Les Cinémas Gaumont ont eu l’excellente idée à côté des retransmissions en direct du Metropolitan Opéra de New York, de projeter un film de rockandroll ! Et pour rien au monde, je n’aurai raté celui d’un des groupes qui a marqué ma jeunesse, même si je ne l’avais jamais vu sur scène. Je me suis installé tout en haut de la salle pour profiter au maximum de l’image et du son.
Celebration Day est sorti en salles en France le 18 octobre, il paraitra en CD / DVD / Blu-Ray le 19 novembre : c’est la captation d’un concert unique, celui de Led Zeppelin, à l’O2 Arena, à Londres, le 10 décembre 2007. Un concert de revenants, donné par trois musiciens, Robert Plant, Jimmy Page et John Paul Jones, qui n’avaient pas joué ensemble depuis près de trente ans, depuis la mort du batteur John Bonham, en 1980 !
20 millions de personnes s’étaient connectés au site Internet pour tenter d’acheter un billet et 20000 chanceux (dont Paul McCartney, Peter Gabriel, The Edge et des dizaines d’autres rockstars) assistèrent à ce concert à la mémoire d’Ahmet Ertegun, le patron d’Atlantic Records.
Le réalisateur, Dick Carruthers, a choisi une approche très classique : le film commence au début du concert et se termine au moment du salut final après le double rappel Whole Lotta Love / Rock And Roll. Entretemps, pas beaucoup de fioriture, peu de plans de foule, juste quelques inclusions de vidéos prises depuis le public. Mais un montage presque basique nous donne ce qu’il y avait à voir ce soir-là comme si nous étions sur scène avec des musiciens visiblement heureux de se retrouver, aussi bien sur le plan humain que musical.
Car passé quelques flottements au début, on voit le groupe se ressouder devant la batterie de Jason Bonham, qui avait la lourde tâche de remplacer son père. Et l’on voit alors ces trois hommes se détendre progressivement, se sourire, s’encourager mutuellement. Et retrouver la mystérieuse alchimie qui fit de Led Zeppelin avec The Who, les meilleurs groupes de rockandroll du monde dans les années 70 ; avec des moments, qui même par écran interposé, donnent la chair de poule, comme l’exécution de No Quarter, Dancing days, Kashmir, Stairway to haven, Black dog etc…
Le projectionniste vient me demander si le volume est assez fort et je lui réponds qu’il peut monter encore, car cela le mérite. Le son est fantastique, « les musiciens assurent vraiment malgré leur âge » comme le dit à son copain une de mes voisines à laquelle j’ai envie de répondre que « c’est avec les vieux rockers que l’on fait les meilleurs concerts ». Mais peut-être est-elle trop jeune pour connaître l’histoire de cette musique.
James Patrick Page, né en 1944 dans la banlieue de Londres, est considéré comme l’un des meilleurs guitaristes de cette musique avec Pete Townshend, Eric Clapton, bien sûr, et Jeff Beck (trop méconnu): ces trois derniers feront partie du légendaire groupe des Yardbirds que l’on peut voir dans le film d’Antonioni « Blow Up » interpréter « Stroll on », un morceau d’anthologie. Musicien de studio très recherché, très inspiré par le Blues, Page a cette science du riff excitant, -ce court motif musical ou ostinato, combinaison d’accords joués de manière répétitive par le musicien soliste d’une formation musicale et qui constitue la base musicale rythmique d’une composition qui se grave dans la mémoire et donne irrésistiblement envie de bouger-, qui devait faire son succès.
Mais il mettra quelques années à trouver le chanteur qu’il cherchait pour le groupe dont il rêvait : Robert Plant, très inspiré lui aussi par le Blues (ce qu’il ne manque pas de rappeler à plusieurs reprises dans le film), écrira les textes de toutes les chansons ; tous les morceaux de Led Zeppelin étaient des invitations au voyage vers la musique celtique, le folklore anglo-saxon, la musique orientale et maghrébine transcendées par le hard-rock.
Jason Bonham, le fils de John, -un des batteurs les plus célèbres de l’histoire du rockandroll, qui a aussi contribué au succès mondial du groupe par ses longs solos qui mettaient le public en transe, mais décédé à 32 ans en pleine dépression-, assure cette percussion lourde mais si efficace héritée de son père.
Mais la véritable révélation de ce film c’est le bassiste John Paul Jones, né en 1946, un musicien multi-instrumentiste, compositeur, arrangeur et producteur anglais : il joue également, entre autres de la guitare, de la mandoline,, de la harpe, du ukulélé et de l’orgue ! Fils de musicien professionnels, il devient l’organiste de son église locale à l’âge de 14 ans, puis musicien de studio et il n’arrêtera plus. A la vue de ce Celebration Day, quand on le voit passer de la basse électrique aux claviers (où il joue les basses au pied), on s’aperçoit de son importance dans l’assise mélodique du groupe.
Bien sûr, le DVD a été un peu réarrangé : Robert Plant a honnêtement reconnu avoir dû retravailler la voix à la fin de Kashmir, parce qu’il n’avait plus assez de souffle, en précisant qu’il n’y a qu’un nombre fini de longues notes que l’on peut chanter à la suite. Mais Jimmy Page a ajouté « vraiment le minimum par rapport à ce qui peut se faire ailleurs. Le concert a été ce qu’il a été. Et il n’y avait pas grand-chose à refaire, parce que l’on s’était bien débrouillé au départ ».
L’image est superbe, le light-show époustouflant, le point de vue dans la grande salle du Gaumont est certainement meilleur que dans la salle de concert. Il m’a été difficile de rester sur mon fauteuil, tant j’avais envie de me lever pour danser comme je le faisais dans mes folles années ; mais par respect pour les handicapés en fauteuil roulant à côté de moi, je me suis contenté de battre la mesure sur les accoudoirs de mon siège, pendant 2 heures, comme si j’avais toujours 20 ans.
Ce soir-là, ce n’était peut-être pas le meilleur concert de leur vie, mais ce fut un très bon concert, joyeux et plein de bonnes vibrations. Et ce sera tout simplement sans doute le dernier concert de Led Zeppelin.
Souhaitons par contre que les cinémas Gaumont ait la bonne idée de continuer sur cette voie : je peux déjà leur suggérer le fabuleux concert des Who au Royal Albert Hall de Londres, le 27 novembre 2000, pour le Teenage Cancer Trust, qui a un son extraordinaire ; ou Growing Up Live, celui au Filoforum de Milan en Mai 2003, de Peter Gabriel toujours remarquable par son sens du spectacle.
En parallèle aux Opéras de Verdi par exemple en direct du MET.
Je ne doute pas un instant qu’ils feront aussi salle comble.
E.Fabre-Maigné