GUY OBERSON, peintre des grandes huiles, des pierres noires, et NANCY HUSTON, auteur de fameux romans et essais – ici poète, publient ensemble chez ACTES SUD le très beau livre TERRESTRES, fascinant, attachant comme une chanson en tête.
Invités par la Librairie Ombres Blanches, ils le présentaient l’autre jour à la Médiathèque José Cabanis à Toulouse. Mais ce que l’on pouvait attendre d’une lecture ordinaire s’est mué en une mémorable performance d’art vivant. Et c’est ce qui vous attend bientôt.
On vient là, simplement attiré par le visuel de l’affiche ou familier des œuvres de Guy Oberson, excité à l’idée de rencontrer Nancy Huston. Personne n’imagine cependant se retrouver à ce point sidéré, puis chaviré, par autant de beauté et d’engagement mêlés.
Qu’annonçait-on, en vérité ? Une lecture sur fond de diaporama : la formule n’est pourtant pas neuve. Sauf que voilà, les deux artistes ont composé ce soir-là une œuvre d’art singulière, la combinaison éphémère de la lumière, du souffle, et du rythme. Un battement : celui d’une vie qui pulse ou qui s’éteint. Longue et lente transe.
Terrestres explore notre rapport à la nature, à notre part animale, sédiments de nos comportements primitifs, nos croyances et mythologies (…). « Je veux être l’abeille, écrit Guy Oberson dans son journal d’atelier. Je veux être le cerf et la montagne, le vent et la pluie, le bourdonnement de la ruche ou le martèlement des sabots, le sang de la bête égorgée… (…) Je veux faire entrer ces natures dans ma conscience de « Terrestre » (…).
À travers une trentaine de poèmes, Nancy Huston commente avec tendresse et drôlerie les prétentions de notre espèce, qui sont à la mesure de sa fragilité. (Actes Sud)
Quelques phrases pour introduire et déjà une dramaturgie s’installe. Dans le presque-noir et la tension parfaitement obsédante d’une musique d’essaim surgissent alors les premières images. Sidérantes disions nous, elles le sont d’entrée. Saisissantes et pleines. Servies par une très haute qualité vidéo et une animation camera aussi discrète que le voyage de l’œil à la recherche de grains de lumières sur une toile de Vermeer.
Par ces glissements insensibles au milieu de fragments que l’on sent mis en mouvement par des instincts écoutés, le geste de Guy Oberson revit, sa main trace perceptiblement pierre noire, lavis, coulures d’aquarelles, huiles épaisses, … Il figure, transfigure, laisse à voir : l’Homme, le petit d’Homme, l’animal, et leurs entre-deux. Fragilité de la massive montagne noire. Nudité du souffle sur la terre dégradée. Refuge des petits oratoires rouge-sang.
Tout à coup nous voilà conscients que les artistes parlent depuis quelques minutes : extraits du journal de son atelier, lus par Guy; poèmes conçus devant les œuvres, interprétés par Nancy. Il y a dans leur lecture beaucoup de tendresse exposée, et une émotion affleurant avec pudeur à la vue de cette extraordinaire animation vidéo dans l’âme des œuvres. Nous comprenons alors que c’est bien la lecture à voix haute qui donne la clef de l’unisson avec le voyage en chaque œuvre de Guy.
La grâce culmine – peut-être en conviendrez-vous – au bout d’un lent zoom-avant dans les limbes de l’huile nommée « Souffle blanc », exactement là où dans le livre Nancy Huston écrit: son dernier souffle a rejoint le blanc de l’air . Mais à ce moment, Nancy Huston ditces mots, et avec une intensité, une presqu’abstraction qui confine à l’épure, si on convient que l’épure existe dans la voix : sa voix était le blanc, était les limbes.
De Terrestres à Bad Girl
Mais qui donc vit dans les limbes?
