La Philharmonie de Paris a fait grand bruit avant son inauguration en 2014 et depuis a une programmation exemplaire en termes de diversité autant que d’excellence et une fréquentation qui en impose. La beauté du bâtiment de Jean Nouvel dont les abords ne sont pas tout à fait terminés séduits par une présence originale. Monter les escalators et pousser la porte de la salle réserve une surprise de taille. Ce n’est pas la seule largeur de la salle qui impressionne mais sa beauté, son originalité, sa gourmandise. Rien de symétrique mais des courbes, des rubans, des corbeilles. Des couleurs de dessert à base des trois chocolats, noir, lait et blanc ; des caramels, de la crème de lait ou fouettée ; du croquant, du miel. Cette douce beauté, dans des éclairages chauds, créée une sorte d’intimité familière et offre une visibilité parfaite. L’oreille est à la fête avec une précision incroyable permettant d’entendre le son le plus infime et une élégante réverbération qui permet même après le forte le plus sonore un très court écho qui donne espace et vie. Probablement la plus belle acoustique de l‘Hexagone pour les grandes formations et l’une des meilleures de la planète.
C’est dans ce vaste vaisseau plein d’un public nombreux que l’Orchestre du Capitole a offert une concert très applaudi. Le pianiste David Fray originaire du Sud-Ouest était le concertiste. Tugan Sokhiev, l’orchestre et lui se connaissent bien. Pourtant le jeune pianiste est entré sur scène tendu et n’a pu se détendre que lors du deuxième mouvement. Sa sensibilité et la délicatesse de son jeu trouvent dans la direction de Tugan Sokhiev un partenaire idéal. La salle permettant de doser très finement les nuances l’exposition de l’orchestre a mis la barre très haute en une véritable symphonie de couleurs et nuances et un phrasé d’une noble élégance. L’entrée du piano a été tout en délicatesse et musicalité. Le dialogue a été osmotique avec un orchestre d’une beauté de chaque instant. Le mouvement lent a été le moment de grâce attendu, dialogue de pure poésie. L’énergie du final, les jeux de réponses entre l’orchestre et le soliste, la joie partagée ont été une apothéose vivifiante. Le jeune pianiste a offert en bis une pièce de Schubert en forme de mélodie hongroise d’une grande délicatesse.
En deuxième partie, Tugan Sokhiev nous fait voyager dans les contes de mille et une nuits. Son interprétation du poème symphonique Shéhérazade de Rimski-Korsakov est théâtrale et poétique. Le souffle de l’Orient le plus idéalisé a soufflé. Le violon solo de Geneviève Laurenceau a été parfait de sensualité et de virtuosité avec des sonorités pures et aériennes. Chaque famille de l’orchestre a brillé par une présence ardente et une délicatesse de timbres et de nuances que la salle a magnifiées. La direction souple de Tugan Sokhiev, son plaisir partagé avec son orchestre révèlent une qualité d‘échange rare. Le public y a été sensible qui a ovationné la phalange toulousaine et son chef. Quand on sait la valeur des orchestres récemment invités dans cette salle (dont le Philharmonique de Berlin) on mesure le succès artistique de cette équipe Toulousaine.
Une remarque sur la qualité de la salle qui permet à l’orchestre de développer des nuances que leur habituelle Halle-aux-Grains mange ou sature. Il me semble que les qualités de l’orchestre du Capitole ne se révèlent qu’à 75% dans la Halle-aux-Grains. Espérons que le projet de la nouvelle salle verra le jour rapidement à Toulouse afin que le public mesure encore mieux la qualité de son Orchestre qui a ce soir enthousiasmé les Parisiens. Il y va de l’avenir d’un projet artistique de grande valeur. Ce serait dommage que le public toulousain ne bénéficie pas des meilleurs concerts de Son Orchestre !
Paris. Grande salle Philharmonie 1.Le 24 novembre 2015; Ludvig van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour piano n°3 ; Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Shéhérazade, suite symphonique ; David Fray, piano ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction : Tugan Sokhiev.
Chronique écrite pour Classiquenews.com par Hubert Stoecklin