Journal du Grand Confinement J 33 : LE VIDE SOUVERAIN
Il est certain que l’incongruité de la vie actuelle m’autorise à sortir des chroniques habituelles pour poursuivre la mise à l’écrit et le partage sur Culture31 de mes tergiversations dues au confinement. Je ne sais trop comment qualifier ce texte. Peu importe. Si vous le lisez vous verrez bien ce qu’il faut en penser… Et ce qu’il pourra vous apporter.
Je voudrai partager mes remous internes concernant une chose bien banale et qui prend une dimension inédite en ces temps si étranges : c’est la notion de vide.
Deux souvenirs d’enfance me reviennent qui déterminent mon propre rapport au vide. D’abord les petits jeux, cadeaux des commerçants offerts aux enfants de leurs clients, en ces années 60 où les réclames et les cadeaux stimulaient la consommation modernisée. Souvenez-vous des « Cadeaux Bonux » …Toute une génération les connaît. Cadeaux que nous étions autorisés à chercher au milieu du baril de poudre à mains nues et surtout bien sèches.
Je ne sais plus si c’était un cadeau bonux, un cadeau de l’assureur ou du boucher mais j’ai eu mon premier jeu avec du vide qui m’a formé l’esprit sur ce sujet.
En effet le carré plat contenant des petits carrés qui pouvaient circuler permettaient de faire une image d’un coté et une suite des chiffres de l’autre. Et tout cela était possible uniquement parce qu’il y avait une case vide. Il s’agit du jeu de taquin. Le vide en ces temps d’enfance était donc utile, un vrai bonheur permettant de passer agréablement le temps. C’était aussi un ami pour les temps d’ennui, de silence et de rien faire, si propices aux rêveries… Bref en ces temps le vide ce n’était que du bonheur.
Plus tard, je ne sais plus très bien quand mais je crois vers la fin du primaire, je me souviens d’une grande carte affichée à coté du tableau et que j’avais sous les yeux à chaque cour. C’était la planche de l’atome. Et je ne sais plus très bien comment mais le vertige m’a de suite gagné, puis s’est installé durablement et par vagues jusqu’à la reprise de ces notions au lycée en cours de physique. Mon appropriation « poétique » première du vide constitutif de la matière m’a accompagné donc plusieurs années avant de me pousser à chercher et à le comprendre plus scientifiquement. L’effet de la représentation de cela : la matière faite d’atomes est pleine de vide, a produit un effet vertigineux et est resté mystérieux même si la science m’a nourri. La vitesse ferait la matière… C’ est le mouvement des électrons qui fait que « Le Tout » tienne dans un nuage de matière ! Certains électrons peuvent passer d’un atome à l’autre… quel bazar dans un micron…
Pour assurer mes souvenirs j’ai cherché à reprendre un cours de seconde sur l’atome. Je l’ai trouvé sur internet. C’est bien cela : tout me conforte, et sur la date de ma compréhension du phénomène qui a initié mon besoin de sciences pour comprendre, et sur ce vide constitutif du Grand Tout.
Entre le noyau et les électrons il y a un immense espace vide, ce dernier est même le constituant majoritaire de l’atome : on dit que ce dernier à une structure lacunaire. L’atome a un rayon dont l’ordre de grandeur est de 10-10 m tandis que celui du noyau est le plus souvent de 10-14 m (sauf pour les petits atomes). Si le noyau était une sphère de 1 m alors les électrons évolueraient à environ 10 km avec une zone intermédiaire vide ! Cela représente une proportion de 99,99999999999 % de vide !
