Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
Nous aurons toujours Paris d’Eric Faye
Ecrivain aux inspirations et aux talents variés (ce dont témoigne encore son nouveau roman, Le Cinquième diamant, en librairie ce 7 mars), Eric Faye a notamment signé de formidables récits parmi lesquels Nous aurons toujours Paris, sorti en 2009. De Paris, cependant, il n’en est guère question dans ce texte vagabondant d’Afrique en Mongolie en passant par les Balkans ou le Japon, mais les cinéphiles auront reconnu l’une des phrases mythiques du Casablanca de Michael Curtiz lorsque Bogart et Ingrid Bergman doivent se quitter. « We’ll always have Paris » ne résonne pas comme une promesse de retrouvailles futures, mais plutôt comme l’évocation d’un « souvenir qui imprègne le présent et dont le parfum ne se dissipe jamais, et qui aide, transforme l’avenir en un jardin vivable ». L’auteur de Je suis le gardien du phare (prix des Deux-Magots 1998) et de Nagasaki (Grand Prix du roman de l’Académie française 2010) ouvre sa malle à souvenirs avec ce « livre dédié au merveilleux, à son acte de naissance ou plutôt à ses sources multiples, dès l’enfance. »

Eric Faye © Astrid Di Crollalanza
Retour donc au royaume de l’enfance avec les rêveries provoquées par les horizons lointains et les pays exotiques rencontrés au gré d’albums, de livres illustrés ou de photographies. La connaissance de l’Afrique s’est ainsi d’abord faite par « la forme d’un continent de papier et de dessins ». En ce temps, les distances ne sont pas abolies et le tourisme de masse balbutie à peine. La télévision n’est encore qu’une toute petite lucarne d’où s’échappent des expressions étranges comme Paris-Brune, Paris-Cedex ou Cognac-Jay, mais la radio fouette mieux l’imaginaire en colportant le bruit du monde. Eric Faye, né au début des années soixante, grandit dans « cette caverne d’Ali Baba de la France gaullienne ou pompidolienne » où « un bric-à-brac d’espoirs et de projets donne à l’époque un je-ne-sais-quoi d’ambitieux et de vivifiant, un air de bord de mer, une envie d’avenir avec des mots tout neufs ».
Le temps retrouvé
Au fil des pages, l’écrivain ne cesse de revenir à la « source magique de l’imaginaire », puise dans le passé pour repeindre et enchanter un présent qui n’est pas toujours décevant. Nous aurons toujours Paris offre aussi des séquences drôles et cocasses comme ce périple à la frontière du Sénégal et de la Mauritanie où le non-respect d’un panneau qui n’existe pas peut entraîner des soucis avec des fonctionnaires pointilleux. En Mongolie, à Oulan-Bator (dont le seul nom suscite des images d’aventures teintées de fantastique), on découvre que l’un des petits métiers de rue les plus répandus « consiste à louer aux passants l’usage de gros téléphones posés sur des tables en bois peint ». Surtout, Faye rend hommage à quelques-uns de ses maîtres qu’il eût le bonheur de rencontrer comme Julien Gracq, Ismail Kadaré (avec lequel il réalisa un livre d’entretiens) ou Jusuf Vrioni (son traducteur). Le spectacle du majestueux Albert Cossery, trottinant du Flore à son hôtel de la rue de Seine, est de ceux que l’on n’oublie pas dans une République des Lettres où l’heure est « au consensus et à l’acceptation, et puis, société du spectacle oblige, à la pose. » Ces derniers des Mohicans, il « fait bon les rencontrer, se rassurer, se dire qu’on n’est pas seul à écouter à travers leurs mots le bruit du monde qu’on ne comprend plus, ou alors par bribes, parce que les télés, les pouvoirs et les publicitaires parlent une autre langue orwellienne, perpétuellement en cours d’invention », souligne Eric Faye sachant que ces artistes, raffinés et blessés sont en voie de disparition dans un XXIème siècle qui ne les tolère plus.
Nous aurons toujours Paris est un petit texte dense et aérien qui sait épingler l’essentiel et c’est sans surprise du côté de chez Proust que penche ce voyage entre l’enfance et le présent nous rappelant que l’écriture conduit à « ce moment suspendu » sans avant et sans après, « petit bloc d’éternité (…) détaché du ciel des anges pour nous montrer comment tout aurait dû être ».
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