Inspiré du livre éponyme de Marjorie Pourchet, le nouveau conte musical d’Hervé Suhubiette sera donné par huit musiciens de l’Orchestre de Pau Pays de Béarn et les chœurs d’enfants du Conservatoire de Pau et de La Lauzeta, sous la direction de Laetitia Toulouse, à Saint-Pierre des Cuisines le jeudi 17 mars. Rencontre avec un des auteurs-compositeurs les plus talentueux et les plus créatifs de la ville rose.
Hervé Suhubiette, est-ce votre première collaboration avec le chœur toulousain La Lauzeta ?
Oui, mais j’avais déjà collaboré avec Laetitia Toulouse qui dirige aujourd’hui La Lauzeta et qui avait travaillé avec moi en tant que chanteuse ou chef de chœur. Il en est né une amitié et une complicité artistique, ce qui l’a amenée à me solliciter pour un projet de conte musical qu’elle avait envie de monter avec le chœur.
En revanche, vous êtes artiste associé de L’Orchestre de Pau Pays de Béarn (OPPB) depuis 2008. La Tête dans le sac est le 6ème conte musical que vous composez pour cet ensemble. Lorsqu’ils vous ont demandé si vous aviez un projet à leur proposer cette saison, vous avez tout de suite pensé à y associer La Lauzeta ?
Oui, la demande de Laetitia Toulouse ayant eu lieu peu avant, faire collaborer La Lauzeta et L’OPPB pour la création de ce nouveau conte musical tombait sous le sens. De plus, cela permettait une belle rencontre avec les chœurs d’enfants du Conservatoire de Pau qui travaillent depuis longtemps avec L’OPPB. Les enfants de Pau sont d’abord venus tout un week-end à Toulouse pour répéter avec ceux de La Lauzeta, ils ont dormi les uns chez les autres puis inversement lorsque nous avons créé le spectacle à Pau en février. C’était à la fois un échange musical et humain entre deux chœurs de jeunes, ce qui me plaisait beaucoup.
L’OPPB vous commande des créations mais vous impose-t-il aussi le sujet, l’histoire pour que vous la mettiez en musique, ou est-ce vous qui leur faites une proposition à partir d’un projet que vous avez déjà ?
C’est plutôt moi qui propose. Ça se passe souvent dans l’enthousiasme d’un concert qui se finit, parce qu’on a envie de prolonger le moment que l’on vient de vivre. Comme j’ai toujours trois ou quatre idées qui traînent, qui mûrissent depuis quelque temps, je décide alors que le moment est venu de donner vie à l’une d’entre elles. Il s’agit en général d’adaptations à partir d’un livre comme c’est le cas pour La Tête dans le sac. Je m’empare de l’histoire et je réécris « dedans », je fais des brèches, j’y introduis ma matière littéraire et musicale.
Donc, plus que de mettre en musique un livre en le prenant tel qu’il est, vous vous inspirez de l’histoire, des personnages, en y apportant des ajouts, des modifications avec l’aval de l’auteur. Comment procédez-vous à partir de la matière brute du texte ?
A partir du moment où l’auteur m’a donné son accord, je lui soumets bien sûr les changements que je propose et j’avance dans mon travail de création avec lui. Ce qui est drôle, c’est qu’un sujet s’impose tout de suite. Pour La Tête dans le sac, je feuilletais des livres jeunesse dans une librairie comme je le fais souvent et en ouvrant celui de Marjorie Pourchet, je me suis dit qu’à telle page, il y avait une chanson, à d’autres j’ai vu des images de mise en scène… Bref, ça a été immédiat, j’ai senti qu’il y avait quelque chose à faire et je suis ressorti avec ce bouquin sous le bras. Cela étant, ce ne sont pas toujours des livres qui m’inspirent, ça peut être aussi des faits divers, des histoires vraies, des personnages réels comme pour Le grand manège des petits riens, spectacle que j’ai imaginé après avoir découvert un manège d’art brut construit par Pierre Avezard, une personne handicapée.
Une fois que vous avez choisi une histoire, comment composez-vous à partir de celle-ci ?
