De Claude Vivier, pour la composition et le livret, cet opéra, en deux actes, en français et langue inventée, sous-titré Rituel de mort, créé en 1980 à Montréal, est bien l’illustration parfaite des tournoiements occupant une pensée très fortement perturbée par une enfance peu ordinaire et par les réalités d’un quotidien adulte intempestif délibérément choisi. Une vie se terminant tragiquement à 34 ans en 1983.
L’ouvrage est donné au Théâtre Garonne, en partenariat, à 20h, les 11, 12 et 13 décembre, et dure 70 minutes. L’Opéra Kopernikus, comme son créateur se plaisait à le dire en insistant (1978-79), sous-titré « Rituel de mort », s’inscrit dans une sorte de bilan. C’est un voyage, au seuil de la mort, entre souffrance et libération, purification, avant le passage ultime à l’état de pur esprit. Il est composé au sortir d’une double révélation à lui-même (d’abord par la grâce de l’enseignement de l’allemand Karlheinz Stockhausen, musicien de 20 ans son aîné, puis par celle d’un long voyage en orient et surtout une immersion totale à Bali, où il découvre et pratique la musique), et à un rituel d’éternité, le nom de Dieu (« Hu », la première syllabe du mot « humain » selon une doctrine soufie citée par le compositeur) étant à l’origine de toute la partition.
Fasciné depuis son enfance par l’astronomie, Vivier a intitulé son opéra en référence à Copernic, le chanoine polonais et astronome du XVè qui a, dit-il, « découvert que le centre de l’univers n’était pas la terre, mais plutôt le soleil. Alors ce qui m’intéresse c’est l’idée du chercheur cosmique, qui a commencé à voir plus loin que la terre. On ne le voit qu’à la fin de l’opéra, c’est lui qui ouvre les portes du ciel… ». Tout simplement la révolution copernicienne : De revolutionibus orbium coelestium (« Des révolutions des orbes célestes »).
Inspiré des Aventures d’Alice au pays des merveilles, opéra tout entier placé sous le signe du feu et de l’eau, il commence par une lettre de Lewis Carroll et réunit des personnages mythiques (Merlin, le Roi Arthur, la Reine de la nuit, Tristan et Isolde) autour d’Agni, dieu/déesse hindou(e) du feu, laquelle demande notamment à Mozart s’il est vrai que, dans le château de la fée Carabosse, les gens communiquent par le biais de la musique…Une page totalement onirique, sorte de caprice féérique, nostalgique et naïf, peut cernable il est vrai et mélangeant les langues ou supposées langues, avec une vocalité débordante, parfois déconcertante, sans guère de polyphonie mais plutôt une juxtaposition comme improvisée de voix.
« Kopernikus, c’est Claude Vivier qui écrit le rituel de sa propre mort. Dans cet opéra, il a écrit la musique qu’il n’a jamais entendue dans sa vie, comme les paroles d’une mère aimante. Kopernikus, c’est une musique qui cherche, l’amour, le désir. Comme Claude Vivier, si on n’a pas d’amour dans notre vie, il faut le créer. » Peter Sellars.
Son écriture le placerait, d’après les musicologues avertis, dans la mouvance de la musique spectrale, courant majeur apparu en France dans les années 1970, ayant pour base une sorte de poétique de l’énergie sonore. Ce qui pourrait expliquer le séjour parisien entrepris par le compositeur québécois en 1982. Celui qui se qualifiait de : « Je suis un écriveux de musique », clamant ainsi par un néologisme propre à manifester sa détermination, envers et contre tout, à s’exprimer avec des mots et des notes n’appartenant qu’à lui. Langue inventée, dit-on, peut-être l’influence du Stimmung de Stockhausen, cette partition donnée en création mondiale à Paris, une magistrale démonstration d’anti-musique qui commence par des gargouillis et se continue par de longues psalmodies sur des onomatopées.
Œuvre divisée en deux parties, de trois scènes chacune, pour : sept chanteurs, ensemble vocal Roomful of Teeth, sept instrumentistes appartenant à l’ensemble instrumental L’Instant Donné et bande, elle est mise en scène par Peter Sellars.
« Des mondes de la vie, de la mort, à une vie nouvelle, la musique de Vivier trouve la paix au-delà de la paix, le repos sacré dans l’action métaphysique. Les visionnaires sont là. Nous n’avons plus à avoir peur » Peter Sellars au sujet de Kopernicus.
