Le Musée Paul-Dupuy et Tisséo organisent une exposition rétrospective du peintre littéraire jusqu’au 31 mars 2019, intitulée L’Alphabet des Astres. L’occasion de découvrir l’immensité de son travail dans la densité et la diversité, mais aussi de voir et revoir avec d’autres yeux cette formidable Voie lactée, plafond inouï de la station de métro : Carmes. Sans oublier l’immense panneau fait de 400 portraits, monté dans le hall d’entrée du Tribunal de Grande Instance.
“Le feu a tracé dans ma vie une étrange frontière. Au sein de la lumière diurne, il ouvre une faille, un passage vers la mort.” JP Marcheschi. Il vous dira d’emblée que la nuit, le noir, l’obscur, c’est son élément, que le langage est dans la nuit, que le sommeil a été fondateur pour lui et l’a occupé dès les première expositions, qu’il a passé onze ans de sa vie à l’observation méticuleuse de ses propres sommeils.
On comprend d’autant mieux pourquoi JP Marcheschi précise bien qu’il est né, dans la nuit, du 16 au 17 février 1951 à Bastia, après avoir parcouru son livre consacré à Goya et qui s’intitule : Voir l’obscur. Le quatrième d’une série consacrée à des peintres, Piero della Francesca – Lieu clair – , puis un autre sur Pontormo, Rosso Fiorentino, Greco – La déposition des corps, puis sur Monet, avec Camille morte – Notes sur les Nymphéas, sans oublier son écrit intitulé Le Livre du sommeil – Notes sur la flamme, la peinture et la nuit de 1995, réédité.
C’est le côté écrivain, analyste, mais pas seulement de l’artiste peintre, sculpteur par le feu. Rappelons : « Notes d’un peintre : états du feu, 1993 » et auparavant, 1991, un entretien intitulé : « Le désir et la nuit. » avec Gérard Pesson. La nuit constitue bien un élément obsessionnel chez Marcheschi. C’est avant que le sommeil ne le rattrape, ou au cours d’insomnies, ou au réveil que l’homme écrit, écrit, écrit tout ce qui lui vient à l’esprit, ce que lui-même appelle « l’irruption violente du bordel des écritures », griffonne, esquisse, dessine sur des feuillets, tous identiques, que l’on retrouve partout, intacts mais rarement, troués par la flamme, ou par la cire brûlante, ou remplis de suie, parcourus d’encres, un travail reconnaissable entre tous. « Je peins avec le feu » nous dit-il.
Jean-Paul Marcheschi, est l’auteur d’une œuvre « libre, singulière et puissante, où se mêlent peintures et écritures, sculptures, installations. » Accueillie de plus en plus fréquemment et régulièrement par les institutions culturelles, on ne compte plus les expositions collectives, ou personnelles dont de mémorables, parmi lesquelles Les Onze Mille Nuits à la Défense, Le Pharaon Noir à l’Hôtel des Arts de Toulon, Les Fastes dans ce lieu magique et extraordinaire qu’est le Musée de la préhistoire d’Île-de-France de Nemours (la confrontation des deux sangliers !). Au Musée Paul-Dupuy, nous passerons de la salle dite du Voyage à Stromboli, à celle des Immatériaux puis Salle du Mondo chiaro à la salle de la Constellation puis celle des Livres rouges, sorte de bibliothèque de plus de 15000 pages avec peintures, huiles, pastels, encres, fusains, la Salle de Dante et enfin celle des Astres sans oublier la salle pour visionner les films. On remarquera l’utilisation presque “démoniaque“ de la lumière sous forme de LED qui lui permettent des réalisations que les lampes et néons d’autrefois ne pouvaient.
Son œuvre n’en a pas moins attiré, depuis plus de trente ans, de grands écrivains et critiques d’art, mais aussi nombre d’universitaires, gens de théâtre et compositeurs, dont Pascal Quignard (Quartier de la Transportation, Éditions du Rouergue), Jacqueline Risset, Gérard Pesson, Nicolas Joël, Jacques Bonnaffé, Philippe Dagen, Dominique Noguez, plus récemment, le poète Jacques Roubaud qui lui a consacré deux livres : Les Fastes et Dans les forges du Daïmon aux éditions Lienart. Pourtant, l’art de Marcheschi demeura un temps secret, et en grande partie inaperçu. À trop représenter la nuit, les ténèbres, le noir, l’œuvre jaillit maintenant d’autant plus dans la lumière.
Jean-Paul Marcheschi accomplit depuis une trentaine d’années une œuvre où tout est singulier, de l’emploi du flambeau en guise de pinceau à la présence de l’écriture manuscrite et à celle d’une mémoire poétique, musicale et picturale immense. Lui-même est l’auteur de plusieurs écrits et entretiens. Une telle production fait penser à un cratère bouillonnant de volcan, avec de fréquents épanchements de laves en fusion, surtout quand il vous dit, par exemple, que le panneau exposé au Tribunal est fait avec 400 portraits qu’il a dû choisir au milieu de 11 000 disponibles. Mais il y a portrait et …portrait. Il faut les découvrir pour mieux saisir le sens qu’il donne au mot image.
Ou encore, quand on sait la multitude de croquis et esquisses et peintures qu’il a produit pour ce décor extraordinaire de L’Oiseau de feu, ballet donné au Théâtre du Capitole, commande de Nicolas Joël, alors Directeur artistique de la structure. Nous sommes dans la salle dite salle nocturne. Travail gigantesque pour lequel le peintre avait refusé toute transposition suivant le principe : « Rien de ce qui serait visible sur scène qui ne soit commandé et issu de mon pinceau de feu », et ce titre sera suivi à la lettre, les spectateurs découvrant en 1996, à l’ouverture du rideau, un panoramique de 21 m de long et 8m de hauteur !! de cire, de suie, d’encres et de feu, ce feu qui est partout. 2600 feuillets perforés de format A4 ! Ce feu redoutable qui illumine sa vie, à qui il peut imposer la forme dans la réalisation d’objets figuratifs alors que le feu lui-même ne pense que chaos et destruction.
Mais, en tant que toulousain, comment peut-on ignorer son travail de cinq ans, sans parler des préliminaires, consacré à la fameuse Voie lactée de la station de métro Carmes. Réalisation colossale et exemplaire datant de 2007, et révisée en 2015. En partenariat avec Tisséo, cette exposition est l’occasion de remettre en situation avec ses autres travaux, l’artiste, auteur de cette monumentale réalisation, une façon d’ouvrir le public sur un ensemble moins connu, de l’approfondir aussi et de s’interroger sur les prouesses techniques qui ont pu conduire à ce plafond. Et sachez qu’au dessus de vos têtes, « l’irruption violente du bordel des écritures » est aussi présente.
L’expo se complète donc par cet immense panneau présent dans le hall du Palais de Justice – Tribunal de Grande Instance, et intitulé Les Onze Mille Portraits de l’humanité. En travaillant les 400 qu’il a retenus, portraits au feu, l’artiste tente d’exprimer à la fois leur extrême singularité et leur part d’universalité sur le principe : le visage est unique, il n’est personne, il est cent mille.
Michel Grialou
Musée Paul Dupuy
Jean-Paul Marcheschi • L’Alphabet des Astres
jusqu’au 31 mars 2019