« Des fœtus hybrides, mélanges entre humains, animaux, peluches et autres espèces imaginaires… drôles d’héritages, n’est ce pas ? Des êtres pas encore nés qui cherchent la vie, le chaud, et l’espace de « respirations ». (Guy Oberson – extrait du journal d’atelier « Fœtus fabulateurs » Berlin 1er juin 2012)
Jonas Ce n’est pas la première fois que je fais référence à Jonas. Ici, il représente la mission que l’on peut recevoir avant de naître. Son pouvoir de perception est tel que la mission va s’inscrire dans toutes les cellules de son corps. Impossible d’y échapper, les parois ne font que le renvoyer à lui-même. Violente imprégnation. Puis amnésie de la naissance. Ensuite cette mission va suinter de partout jusqu’à ce qu’il l’accepte enfin. »
(id. « Jonas »)
Sur Terrestres, leur créativité conjuguée diffuse comme la braise ardente et silencieuse. Souvent, les poèmes de Nancy craquent comme escarbilles et se fichent dans la toile. Par cette insémination féconde, Jonas cousine un peu avec Dorrit, ce fœtus pas encore né qu’elle fut et que Nancy Huston tutoie tout au long de son nouveau livre BAD GIRL, « afin de lui raconter sur le mode inédit d’une « autobiographie intra-utérine » le roman de sa vie. » (Bad Girl – 4e de couverture)
Ainsi, la lecture va se poursuivre dans le frôlement des deux œuvres:
« voilà, amour
tout est prêt maintenant
tu peux naître !
ta vie est neuve mais porte,
empreintes en ton corps-âme :
l’histoire des tiens et toute la
capoeira de la forêt primordiale
dangers, danses et défenses
peurs et prostrations
inscrits en toi en miniature
attendent leur moment pour éclore
le chant de tes ancêtres
est le nid d’où tes rêves
prendront leur envol »
(poème « Jonas » in Terrestres)
L’identité, souvent questionnée dans les écrits de Nancy Huston, est ici nichée dans l’antériorité, l’oratoire amniotique, où le récit place des lectures de Samuel Beckett, Roland Barthes, Anaïs Nin, Romain Gary… préfigurations de sa langue, de sa musique de future terrestre…
« Tu vivras la littérature en mélomane. Sur les sables mouvants de ton enfance, langage et musique seront des échafaudages invisibles, amovibles, sans poids, auxquels tu pourras toujours te cramponner. » (extrait de « Bad Girl »)
Pierre DAVID
un article du blog La Maison Jaune
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Par cette nouvelle expérience, on mesure un peu mieux ce que certains artistes exposent d’eux-mêmes à la nécessité de leur création, ce mouvement vers le ‘en-soi’ à travers les « Lignes de failles » (roman de N.Huston), les interstices, si infimes soient-ils, ces passages où le corps tremble.(1)
Leur sincérité absolue, leur engagement d’artiste, ce serait cela : entrer en résonance avec l’anima, vibrer un temps avec elle, et puis revenir tenter de l’interpréter, témoigner. Par la peinture et ses lectures infinies. Par la langue, fouillée, malaxée, lissée, dont l’écrit garde la puissance.
« Plus nous entrons loin en nous même, plus claire et plus impérative sera l’image que nous pouvons donner de nos sédimentations intérieures, plus aussi notre expression sera universelle» déclarait il y a maintenant quelques années le peintre Hans HARTUNG, dans une belle interview par Ugo Pandolfi. (2)
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TERRESTRES – le livre est attirant, confortable par son format, doux dans les mains qui d’instinct caressent le grain subtil de la page, l’iconographie chatoyante disposée entre équilibre et abîmes. « Terrestres » est un livre que l’on tient contre soi.
A l’écoute des artistes, la grande maison ACTES SUD l’a rendu possible.
[Feuilletez ici quelques pages du livre TERRESTRES]
Bien sûr, tous les lieux de leurs futures lectures n’offriront pas le confort de ce grand auditorium pour la projection vidéo. Mais gageons qu’ils sauront restituer partout l’esprit, la richesse, et la grâce de cette belle forme originelle.
La prochaine « lecture de TERRESTRES est à Paris ce 8 janvier 2015!!
Guy OBERSON a réalisé la vidéo et l’a illustrée avec des extraits des musiques de Paul Giger, 17f, Bliss, Murcof et Jon Hopkins.
(1) Ceci n’est pas sans nous évoquer le mouvement vers les Corps Parallèles / Parallel body, l’oeuvre poétique de Dom Gabrielli.
(2) Hans HARTUNG – Texte intégral de l’interview