Solides • Simon Carlier
S’il œuvrait dans la musique et la chanson, Simon Carlier aurait été lancé par une émission comme Pop Stars ou Star Academy. Puisque la cuisine était sa passion, c’est grâce à l’émission Masterchef qu’il a pris son envol. Ne prisant guère d’une manière générale les émissions de télé-réalité, je dois avouer que j’avais cependant suivi assidument la première saison de Masterchef. Pour une raison qui en valait une autre : mon ami Yves Camdeborde, étant membre du jury, je tenais à voir comment il s’était sorti de cette expérience qui l’avait tenu durant certaines périodes loin de son restaurant. Comment lui, si sincère, si entier, allait-il ressortir de boîte à faux-semblants et à spectacle qu’est la télévision ? Finalement, je reconnus le Yves que je connaissais – malgré la dramaturgie factice et les effets grossiers de la production – et je crois que de nombreux téléspectateurs sentirent la vérité du personnage.
Quoi qu’il en soit, deux ans plus tard, c’est grâce à Yves – de passage à Toulouse avec notre ami commun Sébastien Lapaque – que je découvris le premier restaurant (alors en travaux) de Simon Carlier. Le jeune homme s’apprêtait à ouvrir Solides comme cochons rue Pargaminières et son ancien « juré », qui s’était pris d’affection pour l’élève finaliste de la troisième édition de Masterchef, avait tenu à venir le saluer. Que de l’amitié et de l’entraide puissent naître d’une émission de télé-réalité bouscula mes a priori.
Cela ne signifiait pas pour autant que le petit prodige du petit écran était devenu un vrai cuisinier, qu’il n’était pas l’une de ces créatures artificielles que l’industrie télévisuelle sait produire. L’ouverture de Solides comme cochons en octobre 2012 fut une sensation dans le monde de la gastronomie toulousaine. Dans ce restaurant de poche d’une quinzaine de couverts se pressèrent nombre de clients attirés par le label « vu à la télé », mais surtout la tribu informelle de gourmands et de gourmets que compte la ville. Bref, midi et soir, Solides comme cochons affichait « sold out ». Il fallait jouer des coudes et de la réservation pour avoir une table. Sur table justement, c’était imparable : une cuisine simple, mais fringante et goûteuse, digne de la meilleure bistronomie – concept qui allait bientôt disparaître sous les coups des récupérateurs et des falsificateurs. Le succès poussa le jeune chef à installer ses instruments dans une salle plus vaste et plus propice à son inspiration. Ce fut en lieu et place de La Rôtisserie des Carmes, magnifique restaurant tenu par Alain Chabrier des décennies durant, rue des Polinaire à quelques mètres du marché des Carmes, que Simon Carlier créa Solides à l’été 2014. Nous vîmes dans cette succession plus qu’une banale transition, plutôt un passage de témoin entre un aîné et un cadet partageant certaines valeurs gastronomiques.
Là aussi, cela swingua. Avec Solides, Simon Carlier changea de registre et de répertoire. Le garçon qui faisait de la pop démontra qu’il pouvait aussi jouer du jazz-rock. Technicité, audace, goût des traditions mêlé à celui des transgressions jaillissaient sur des menus de haute volée mettant en valeur la joie et le partage. Derrière la bouille du cuisinier aux faux airs de Justin Timberlake se révélait une manière de chef d’orchestre concoctant avec son équipe des compositions ciselées. Il y a du Daft Punk période Random Access Memories chez Simon Carlier : une grosse culture et connaissance du passé adossée à l’attrait de l’expérience. La dernière fois que nous l’avons vu, il a parlé de « ligne de base » en évoquant la conception de ces plats. En fait, nous avons entendu « ligne de basse », mais nous n’avons pas voulu en avoir le cœur net. L’occasion était trop belle. On peut définir son art vivant de la cuisine mariant instantanéité et maîtrise avec cette ligne sourde de basse donnant le tempo. Quatre cordes, du slap, des sons qui claquent ou qui résonnent tout en rondeur. Du New Order (Peter Hook), du Level 42 (Mark King), du Weather Report (Jaco Pastorius) se font entendre chez Solides. Il faut tout goûter chez lui et réclamer les rappels.
Solides
38 Rue des Polinaires • Toulouse
Téléphone : 05 61 53 34 88
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photos © Pierre Beteille