À la Halle aux Grains et à la Philharmonie de Paris, Tugan Sokhiev dirige la Deuxième symphonie, « Résurrection », de Mahler, avec l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, l’Orfeón Donostiarra, Janina Baechle et Jeanine de Bique.
Pour leur second concert de la saison à la Philharmonie de Paris, Tugan Sokhiev et l’Orchestre national du Capitole de Toulouse interprètent la monumentale deuxième symphonie de Mahler. Cette soirée sera diffusée à la fin du mois sur Radio Classique, et l’œuvre sera également donnée à la Halle aux Grains. Ils invitent de nouveau à cette occasion le chœur basque Orfeón Donostiarra. À leurs côtés, on appréciera la soprano Jeanine de Bique et la mezzo-soprano allemande Janina Baechle – qui vient de s’illustrer au Théâtre du Capitole dans les « Dialogues des Carmélites ».
Œuvre existentielle et chrétienne en cinq mouvements, la Deuxième symphonie en ut mineur a connu une genèse longue et difficile. En 1888, Gustav Mahler achève un poème symphonique en un mouvement inspiré d’un texte d’Adam Mickiewicz et intitulé « Totenfeier » (Fête des morts). Lorsqu’il débute en 1893 l’écriture de sa Deuxième symphonie, Mahler reprend cette « Totenfeier » pour en faire la marche funèbre introductive de sa nouvelle œuvre. En mars 1894, il assiste aux funérailles du chef d’orchestre et compositeur Hans von Bülow, à Hambourg, où il entend un poème de Friedrich Gottlieb Klopstock intitulé « Résurrection ». C’est alors que lui vient l’idée d’en intégrer quelques vers dans le dernier mouvement de sa Seconde Symphonie, qu’il achève au cours de l’été suivant.
Le premier mouvement de la Deuxième symphonie en ut mineur est noté «Allegro maestoso. Mit durchhaus ernstem und feierlichem Ausdruck» (d’un bout à l’autre avec une expression grave et solennelle). Musique de vaste envergure, elle avance sur la tonalité en ut mineur associée à l’image de la mort. En octobre 1900, Mahler rédigea un texte – dont il interdira plus tard la publication – dans lequel il décrit en ces termes ce passage: «Nous sommes devant la tombe d’un être aimé. Pour la dernière fois, nous passons en revue sa vie, sa lutte, ses souffrances et ses aspirations. Et en ce grave instant qui émeut jusqu’au tréfonds de l’âme, alors que nous rejetons au loin tout le désarroi et la banalité de la vie quotidienne, notre cœur est bouleversé par une voix profondément troublante, habituellement inaudible dans le tumulte assourdissant du jour: “Et maintenant? Qu’est-ce que la vie – et la mort ? Y a-t-il une continuité? Tout cela n’est-il qu’un rêve confus, ou bien cette vie et cette mort ont-elles un sens?”». Cette ample page épouse la forme d’une sonate traditionnelle qui énonce dans l’un de ses développements l’un des thèmes à venir de la «résurrection» finale.
Dans la partition, Mahler demande qu’une pause d’au moins cinq minutes soit observée à la fin de ce mouvement. Le deuxième est doté de l’indication «Andante moderato. Sehr gemächlich» (très modéré). Moment gracieux et intime, il est décrit ainsi par le compositeur: «Un heureux moment de la vie du défunt aimé et une réminiscence nostalgique de sa jeunesse et de son innocence perdue.» Dans cette atmosphère de beauté, on devine un lointain sentiment d’angoisse exprimé de manière ironique et incessante par des glissandi excessifs, en particulier des violoncelles, mais aussi par l’écho effronté des flûtes répondant aux pizzicati des cordes. Mahler exige ensuite que les trois derniers mouvements soient joués sans coupure.
Noté «In ruhig fliessender Bewegung» (dans un mouvement tranquille et coulant), le premier des trois a les caractéristiques d’un scherzo qui s’élance par de puissants coups des timbales, suivis d’un basson sarcastique et d’une clarinette moqueuses introduisant une vaste paraphrase du lied «Des Antonius von Padua Fischpredigt», tiré de son cycle «Des Knaben Wunderhorn». Si le chant évoque avec ironie le sermon de saint Antoine de Padoue aux poissons indifférents, Mahler décrit dans ce troisième mouvement un homme lui-même perplexe face à toute vie spirituelle: «L’esprit d’irréligion s’est emparé de lui, il plonge son regard dans le tumulte des apparences et perd avec le cœur pur de l’enfance l’appui solide que seul l’amour peut donner ; il doute de lui-même et de Dieu. Monde et existence ne sont pour lui qu’apparitions confuses ; le dégoût de tout Être et Devenir le saisit avec une force invincible et le pousse au désespoir.» Les cordes s’agitent dans un tournoiement répétitif et distancié lorsque surgit le piccolo qui reprend le rôle tenu par la voix dans le lied. La clarinette fait alors entendre quelques sarcasmes ponctués par les saillies grinçantes des trompettes. Suit un épisode agité où les cors et les trompettes lancent des cris joyeux et éclatants, avant le retour du prêche aux poissons.
Mahler utilise pour la première fois la voix dans une symphonie dans le quatrième mouvement, aussitôt enchaîné et noté «Sehr feierlich, aber schlicht» (très solennel mais modeste). Il demande ici que l’alto chante «tel un enfant au paradis» un poème extrait de « Des Knaben Wunderhorn ». Reprenant un chant populaire intitulé « Urlicht » (Lumière originelle), ce lied est l’expression d’un lointain espoir malgré l’obscurité qui règne sur le monde terrestre. L’homme est attiré par le calme et le bonheur d’une vie paisible, alors que s’ouvrent les portes du ciel. Noté «Im Tempo des Scherzo. Wild herausfahrend» (Dans le tempo du scherzo ; explosion sauvage), le finale survient brutalement à cet instant, quand sonne l’appel lointain des cors annonçant le Jugement Dernier avec l’utilisation du thème du «Dies irae». Le silence s’installe après le dernier chant du rossignol qui dialogue avec des fanfares dans la coulisse. Le chœur a capella précède la voix de soprano qui entonnent des vers de l’ode « Résurrection », de Klopstock. Le chœur, les solistes et l’orchestre terminent dans l’euphorie ce récit de l’entrée dans l’au-delà, dont le texte est écrit par le compositeur lui-même: «Je mourrai afin de vivre!».
Emblématique de l’art de Gustav Mahler, la Deuxième symphonie est une vaste fresque musicale qui a les atours d’un oratorio. Elle offre de précieux contrastes, de l’effervescence inquiète à la détente pastorale, de la truculence la plus grinçante à la noblesse la plus poignante. Au terme d’une longue interrogation sur la vie et la mort et d’une intense progression dramatique, elle s’achève sur la lumière de la « Résurrection ». Le 13 décembre 1895, à la tête de l’Orchestre philharmonique de Berlin, le compositeur dirigea la première exécution de cette partition spectaculaire et hors norme.
Billetterie en Ligne de l’Orchestre National du Capitole