Peter Sellars est aidé par Eric Dudley à la direction des répétitions, ainsi que par Michael Schumacher, danseur-chorégraphe et collaborateur, par Seth Reiser aux lumières et à la régie générale, Pamela Salling.
C’est une production Festival d’Automne à Paris, et une coproduction Théâtre de la Ville-Paris, Théâtre du Châtelet (Paris), KunstFestSpiele Herrenhausen (Hanovre), Nouveau théâtre de Montreuil, centre dramatique national ; Théâtre du Capitole (Toulouse).
Les sept instruments sont : hautbois, trois clarinettes, trompette, trombone et violon. 2 x 7, ou quatorze musiciens, en souvenir, décrypte Vivier, de sa date anniversaire, le 14 avril, signe de la dimension autobiographique de l’œuvre.
Claude Vivier
Né à Montréal le 14 avril 1948, de parents inconnus, en un mot, abandonné à la naissance, Claude Vivier est placé dans un orphelinat où il restera jusqu’à Noël 1950. L’enfant semble bien parti pour être adopté, mais le couple Vivier le ramène à l’institution après les fêtes. L’adoption officielle interviendra néanmoins en août 1951. Commence une vie qui, sur les photos, semble n’inspirer que du bonheur au jeune enfant dans sa famille d’adoption, même si l’enfant ne s’exprimera enfin qu’à l’âge de 6 ans. Mais, le diable rôde. Abusé sexuellement à 8 ans par un oncle, il est écarté et envoyé dans un internat et ne voit plus sa famille que pendant les vacances. La scolarité chez les Frères Maristes le conduit au séminaire. Après quelques mois seulement de noviciat, pendant l’année scolaire 1966-1967, le jeune homme comprend qu’il n’est pas fait pour la vie monastique. Il a découvert à la fois son homosexualité et, surtout, sa nature de compositeur.
Subjugué par l’orgue et par les chants entendus, à 14 ans, pendant la messe de minuit, il voit la musique comme un élément de rêve susceptible de le protéger des atteintes de la réalité. En effet, dans une partition, tout est permis. Y compris l’usage d’une langue inventée. Même si dans son premier essai Ojikawa de 1968, il utilise des extraits du Psaume 131.
En 1970, alors qu’il vient d’obtenir ses prix d’analyse et de composition dans la classe de Gilles Tremblay (un disciple québécois d’Olivier Messiaen) au Conservatoire de Montréal où il a été admis en 1967, Claude Vivier effectue deux longues retraites dans l’abbaye cistercienne d’Oka, où il retournera tout au long de sa vie après des moments difficiles. Mystique un jour, mystique toujours. Sur ce plan, il aura bientôt à qui parler avec Karlheinz Stockhausen (1928-2007), qui l’accepte enfin parmi ses élèves, à l’automne 1972, à Cologne, après un parcours semé d’embûches. Stockhausen, Claude Vivier aurait-il été très sensible, comme un Olivier Messiaen au Gesang der Jünglinge, ce Chant des adolescents, pour voix d’enfants et sons électroniques, œuvre que Messiaen qualifiait de réussite totale, œuvre exquise de fraîcheur et qui correspondait alors à son secret désir de retour à la nature ? Auprès du musicien allemand, Claude Vivier déclarera être né une troisième fois “à la composition“, la deuxième fois ayant été la rencontre de Gilles Tremblay.
En 1983, les aléas d’une vie choisie le conduiront dans des prises de risque que l’on ne peut que rapprocher de celles d’un Pasolini, une homosexualité à très forte tendance sado-masochiste, et ce sera pour lui, comme pour le cinéaste italien, la rencontre de trop à même pas 35 ans. Certains évoquent le fait que ces mises en danger pour assouvir ses pulsions étaient en lien avec une enfance traumatisante et la volonté de retrouver ses parents biologiques jamais connus. Pendant ce temps, son dernier opus achevé, Trois airs pour un opéra imaginaire (sur un texte en langue inventée), fera sensation, lors de sa création posthume, le 24 mars 1983, au Centre Pompidou à Paris, quinze jours après sa dramatique agression mortelle. Sur sa table de travail, par contre, une partition dont le titre allemand interpelle, Glaubst du an die Unsterblichkeit der Seele, « Crois-tu en l’immortalité de l’âme », et plus encore, son contenu, paraît-il.
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Théâtre Garonne
11 – 12 – 13 décembre 2018