voir ci dessous :
Ce sont donc les deux éléments d’abord poétiques puis scientifiques qui ont construit un certain rapport au vide : d’abord reposant sur la vison du monde d’un enfant rêveur puis scientifique puis d’un adolescent qui découvrait les sciences « dures ». L’engagement dans des études scientifiques a suivi, répondant par l’acquisition de savoirs à cette soif de comprendre. Mais l’adolescence est également le moment où le vide prend une autre force parfois plus tragique. Ce vide des jours et des nuits, cet ennui de tout, ce temps qui ne passe pas, cet avenir qui parait si incertain, donnent le vertige. Un avenir d’adulte est détesté d’avance et est à la fois attendu comme la seule solution possible pour vivre. Tout ce dialogue interne pas toujours très conscient est nourri dans un vide bien particulier. C’est ce vide adolescent constitutif ; ce vide qui permet cette lente maturation avec ces moments si douloureux et ces élans, ces fulgurances. C’est l’époque d’une certaine solitude obligée pour se comprendre, de la découverte de la complexité des rapports amicaux et de camaraderie. Le repli dans la musique d’opéra écoutée jusqu’à l’ivresse m’a sauvé. Le partage épistolaire, l’écoute de la radio et la pratique de la musique instrumentale également.
La nature a beaucoup compté dès ces instants avec des plantations en pots sur un balcon, des oiseaux exotiques en cage, des moments de baignades en mer chaude, un peu de ski ( J’étais en Corse) et des ballades dans la nature. L’époque était celle de tous les possibles y compris de tout arrêter, partir vers le Grand Vide en somme.
C’est également le moment de la découverte de ce que peut apporter l’apprentissage en autodidacte. Cet apprentissage basé sur le désir, l’envie, le besoin irrépressible. C’est l’époque de la Tribune des critiques de disques d’Armand Panigel avec les oppositions théâtrales Bourgeois-Goléa, du Quotidien Callas de Philippe Caloni, de l’enregistrement de K7 et des recherches de disques d‘opéra pirates sous le manteau en pays frontaliers lors des vacances.
Être autodidacte c’est un apprentissage libre, une passion fébrile et irrésistible ne connaissant ni la fatigue, ni les efforts. Cela a été très formateur en terme de création d’un « goût » qui a été si fondamental dans toute ma vie. J’ai toujours gardé ce goût personnel dans tout ce que je fais. Chroniques, psychothérapie ou cuisine… Il ya aussi un rapport à la consommation avec un goût fort pour ce qui me touche par sa beauté. La consommation et les moyens financiers nécessaires pour les assumer a également été un moteur puissant de vie.
Ainsi cette construction je la dois au vide de mon adolescence avec des moments d’élation mais aussi des abîmes terriblement vertigineux.
Petites nostalgies :
Voici grâce à Youtube une présentation de la Tribune des critiques de disques
https://www.youtube.com/watch?v=dTVmuJlM3X8
et une émission sur la troisième sonate de Chopin, la sonate qui contient la sa si belle marche funèbre …
Et quelle joie de retrouver ( merci youtube) la qualité des interviews de Maria Callas par Philippe Caloni, mais dans un son hélas calamiteux. Ce quotidien Callas est une émission dans laquelle il passait des extraits d’interview par thèmes et ensuite chaque matin (juste avant le départ au lycée) un enregistrement de Maria Callas en général un air que je n’avais pas toujours le temps d’écouter jusqu’ au bout et que je cherchais ensuite à retrouver. Parfois des mois après.
Si j’évoque des éléments de l’adolescence c’est qu’il y a, pour moi en tout cas, quelque chose de semblable qui se passe avec le confinement.
Je ressens un vide étrange. Qui fait souffler, permet de se reposer, fait souffrir
et révèle une forte ambivalence au plus profond.
Ainsi la vie d’avant (l’enfance insouciante) ne sera plus possible. Aller vers la vie de surtravail, de profit, de surconsommation que bien des gens vont vouloir retrouver , il n’en est pas question.
De quoi ce vide va t-il accoucher ?
Il va donc falloir accepter cet état. Accepter que de ce conflit sortira la bonne décision.
Je sais que mon choix sera douloureux dans le sens ou il va me mettre en conflit avec une partie du monde externe. C’est le prix à payer pour mieux vivre mes aspirations profondes. A l’adolescence j’ai pu le traverser, que se passera t-il après le confinement ? de quoi le vide va t-il accoucher ?
Et pour vous ? Votre réponse doit être personnelle avant d’être collective. Elle sera forcement complexe et difficile. Il y tout le temps pour y songer ! Alors, courage …..
Hubert Stoecklin