Les multi faces du génie de Beethoven en musique de chambre à Salon
Beethoven, le grand démiurge est en fait un compositeur plus complexe que ne le laisse penser l’hagiographie post romantique toujours vivace. Beethoven a été un musicien brillant, léger et capable d’humour avant de sombrer dans la misanthropie et la surdité. Il n’est pas moins génial, à mon avis, dans la musique moins mûre et plus joyeuse.
Le début du concert a présenté Beethoven en compositeur incontournable de quatuor à cordes. Le deuxième Razoumovski a du cran et nous sommes déjà dans une œuvre de grand format, avec une énergie encore jamais vue dans le genre du quatuor à cordes. Dès le début l’énergie des quatre jeunes musiciennes est considérable, mais surtout leur manière de remplir de musique les silences interpelle. C’est là que je devine la qualité musicale de ce tout jeune quatuor. Car cela ne fait qu‘une petite année que le quatuor Mona se produit. Et déjà il est possible de leur prédire une belle carrière. Car outre les qualités instrumentales de chacune, que je ne voudrais pas manquer de souligner, c’est cette communication si vivante et si belle à voir dans leur jeux qui fait beaucoup pour donner à l’auditeur accès aux splendeurs des partitions interprétées.
Certainement c’est « gonflé » de s’attaquer si jeune à ce deuxième Razoumovski mais le résultat est conquérant. La maturité artistique est déjà là, la vie va avancer et leur donner cette profondeur si angoissante de l’âme beethovénienne pour les quatuors suivants. Pour l’instant c’est une version lumineuse, en recherche de sérénité et pleine de vie qui nous est offerte, avec tout spécialement ce final caracolant dans une énergie inépuisable. Bravo mesdames du Quatuor Mona, nous aurons plaisir à vous suivre.
Le Quintette pour piano et vents en mi bémol majeur est le cousin de celui de Mozart. Même si la rencontre entre Mozart et Beethoven n’a pas donné de suite précise, il est touchant de comprendre comment Beethoven avec cette pièce si singulière rend un amical salut au maître Mozart. De manière très personnelle Beethoven suit le modèle sans s’y soumettre. C’est avec une belle énergie que nos interprètes, tous fins musiciens, se sont jetés dans ce quintet du bonheur. Le chant du hautbois de François Meyer avec cette sonorité si souple, belle et ronde a été une merveille. Et la virtuosité goguenarde du basson de Gilbert Audin, la superbe tenue du cor de Benoît de Barsony dans des solos merveilleux, la clarinette facétieuse de Paul Meyer, très prima donna, se sont répondus avec art. De même Eric Le Sage a su se régaler et nous régaler dans une partie très exposée par Beethoven. Ainsi nous ont-ils prouvé que le géant de Bonn a été un temps un musicien heureux.
Mais la deuxième partie du concert nous a réservé la surprise de découvrir l’humour et la bonhommie dans l’oeuvre de Beethoven ; certes ces thèmes et variations d’après « La ci darem la mano » est tout à la gloire de la flûte d’Emmanuel Pahud ce soir. Pourtant la manière dont le thème est détourné, inversé, sublimé, moqué, par Beethoven permet aux instruments à vent, de s’amuser ensemble. Quel brio dans les moments de virtuosité du basson de Gilbert Audin ! La flûte qui remplaçait le hautbois a été souveraine sous les doigts agiles d’Emmanuel Pahud avec cette manière dansante si enthousiaste qui caractérise ce musicien d’exception. Humour et bonne humeur au rendez-vous de cette soirée tout Beethoven, voilà qui a du être une sacrée surprise pour d’aucun.
Pour finir le concert et rendre hommage au génie pianistique de Beethoven, quelle sonate peut le mieux en dire la grandeur que la gigantesque (plus de 50 minutes), Hammerklavier ? Le jeune pianiste français (24 ans) Théo Fouchenneret, s’y engouffre avec panache. Il met un peu de temps à gommer une certaine dureté dans le premier mouvement. Comme si le pianiste cherchait à garantir la clarté de l’articulation, la fermeté rythmique et la puissance des forte. Tout ceci rentre rapidement dans l’ordre et ce qui séduit l’auditeur c’est l’engagement du musicien dans cette partition fleuve. Il est évident que ce jeune artiste a quelque chose à dire. Tout du long les choix sont intéressants, seul un petit manque de legato dans le troisième mouvement ; ce legato pré-chopinien, que seuls les plus grands musiciens savent mettre, peut être relevé. Car peu de pianistes savent rendre toutes les facettes de cette sonate avec le même bonheur. En tout cas la puissance digitale est sidérante, les couleurs sont multiples et les phrasés très intéressants car nous emmenant loin, très loin. Seul un musicien avec une vue claire et généreuse peut ainsi guider l’auditeur dans les merveilles incroyables de cette partition absolument magistrale. Le piano roi de Beethoven porté par Théo Fouchenneret a terminé en apothéose ce très bon concert donnant une juste vision du Génie Beethovénien avec ses facettes multiples.
COMPTE-RENDU, concert. Salon de Provence, Château de l’Empéri , le 3 Aout 2019.; Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Quatuor à cordes n°8 en mi mineur Op.59, n°2 « Razoumovski » ; Quintettte Op.16 en mi bémol majeur ; Variations en si bémol majeur sur « Laci darem la mano » Op.2 ; Sonate Op.106en si bémol majeur « Hammerklavier » ; Quatuor Mona : Verena Chen , Roxana Rastegar, violons ; Ariana Smith, alto ; Caroline Sypniewski, violoncelle ; Emmanuel Pahud, flûte; François Meyer, hautbois ; Paul Meyer, clarinette ; Gilbert Audin, basson ; Benoît de Barsony, cor ; Eric Le Sage, Théo Fouchenneret, Piano.
Article écrit pour Classiquenews.com