuyant sur des films grand public comme Nos 18 ans ou sur des réalisations plus confidentielles (chez Rohmer, Brisseau…), l’autrice met en évidence des invariants : l’étroit bureau croulant sous les livres, le goût prononcé pour la joute verbale, l’éternel sentiment d’être « à part » au milieu d’autres professeurs.
Ce qui retient l’attention, c’est la capacité de Perilli à convoquer un large éventail de références : histoire de l’art, théorie littéraire, sociologie (de Barthes à Bourdieu), chaque discipline éclaire à sa manière la question de l’iconographie philosophique et du mythe qu’elle produit. L’usage du terme « mythe » fait écho à la définition qu’en donne Roland Barthes ; la représentation du « prof de philo » s’en trouve hypertrophiée, prenant un relief qui va bien au-delà de la simple fonction d’enseignant. Le professeur devient alors l’incarnation d’un Savoir tantôt subversif, tantôt sacralisé.
L’un des moments les plus intéressants de l’ouvrage est sans doute la réflexion autour des rares représentations féminines de ce stéréotype. Que faire de la « barbe du philosophe » – symbole traditionnellement associé à l’autorité et à la virilité – lorsqu’il est question d’une professeure de philosophie ? De quelle manière le cinéma compose-t-il avec un corps féminin pour exprimer la marginalité ou la sagesse ? Ce changement de perspective dévoile les difficultés qu’éprouvent certains réalisateurs à se départir de modèles masculins, tant la figure du philosophe demeure, dans l’imaginaire collectif, solidement ancrée dans le patriarcat.
Malgré l’ampleur du propos et la richesse des références, Le prof de philo fait son cinéma conserve une remarquable fluidité. La progression est clairement structurée : chaque chapitre illustre ses démonstrations avec des extraits précis (scènes, dialogues, caractères de personnages) tout en s’appuyant sur une solide réflexion conceptuelle. Ce va-et-vient constant entre théorie et exemples concrets rend la lecture accessible, même pour qui ne serait pas familier de la sémiologie ou de la sociologie.
À l’heure où la place du professeur de philosophie fait régulièrement l’objet de débats dans l’institution scolaire, l’ouvrage de Mariangela Perilli tombe à point nommé. Il décrypte avec érudition et vivacité les sources culturelles d’un « mythe » persistant et rappelle que, loin d’être neutre, le cinéma participe activement à la construction de notre imaginaire collectif. Les passionnés de philosophie, de cinéma ou simplement de représentations culturelles et médiatiques trouveront dans ces pages un examen stimulant et nuancé de la « fabrique » du philosophe à l’écran. Ce livre se lit, au fond, comme une invitation à réfléchir à la manière dont nos récits populaires, en magnifiant certaines figures, révèlent aussi nos fantasmes, nos attentes et notre rapport profond au savoir.
Le prof de philo fait son cinéma
Format 13×21 cm, 230 pages, 100 phothogrammes des films, 25,90€
Éditions LettMotif
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