Dès 19h45, ce seront les premières notes de la musique de Giacomo Puccini, ce maître-queux du drame humain, qui captiveront la salle sûrement comble de Covent Garden à Londres. Et, en même temps, les mélomanes de dizaines de salles bénéficiant de la retransmission en direct de l’événement. Un événement rendu ainsi accessible de la meilleure manière possible à un plus grand nombre.
« Et faire pleurer, toujours, mais avec quelque chose de merveilleux, séduisant et gracieux. » Quand le 1er février 1893, le compositeur crée à Turin son troisième opéra, personne n’aurait parié sur un pareil triomphe. Ce seront trente rappels qui saluèrent le jeune musicien. Son rêve est exhaussé, il fera carrière dans l’opéra. Manon Lescaut sera le premier d’une série ininterrompue de chefs-d’œuvre, lui offrant immédiatement une renommée internationale. Ne dit-on pas à ce sujet qu’il compose en cinémascope, en juxtaposant les plans dans un montage serré, sans tisser une fibre symphonique continue ?
« Il nous faut trouver une histoire qui nous retienne par sa poésie, et nous inspire au point que nous en fassions un opéra. » G. Puccini
Le dernier tome des célèbres Mémoires de l’Abbé Prévost parues en 1731, est le roman, L’histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut. Pas sûr que l’ouvrage se retrouve fréquemment sur les tables de chevet actuelles, mais il eut un succès certain à sa parution et tout au long du XIXè. Ce roman va inspirer au moins deux ouvrages lyriques, le Manon Lescaut (1893) de Puccini, et quelques années auparavant, pour Jules Massenet, Manon, tout court (1884). Si la musique est de Puccini, par contre, il est bien difficile d’accoler un seul nom au livret. On dira une étroite collaboration à plusieurs (cinq ?) dont…Puccini.
Laissons la Manon, et occupons-nous de la Manon Lescaut, ce drame intérieur, drame des sentiments. C’est peut-être au quatrième et dernier acte qu’il s’exprime le mieux, dans cet acte où finalement il ne se passe rien, mais qui est d’une très grande émotion quand les protagonistes sont chanteurs et acteurs. « Sola, perduta, abbandonata… », sachez que son interprète, Kristine Opolais, meurt, dans les plaines désertes de la Nouvelle-Orléans, dans les bras de son amant éperdu, le Chevalier des Grieux, rôle tenu par le plus couru des ténors actuels, et ce, dans le monde entier, le dénommé Jonas Kaufmann, la “coqueluche“ de toutes les scènes lyriques mondiales. Il est vrai que l’homme a plus d’un atout : le timbre de voix, l’ambitus de la voix elle-même, le physique et son engagement scénique exceptionnel. Toutes les qualités requises pour la prise de rôle de des Grieux, et déjà mises en évidence dan Werther, Don José, Don Carlo, Lohengrin, Parsifal…L’artiste réussit tout, une réussite totale dans la lignée la plus évidente d’un Placido Domingo.
Jonas Kaufmann : « Il y a deux types de musiciens : ceux entièrement passionnés par absolument tout et qui ne recherchent que l’émotion, et ceux qui n’ont pour but que la perfection et la technique. J’ai personnellement toujours appartenu au groupe des passionnés. Ma famille aimait infiniment la musique, j’ai donc grandi en écoutant de la musique classique tout le temps, et plus particulièrement de la musique riche et puissante – pas seulement celle de Mozart ou Bach, mais une musique très viscérale telle que celle de Mahler, Strauss, Wagner, Bruckner ou Chostakovitch. Des choses extrêmement fortes, bien que n’étant pas des opéras. J’ai ainsi vécu quelques moments-clés, notamment en assistant à un opéra, au cours desquels j’ai réalisé que je pouvais faire partie de cet univers. C’est encore un pas supplémentaire que d’être accompagné par un orchestre en étant sur scène, maquillé et costumé de la tête aux pieds, comparé au fait de chanter tout simplement au beau milieu d’un orchestre. »
Pour faire court, au troisième acte, Manon est embarquée au Havre sur un bateau en partance pour la Louisiane pour rejoindre le bagne avec quelques autres “courtisanes“. N’ayant pu la soustraire à l’embarquement, son amoureux réussit à apitoyer le Commandant du navire qui le prend à bord en tant que…mousse. La tragédie traverse l’Atlantique. Dans Manon, elle était restée sur les quais du port, et mourrait avant d’avoir quitté le sol natal.
La nouvelle production de ce drame lyrique en quatre actes est de Benjamin Hullet. Elle est, avec la distribution vocale, placée sous l’autorité du maestro Antonio Pappano. Il aura la lourde charge de faire sien ces mots du compositeur : « Les passions, qu’elles soient ou non violentes,…ne doivent jamais cesser d’être de la musique. »
Michel Grialou
Manon Lescaut
Royal Opéra house
En direct le mardi 24 juin au Cinéma CGR Blagnac
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