Tous sont en noir sauf la Borgia, bal à Venise en manteau blanc, souper à Ferrare en robe rouge. Les colliers Renaissance côtoient les lampes torches et le mobilier design. Murs ajourés et plafonds miroirs font les jeux des lumières et des espions en ombres. On apporte et on ajuste à vue juste ce qu’il faut pour changer de lieu avec fluidité, sans échapper à la gondole et son gondolier. Les lettres de B.O.R.G.I.A. sont cependant trop clinquantes et mobiles pour que la chute du B ait l’impact qu’on attendrait. Gennaro et Maffio ont grandi ensemble, partageant leurs jeux de construction ; ils semblent y jouer toujours, Gennaro très absorbé dans des calculs de structure ou des dessins techniques, Maffio plus turbulent et surtout plus entreprenant – un baiser bien appuyé agrémente le génie civil. Mais pourquoi donc la petite ville décolle-t-elle du sol ?
Si l’esthétique flatte l’œil, les interactions entre personnages sont peu marquées à Venise. Il faut attendre la scène du couple au palais ducal pour que les corps s’engagent, parfois artificiellement, mais créant une tension palpable. La confrontation laisse d’ailleurs cois les nombreux tousseurs.
Les artistes du chœur sont comme toujours excellents et on doit saluer l’excellent Astolfo de Laurent Labarbe. Parmi les autres seconds rôles, c’est le Gubetta de Julien Véronèse qui se distingue. Éléonore Pancrazi, en retrait en début d’œuvre, parvient à s’affirmer ensuite en Maffio exalté et sensuel, même si la projection et les graves restent limités – mais Giacomo Sagripanti veille avec attention à l’équilibre entre plateau et orchestre.
La voix de basse et la présence scénique d’Andreas Bauer Kanabas dessinent un duc de Ferrare animal, fin manipulateur sans noirceur forcée. Mert Süngü en Gennaro exagère en revanche les effets étouffants du poison et donne çà et là quelques notes disgracieuses.
L’entrée en scène d’Annick Massis s’accompagne de quelques craintes : l’artiste est prudente, la technique est visible, les respirations bruyantes. Mais au fil de la représentation, la voix retrouve une fraîcheur et une agilité exceptionnelles ; la dernière lamentation, les trilles impeccables, les aigus filés, les superbes graves, émeuvent aux larmes. Le plafond vient écraser la Lucrezia effondrée sur le corps de son fils, qui ne boira pas le poison à son tour, mais mérite assurément un flacon d’or.
Théâtre du Capitole, 27 janvier 2019
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.