Comme dans un opéra, la musique est forcément liée à la dramaturgie, on ne peut pas faire abstraction de ça. J’écris souvent à partir d’images de mise en scène visualisées dans ma tête, un peu à la manière d’une musique de scène. Dans ce type de spectacle, la musique est vraiment une des matières premières. Je réfléchis donc au départ à l’idée d’une formation musicale qui définisse la couleur du projet, de l’histoire que je raconte.
La Tête dans le sac © Marjorie Pourchet
Pour La Tête dans le sac, combien d’instruments avez-vous retenu ?
Il y a huit instruments (cordes, cuivres, percussions) soit donc un petit ensemble alors qu’il m’est arrivé de composer pour 17 instruments. C’est une contrainte dans l’écriture parce qu’il faut rechercher l’efficacité. Il y a même une guitare basse électrique et une batterie rock qui interviennent par moments, notamment lorsqu’il y a une scène à l’usine où tout est chorégraphié de façon très rythmique avec les choristes répartis en cinq groupes, des onomatopées, des gestes vocaux, comme du travail à la chaîne. Je n’aurais pas composé une musique comme ça sans le support un peu provocateur de l’histoire, de ce qu’elle racontait et des images qu’elle évoquait.
Est-ce que la musique est un personnage à part entière dans vos contes musicaux ou est-elle seulement illustrative ?
Ah non, non, c’est vraiment un personnage. La musique incarne, raconte, donne du sens. D’ailleurs, lorsque j’écris une chanson ou même un conte musical pour enfants, j’ai l’impression de raconter plus de moi à travers ma musique que par le texte. Peut-être parce que je suis quelqu’un d’un peu pudique. Pour moi, la musique peut avoir quelque chose de dramatique, sombre, mais également de très espiègle, enfantin, avec du jeu, du plaisir. Je sais qu’elle raconte une part de moi dont je n’ai pas toujours conscience.
Avoir à disposition des chœurs d’enfants, qu’est-ce que ça apporte de plus pour vous ?
Je trouve ça formidable mais ça crée aussi une difficulté parce qu’on se retrouve parfois avec un collectif pour raconter une histoire individuelle. Cependant, comme je le disais précédemment, j’aime que les autres puissent s’approprier ce que je raconte. Par exemple, dans La Tête dans le sac, il y a un passage où les 45 jeunes choristes portent un signe distinctif qui fait comprendre que chacun est le personnage dont il est question à ce moment-là. Alors qu’au début, c’est moi le personnage, même s’il s’agit d’une jeune femme.
Vous êtes donc aussi sur scène pour ce spectacle ?
Tout à fait, je le suis en tant que narrateur alors que je le suis plutôt en tant que chanteur d’habitude. Je suis un peu le personnage qui cherche l’histoire, qui la construit sur scène et qui ne l’a pas encore en tête au début du spectacle. Les enfants sont mes idées. Ils arrivent sur scène, me soufflent des idées à l’oreille et je construis l’histoire au fur et à mesure. On la fait avancer ensemble comme si j’étais devant une page blanche au départ.
Justement, venons-en à cette histoire et au livre qui l’a inspiré, La Tête dans le sac publié par Marjorie Pourchet aux éditions du Rouergue en 2004. Quel en est le personnage principal et que lui arrive-t-il ?
C’est l’histoire d’Adèle, une jeune femme qui souffre d’une timidité maladive. Elle est si timide qu’elle met la tête dans son sac à main, un peu comme les autruches qui mettent la tête dans le sable pour se protéger. C’est une histoire sur la timidité, le regard des autres, la confiance qu’on a en soi ou pas. Il y a un peu de loufoque aussi puisqu’elle travaille dans une usine de canards en plastique… ce qui m’a permis d’écrire un petit concerto pour orchestre et canards en plastique, probablement une première du genre ! Donc beaucoup d’humour mais également de sensibilité parce qu’à un moment, il y a une faille, elle ressent une grande solitude et se met à pleurer dans son sac. Il se passe alors un événement extraordinaire qu’il faut découvrir sur scène en venant voir le spectacle. Elle va faire quelque chose de sa timidité pour la dépasser, aller vers les autres, voir leurs sourires, échanger et entrer en relation pour trouver sa place parmi eux. La fin du spectacle est très émouvante et les voix d’enfants lui donnent une dimension émotionnelle supplémentaire. Cette histoire s’adresse aussi bien aux petits qu’aux grands et peut toucher toutes les tranches d’âge.
