FAIRE NAÎTRE DES IMAGES

Laurent Mauvignier : J’avais commencé à écrire deux versions de la même histoire en parallèle, le roman et le scénario. C’est finalement resté un roman mais le cinéma est très présent dans l’écriture, dans les flashbacks, les ellipses, le rythme, la progression des personnages. Le paysage est cinématographique dans cette histoire, ce n’est pas un décor ; il fait écho à l’intimité des personnages. De la même façon que les divers temps du récit -le présent de l’action, les flashbacks, les rêves- s’articulent entre eux, les différents espaces s’intègrent à la ligne du récit. Paradoxalement il n’y a pas de barrière entre intimisme et grands espaces. Avec ce livre, j’avais des envies d’évasion, au premier degré, comme devant un film.

DÉPLOYER DES ESPACES

Dans ce dernier roman, il y a quelque chose qui se déplie, qui se déploie, comme si les années de travail qu’il y a derrière se concentraient, comme si les perceptions, les sensations, les thèmes, la sensation géographique, le déplacement, tout trouvait sa place dans une sorte d’évidence. Mes premiers livres étaient très intimistes, plus refermés sur eux-mêmes, souvent dans une forme, un plan préalable et une pensée en huis-clos. J’ai commencé à sortir de cela avec Dans la foule. On cherche des choses pendant deux ou trois livres, il y a des phases d’élaboration, d’apprentissage et là, d’un coup je n’ai pas eu recours à la technique, je n’ai pas « joué à l’écrivain ». Le travail s’est concrétisé avec facilité, avec une certaine grâcemême.

CONVOQUER L’AUTRE

Le cheval, c’est une image de l’altérité. Il évoque immédiatement le western, mais pas seulement : cet animal est présent dans trois arts que j’aime particulièrement, qui imprègnent mon imaginaire et ma façon de voir le monde : la littérature, la peinture et le cinéma. Sa présence, si forte dans ce roman, est très liée à cela : c’est une figure indissociable de notre rapport à l’autre, l’animal bien sûr, mais aussi l’étranger. Samuel retrouve l’ouverture aux autres grâce à son cheval. D’autre part, mon projet c’est aussi que la littérature nous permette, autant que le cinéma, d’assumer nos émotions, nos faiblesses ; de sortir du côté « intello » dans lequel on l’enferme et d’inventer une forme exigeante qui touche tout le monde.

ÉCRIRE JUSTE

mauvignierIl y a là le sentiment que ce livre est un livre « récompense », porteur de quelque chose qui revient de loin mais que j’ai écrit porté par le souffle, en étant complètement dedans, dans une sensation de fébrilité, à fleur de peau. C’est un livre consolateur, écrit à la lueur des attentats de novembre dernier mais qui se finit sur une note ambiguë, optimiste, qui déjoue la tragédie. La situation commence à être suffisamment désespérée je crois pour qu’on mette des notes d’espoir dans nos livres. D’où son titre, combatif, emprunté autant à Beckett qu’à Giacometti : malgré les épreuves, s’il ne reste à la fin qu’un pauvre humain tout effiloché, il faut qu’il marche.

RESTER DANS L’INQUIÉTUDE

Au sens littéral du terme, ce serait ne pas se limiter à des choses que l’on sait faire, rester dans un état de disponibilité et d’envie vis-à-vis d’autres formes, le théâtre, la mise en scène, le cinéma. Je me sens à l’étroit dans le cloisonnement qu’on impose aux romanciers chez nous, contrairement aux pays anglo-saxons où les écrivains peuvent sans problème investir d’autres champs de la création. Tout mon amour, c’est du théâtre, ma collaboration avec Preljocaj aussi. Et le monologue de femme que je monte au Théâtre Garonne en janvier prochain, c’est aussi cette envie là.

Cécile Brochard
Une chronique de FLASH le mensuel

Continuer, Laurent Mauvignier, Editions de Minuit, 17 ­euros