Cette fameuse aria, incontournable dans le répertoire de tout ténor qui se respecte, sera interprétée par « le Gérard Philippe de l’opéra », « the italian tenor » du moment, j’ai nommé Vittorio Grigolo. Il est Nemorino dans cette production de L’elisir d’amore de Gaetano Donizetti. Le toscan de trente-sept ans, au parcours pour l’instant irréprochable, est la nouvelle étoile, douée d’une voix peut-être pas immense mais irradiant avec cette lumière qui fait étinceler les aigus, et cette impalpable fêlure qui lui confère grain et poésie personnelles. Elle a aussi la facilité d’émission et la projection qui sont la promesse de lendemains chantants, à coup sûr.
Cette production, virevoltante, est menée de main de maître par le metteur en scène Laurent Pelly, entouré de son équipe habituelle. C’est une de ses grandes réussites scéniques avec d’ailleurs, une autre œuvre de Donizetti, la fameuse Fille du régiment. Sa création est empreinte de l’atmosphère italienne des années 50. Nino Rota, Fellini ne sont pas loin. Les décors sont de Chantal Thomas. Ils sont tout simplement superbes et extrêmement bien réalisés. C’est touchant, c’est drôle, c’est avant tout une grande comédie même si la fin du premier acte est, sur l’instant, assez cruelle. La production est dirigée par Daniele Rustioni à la tête de l’Orchestre et des Chœurs du Royal Opéra.
L’ouvrage fut écrit en deux semaines, l’affaire rondement menée, et créé le 12 mai 1832 avec un grand succès à Milan au Teatro della Canobbiana. Avec une distribution réunissant quelques-uns des plus grands artistes disponibles alors. Le succès fut complet et l’ouvrage conquit rapidement l’Europe entière, n’atteignant cependant Paris qu’en 1939 où il bénéficia d’un quatuor dit de légendes du chant. Plus tard, ce fut l’un des rares ouvrages de Donizetti, avec Don Pasquale, Lucia di Lammermoor, et dans une moindre mesure, La Favorite, à ne pas sombrer dans l’oubli. Au XXè siècle, le succès de cet opéra ne se démentira pas et il n’est pas difficile de comprendre le pourquoi.
S’il offre, avec Belcore et Dulcamara, deux personnages à la caractérisation brillante, les deux rôles d’amoureux sont pensés et décrits de façon tout à fait exquise : la coquette et un brin espiègle Adina, au fil de ses duos et jusqu’au vibrant Prendi, se fait toujours plus tendre et, sans jamais renoncer à la légèreté qui la caractérise, doit mettre progressivement le poids du sentiment dans son chant. Plus encore, Nemorino permet à un ténor, une composition absolument originale, et si elle est réussie de s’assurer un véritable triomphe. Ce n’est pas un jeune premier conquérant, ni un valeureux guerrier, ni un amoureux donnant dans le tragique, c’est un jeune homme simple, pas un benêt, doux, sensible et délicat, qui sait être tour à tour drôle et touchant, ou les deux à la fois, qui nous émeut sur le champ, et qui, évoquant la larme furtive sur la joue d’Adina, doit savoir en mettre une dans sa voix. Rappelons que cette fameuse furtiva lagrima fit les beaux jours d’un certain Caruso mais aussi fut l’un des premiers triomphes du phonographe naissant.
Quelques mots sur le synopsis
Acte I
Le jeune et timide Nemorino est amoureux de la belle et relativement riche fermière, plutôt capricieuse, Adina, ici la soprano Lucy Crowe. Celle-ci est occupée – comme par hasard – à lire la légende de Tristan et Yseult et s’amuse beaucoup de cette histoire de philtre…
Le sergent Belcore, ici le baryton Levente Molnar, très sûr de sa personne, courtise la jeune fille, de façon peu légère, et, ne doutant pas un seul instant de son pouvoir de séduction, évoque même le mariage. Adina décide de se jouer un peu de lui pendant que Nemorino enrage…Celui-ci lui déclare d’ailleurs sa flamme, mais Adina répond avec sincérité qu’elle est trop inconstante et qu’il ferait mieux de se garder d’elle.
C’est alors que survient le docteur Dulcamara, la “grande“ basse Bryan Terfel. Aux villageois, il vante les bienfaits, les pouvoirs magiques de son célèbre élixir de jeunesse. Se souvenant alors de l’histoire de Tristan, Nemorino lui demande conseil et Dulcamara lui présente un élixir d’amour. Nemorino fait l’acquisition d’une bouteille pendant que le charlatan sourit de son innocence. Il confesse en aparté qu’il ne s’agit que d’un vin de Bordeaux – dixit le livret !
Dès les premières gorgées, Nemorino se sent beaucoup mieux et feint d’ignorer Adina, fort surprise de ce changement d’attitude à son égard. Pour se venger, elle décide alors de hâter son mariage avec Belcore. Un ordre vient d’ailleurs d’arriver pour lui et il se doit de quitter les lieux dès le lendemain. Ses devoirs de sergent l’appellent. Le mariage, un peu précipité, devra avoir lieu dans la journée. N’y tenant plus, Nemorino presse Adina d’attendre au moins jusqu’au lendemain, mais elle refuse cette supplique.
Acte II
Le village tout entier fête les nouveaux époux. Seul Nemorino ne participe pas aux réjouissances et, bizarrement, Adina est furieuse de son absence.
Désespéré, notre amoureux éperdu veut acheter une autre bouteille mais il n’a pas d’argent…Entre-temps, prise à son propre piège, Adina décide elle-même de repousser son mariage jusqu’au soir. Cherchant à se procurer quelques écus, Nemorino suit le conseil de Belcore et s’engage illico dans l’armée, touche quelques écus et ainsi court immédiatement voir Dulcamara.
C’est alors qu’une nouvelle étonnante circule dans le village : le riche oncle de Nemorino est mort et le voici donc maintenant millionnaire. Immanquablement !! toutes les jeunes filles du village le regardent avec tendresse et lui, ignorant la nouvelle, est persuadé que tout cela est dû à l’élixir miraculeux.
Adina est troublé par ces nouveaux succès. Elle essaie alors de parler à Nemorino, qui ne l’écoute plus. Quand Dulcamara décide de révéler à la jeune fille l’amour si pur de Nemorino, elle regrette son attitude et décide de le reconquérir. L’amoureux a bien noté le trouble qui anime son amour et espère l’avoir touché, enfin. Elle vient à sa rencontre et lui avoue qu’elle a racheté son engagement dans l’armée. Pressée par Nemorino, elle lui avoue son amour.
Il ne reste plus à Belcore que d’accepter le sort avec philosophie pendant que Dulcamara se charge de vendre quelques autres flacons de son précieux breuvage.
Une bien belle histoire, pas prise de tête, pleine de fraîcheur en ces temps pleins par contre de turpitudes.
Michel Grialou
Opéra en direct du Royal Opéra House de Londres
Cinéma Méga CGR de Blagnac – mercredi 26 novembre 2014 à 20h15
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