J’avais senti ça après avoir vu Le grand manège des petits riens et je le retrouve avec La Tête dans le sac, j’ai l’impression que la différence, la difficulté à trouver sa place dans la société ou dans un groupe, sont des sujets qui vous touchent et vous inspirent.
C’est vrai, et de manière générale, lorsqu’on écrit des chansons ou des contes musicaux pour le jeune public, dès qu’on dit « je », on se met à la place d’un gamin dans la cour de récréation pour qu’il y ait une identification. On a pourtant tendance, en tant qu’adulte, à vouloir préserver les enfants de certaines choses comme la mort, le deuil, l’état amoureux, la difformité, la difficulté à être au monde, pour les protéger d’émotions avec lesquelles il vaudrait mieux ne pas les mettre en contact. Je crois au contraire que, de façon appropriée comme savent le faire beaucoup d’auteurs de la littérature jeunesse, on peut leur parler de tout ou presque. J’aime cette idée qu’on puisse prendre les enfants pour des êtres qui, comme les adultes, peuvent avoir des états d’âme, des hauts et des bas, des moments de détresse et des moments de bonheur. Ils vivent aussi ces émotions, ces situations-là.
D’autant plus que chez les enfants, tout est vécu de façon grave et profonde, que ce soit la joie ou la peine.
Oui, c’est pour ça que l’art, en ce qui me concerne, sert aussi à faire des choses qui ne sont pas complètement lisses. Je suis quelqu’un de foncièrement joueur et optimiste. L’espièglerie, le jeu reprennent toujours le dessus dans mes spectacles mais j’aime qu’il y ait du fond et que ce fond puisse être éventuellement douloureux.
La création de La Tête dans le sac a eu lieu à Pau en février, c’est donc tout récent. Comment cela s’est-il passé avec les choristes, les musiciens et le public ?
D’abord ce fut un vrai bonheur pour moi, après des mois de travail, de voir ce projet enfin prendre corps. Avec des voix, des instruments, alors que je n’avais entendu ça que sur le logiciel de mon ordinateur. A Pau, il y a eu trois représentations dirigées par Fayçal Karoui, 1 500 personnes durant le week-end, et ça a été un grand moment de plaisir avec les enfants. Les voir partager entre eux et avec le public cette histoire qui les touche et qu’ils ont su s’approprier, ça a été merveilleux. J’ai une excellente relation avec les musiciens de l’OPPB, une complicité qui m’aide beaucoup sur scène mais aussi quand je compose. Il m’arrive d’ailleurs de les solliciter en cours de composition pour leur faire part d’une idée, d’un son à trouver, pour savoir si c’est faisable selon eux.
A Saint-Pierre des Cuisines, est-ce que ce sera exactement la même forme qu’à Pau ou y aura-t-il une adaptation du spectacle au lieu ?
Les contraintes de Saint-Pierre des Cuisines font qu’on ne pourra pas refaire les mêmes éclairages puisque ce n’est pas une salle de théâtre comme celle que nous avions à Pau. En revanche, l’acoustique, notamment pour le chœur, sera meilleure. Le spectacle sera un peu plus minimaliste et il sera nécessaire de procéder à une petite adaptation à l’espace qu’offre cet auditorium. Mais je ne suis pas inquiet parce que les 45 jeunes choristes ont beaucoup travaillé et que tout ça ne disparaitra pas parce qu’on change de lieu. Tout est bien en place !
La Tête dans le sac, un conte musical d’Hervé Suhubiette d’après le livre de Marjorie Pourchet, à Saint-Pierre des Cuisines le jeudi 17 mars à 20h.
Avec les musiciens de L’Orchestre de Pau Pays de Béarn et les chœurs d’enfants du Conservatoire de Pau et de La Lauzeta dirigés par Laetitia Toulouse.
http://www.lauzeta.fr/choeur-enfants/
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