Commençons par l’incident.
Marc Minkowski n’aime pas les manifestations diverses et variées de toux pendant ses concerts, et il l’a fait comprendre. Marc n’aime pas ces trachées qui s’abandonnent entre deux mesures de notes impalpables de l’Andante de l’Inachevée, sans doute le plus beau voyage du rêve schubertien qu’il tenait, à tout prix, à nous faire partager, un Andante qui a frôlé l’irréel à plaisir. Il n’aime finalement pas ces genssssss qui ne sont pas capables, soit de rester chez eux, soit de prendre la précaution de se munir d’un foulard, ou écharpe ou étole ou châle ou plaid ou manche de veste ou pull ou…pour étouffer le bruit si prenant de ses glaires qui hésitent entre monter ou descendre, enfin, vous l’aurez compris, il n’aime pas ceux qui ne sont pas capables de reconnaître la somme de travail nécessaire pour essayer de rendre au mieux en concert des pages de partition aussi délicates, aussi sous tension, aussi difficiles à articuler que les pages de l’Inachevée, et à un degré moindre, celles de “La Grande“. Mais, par dessus tout, il déteste la toux de l’ennui, celle des genssssssss qui ne sont bien en concert que pendant les fortissimo durant lesquels ils peuvent plus facilement, par quelques quintes et raclements, remplacer le travail que des cils bronchiques arasés ne peuvent plus produire. Non, il n’aime pas les sons, produits avec tant d’application par l’archet suspendu de ses altistes, couverts par ces tentatives de désembouteillage de pharynx encombré.
La soirée n’était donc pas pour eux, et surtout, ils ne la méritaient pas.
Ne parlons pas, non plus, de ceux qui s’étonnent des quelques imperfections que l’on peut rencontrer dans les sons de certains instruments, n’ayant même pas fait attention au type d’orchestre pour lequel ils se sont déplacés, par goût, ou plutôt par vanité.
Heureusement, l’immense majorité du public a su démontrer sa satisfaction à la fin du concert, et remercier le chef et tous les musiciens de la leçon de musique à laquelle nous venions d’assister. Le chef ? On voudrait se dédoubler et pouvoir le voir de dos, mais aussi de face ! car ses expressions dans la direction me paraissent avoir un côté tout à fait jubilatoire. Je ne sais si Schubert était un grand chef symphoniste – mais il a dirigé si peu de ses symphonies de son vivant puisque la plupart ont été retrouvées après sa mort – je ne sais donc, mais je pense que sur l’estrade, il eût été très content du résultat.
Malgré l’énervement qui enflait, Minkowski sut garder le cap de cette Inachevée aérienne et lumineuse jusqu’au bout, et tenir ses phrases sur la durée choisie grâce à de gros efforts qui n’ont pas échappé au public. D’autres auraient tout expédié pour en finir au plus vite.
“La Grande“ fut immense. Nous voilà conquis par le naturel et la cohérence de l’allure, par le sens de la respiration et des enchaînements. Merci pour toutes les reprises qui ont pu justifier les soi-disantes divines longueurs que l’on écouterait en boucle, avec une équipe de musiciens tout dévoués à la cause du maestro, un hautboïste, entre autres solistes, superlatif, un travail aux bois digne d’éloges, 55 minutes de Franz Schubert dans cette symphonie que l’on n’avait pas entendu résonner de la sorte à la Halle depuis bien longtemps, un Schubert qui sonne avec une jeunesse renouvelée, une rondeur et une chaleur tonifiantes encore renforcées par les sonorités des instruments anciens.
Vous l’aurez compris, tant pis pour ceux qui n’ont pas aimé !!
Michel Grialou
N.B. – le concert a débuté par…le « bis », à savoir le premier mouvement Adagio – Allegro vivace de la Symphonie n°1 de…Franz Schubert, bien sûr.