Après mon annonce, les premières impressions, voyons un peu l’opéra et le bilan de cette production, reprise de celle de 2004, ici même, avec une distribution entièrement renouvelée, et remaniée au fil de tous les aléas déclenchés par la période sanitaire. Autant le réaffirmer illico : c’est une réussite. Alignement des planètes, encore favorable !! Quelle saison……
Cet opéra cruel qui s’achève sur une note d’espoir est un monument d’efficacité scénique et musical. Drame familial et sociétal, entre la piété et la névrose, la douleur et la révolte, les acteurs-chanteurs évoluent au sein d’une immense palette de couleurs et de climax. D’où l’intérêt de l’excellence dans la fosse, d’abord, et on l’a eu, tous pupitres, avec les musiciens de l’Orchestre national du Capitole placés sous la direction de Florian Krumpöck, vrai passeur de musique et d’une attention permanente portée au plateau. Livret en prose, “répétitions janácekiennes“, poumon stylistique et marque révolutionnaire de l’art du compositeur, voilà qui ne simplifie pas la chose.
Question mise en scène, due alors à Nicolas Joël, pas besoin de gesticulations inutiles, ni de vidéos et autres moyens actuels. Il a été écrit : « Cheminement solidaire de la disgrâce et de la grâce. » Tout est dit. Le trio Frigerio-Squarciapino-Cheli démontre que leur création de 2004 est toujours efficace près de vingt ans plus tard.
La Grand-mère mène toujours l’affaire, soit un moulin. Elle a deux fils dont l’aîné hérite en tant qu’aîné justement, tandis que le cadet sera simple garçon meunier, point. On a compris que ça boit énormément, qu’on se détruit la santé à coup de gnole. La femme pèse relativement peu. Elle est battue, cela semble le lot quotidien. La Grand-Mère Burya est une femme battue. Grand-mère (Cécile Galois, parfaite) a donc eu deux fils.
Le premier héritera mais ce n’est pas un vaillant et penche plutôt du côté de la bouteille. De plus, il trouve le moyen d’épouser une déjà veuve et mère d’un certain Laca (Marius Branciu, ténor doué d’une tessiture haut placée, au timbre délicat en accord avec la partition : rien à reprocher.) Il aura un second fils Steva, le préféré de la Grand-Mère (Mario Rojas, ténor qui assume et assure correctement, en un temps record, et le rôle du jeune abruti “alcoolo“ et le registre demandé : difficile de trouver un Steyva, en effet. Parenthèse : Nicolai Schukoff l’a été à ses débuts, avant d’aborder Parsifal ici même si magnifiquement, puis le Tambour-major dans Wozzeck et Tristan bientôt. Les époux disparaissent. Il reste les demi-frères dont l’un a les sous, l’autre, pas. Ils ont en commun un même objectif : Jenufa, la cousine germaine de Steyva. Laca l’aime d’amour, Steyva l’aime, parce qu’elle est la plus jolie des jeunes filles, une de plus. Il n’hésitera pas à la mettre enceinte alors qu’il ne peut ignorer, et le dit, qu’une jeune fille qui se présente, non vierge au mariage, c’est inconcevable ( toujours valable pour certaines communautés en 2022). Laca, se rendant compte que Jenufa lui échappe va, consciemment ou pas, lui lacérer une de “ses joues de pêche“. La voilà défigurée, donc moins désirable aux yeux de son amant donc plus de mariage. Et elle est enceinte. La faute a été commise. Deuxième raison. Le très beau soprano lyrique de Marie-Adeline Henry semble avoir trouvé, pile ses meilleures notes dans la partition et dans chaque acte.
L’autre fils de la Grand-Mère a épousé une jeune femme qui lui a donné un enfant, Jenufa, et meurt. Veuf, il se remarie avec Kostelnicka, amoureuse de toujours, mais qui ne pourra pas lui donner d’enfant. Catastrophe. Elle va reporter toute son affection sur la fille de la première épouse pendant que son soulard d’époux qui la bat intensément décède. Pour gagner quelques pièces, la veuve s’occupe de l’église d’où le surnom de La Sacristine. Elle va essayer de trouver une solution à tous les problèmes qui se posent dans la famille. Elle cache Jenufa pendant les derniers mois de grossesse, cache l’accouchement, et cache le petit Stevouchka. Elle veut montrer le nouveau-né à son père, qui refuse de le voir, et qui ne peut maintenant épouser Jenufa puisque fille-mère, et de plus, défigurée. La Sacristine en vient à la conclusion que le bébé est de trop. C’est l’obstacle. Il faut qu’il disparaisse. Il sera noyé, par elle-même, et le meurtre caché à sa mère et à son père. Et à son oncle. Il est mort, point. Le drame familial s’épaissit.
C’est furieusement glauque et pourtant la musique, elle est si belle et flamboyante par moments. Physiquement et vocalement, Catherine Hunold signe une étourdissante prise de rôle, un rôle “tombé du ciel“ qu’elle investit totalement. Triomphe. Elle chante la scène majeure de l’opéra, celle où, assaillie de remords après l’infanticide, elle croit voir dans le vent qui s’engouffre par la fenêtre ses fantômes assassins. Sans oublier l’acte III.
Comme à son habitude, Christophe Ghristi s’attache à ce que chaque chanteur soit dans son rôle et donc, les comprimari sont tous à applaudir tout comme les membres du Chœur de l’Opéra national du Capitole et le chef de chœur Gabriel Bourgoin.
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