Le photographe suédois expose à Toulouse ses séries LOWLANDS et HOLLOW
Nouveau livre AUGUST SONG à paraître à l’occasion du festival Paris-Photo
Une vague intuition le lance sur les routes brumeuses de l’Est, ou alors c’est l’Italie le nez en l’air, ou son village natal en Suède qui l’aimante encore. Souvent la dérive sur le sujet dure des années. Dans la rue, il se fait confiance, un peu; il doute aussi, effroyablement, mais se force à continuer. Jusqu’à l’illumination, parfois. Des clichés qu’il ramène, il ne sait pas toujours quoi penser, alors il prend un autre temps, avec ses lumières, ses noirs, ses blancs, ses papiers, … , comme le poète rature ses vers et recommence.
C’est sa drôle de vie, loin des compliments et du faste des vernissages. A nous ses traces et ce qu’elles nous racontent de nous.
On était encore dans l’effervescence des débuts du Festival Manifesto, place Saint-Pierre. De l’autre côté du pont, au bout d’un joli filé par-dessus la Garonne, l’Espace Saint-Cyprien avait eu la bonne idée de programmer au même moment le retour de Martin Bogren pour une double exposition et un workshop. Présent au vernissage, l’homme résume à ce moment l’esprit photo qui anime la ville. Les mots pour l’accueillir et ceux qu’il prononce respirent une belle humanité; un supplément d’âme ose-t-on écrire, qui touche les amateurs venus en nombre et semble avoir également mobilisé les passeurs qui l’entourent.
L’au-delà de photos réussies
C’est sans doute un lieu commun, s’agissant du travail d’un photographe, que de souligner la qualité particulière de la lumière retenue dans ses cadrages, ses compositions, et bien sûr par ses sujets. Avec Martin Bogren, il saute aux yeux que la lumière-matière est l’objet d’une attention toute particulière, comme la travaillerait un plasticien ou un ingé-son: traquée à la prise de vue bien sûr, frisante jusqu’à l’éblouissement – ou au contraire matée, comme éteinte; et jusqu’au développement: on suspecte quelque magie administrée dans le secret de la chambre noire aux négatifs et aux tirages. Vous noterez aussi le choix réussi du papier lightweight pour préserver l’atmosphère singulière de la série Hollow.
Au-delà, en parcourant les deux séries, Lowlands et Hollow exposées à Toulouse, on peut également percevoir une musique au loin, bribes de chants traditionnels, ritournelles d’enfants, mais aussi de longues plaintes, quelques mélopées chamaniques, le tout nimbé de bruissements atmosphériques, ventés, un ensemble inouï qui agit en prolongement sensoriel chez le spectateur qui s’expose face aux images de Martin Bogren.
Sans doute avez-vous réalisé qu’au plus un-e artiste exprime son intime, au plus son œuvre aura une portée universelle parce qu’elle affranchira le public qu’elle touche, encouragera chacun-e à questionner et à affirmer sa propre individualité. Toute fusionnelle qu’elle soit (parfois), la rencontre avec l’artiste ne s’appuie pas sur la partage hypothétique d’une même histoire mais sur la capacité d’une œuvre à faire résonner chacun la sienne.
A cet égard, les images de Martin Bogren dégagent une puissance incroyable.
Toujours dans le registre de l’expérience personnelle, il n’est pas rare d’entendre témoigner de la dynamique à l’œuvre dans les accrochages de Martin Bogren. Chez le spectateur s’exposant de longues minutes à l’énergie subtile des images, un déverrouillage de la mémoire et des émotions peut opérer progressivement, en écho au commerce incroyablement complexe des relations que l’on peut avoir avec les autres, juste croisés ou vraiment rencontrés, dans différentes situations ou aux différents âges de la vie. Quelques fois on est curieux, d’autres fois le pire des misanthropes, ou au contraire animé d’une irrésistible envie d’ouvrir les bras. Solitude et tendresse agissent là aussi comme les pôles qui font passer le courant de la vie comme elle est.
Quel que soit le sujet de ses séries – plus ou moins cadré comme le retour au village de son enfance (Lowlands) ou l’expérience d’une Italie fantasmée ( son livre Italia), voire l’absence de sujet comme ces années d’errances hivernales entre Pologne et Ukraine (Hollow), Martin Bogren nous touche parce qu’il ne nous montre que ce qui lui arrive, ce qui le percute.
Regard direct et confrontant des visages, postures fragiles, tendresses irradiantes ou solitudes bouleversantes, ces images sont réussies parce qu’elles ont été saisies à l’instant exact où le photographe était en phase totale avec son sujet, personne ou situation. Et le soin apporté au tirage, à la mise en valeur de telle lumière, au choix des contrastes et des papiers n’a d’autre but que de restituer le plus fidèlement possible cette intime vibration.
Nick Cave ne disait pas autre chose en conseillant à une jeune songwriter confronté à la grosse panne d’inspiration de se mettre en condition pour recevoir la chanson, la laisser trouver son chemin jusqu’à lui.
My advice to you is to change your basic relationship to songwriting, You are not the ‘Great Creator’ of your songs, you are simply their servant. They are not inside you, unable to get out; rather, they are outside of you, unable to get in. [N.Cave, june 2019 in The Red Hand Files]
Exposition à l’Espace Saint-Cyprien jusqu’au 13 novembre 2019
L’occasion est rare de voir les séries exposées puisque le livre Lowlands est à présent épuisé, et que la série Hollow (hormis un portfolio déjà épuisé) ne fait pas encore l’objet d’un livre (en projet).
Les publications et tirages de Martin Bogren sont disponibles sur la Boutique en ligne de l’Agence VU’
A paraître chez L’Artière Editions, le nouveau livre AUGUST SONG
- Dédicaces de Martin Bogren sur le stand de l’éditeur à l’occasion du festival PARIS-PHOTO; quelques tirages seront visibles sur le stand de l‘Agence VU’
- Expo simultanée à la galerie VU’ (Paris)
Pierre David
Un article du blog La Maison Jaune