Un théâtre de l’urgence, un théâtre citoyen
Cette saison et sa présentation, si elle se décline en trois saisons Printemps, Automne, Hiver, est en fait une forme de rupture par rapport aux précédentes. Conscient des ébranlements et des failles du monde et donc de la nécessité de le réhabiter et de réaffirmer notre présence en tant que citoyen de tous les pays, conscient aussi de la crainte d’une certaine routine depuis sa création en 1988, la programmation 2011-2011 se fait autre, engagée.
Sa présentation même, durant presque trois heures en trois lieux différents, avec la présence de nombreux artistes et avec en préambule une performance impressionnante du dessinateur belge Vincent Fortemps improvisant une œuvre, la délivrance d’un kit de survie de la saison remis à chaque participant, tout semblait bousculait les critères habituels d’un théâtre. Les rituels de la scène et du public semblaient transgressés (mode d’abonnements remplacé par un dispositif d’adhésion généralisée, choix élargis à la Danse, aux Arts Plastiques, à la Musique), alors que la saison précédente « formidablement » fréquentée aurait pu inciter à s’endormir sur ces lauriers.
L’éditorial du programme donne clairement les intentions:
« Nous aurions pu imaginer une saison à minima, délicate, peut être trop raisonnable face à l’urgence d’un réveil. Mais pour rappeler la force d’être ensemble, la poésie de l’art, pour partager ce temps du spectacle, entendre ces voix éclatées, nous avons choisi, au-delà de l’entendement, avec l’idée de l’invendable, vous proposer le foisonnement d’une saison qui crie la joie, la mélancolie d’une époque, et comme une salve tente de « réorganiser le pessimisme » ». (Jacky Ohayon)
Un sentiment d’urgence pour parler des choses, pour dire la parole nécessaire, semble être la cohérence des spectacles retenus, pour un théâtre tendu, un théâtre « à mains nues ». Afin de rompre la chape des lâchetés et des silences, on devine l’ardente volonté de faire un théâtre aux yeux ouverts et un public citoyen.
Mais une saison même innovante et bousculant les habitudes se bâtit aussi sur des fidélités, des retours du temps non pas passé mais « recomposé » pour reconvoquer le passé, comme le dit Jacky Ohayon. Et des habitués reviennent parfois avec les mêmes œuvres donnés jadis. Ainsi se tresse un réseau d’amitiés avec le Théâtre du Radeau de François Tanguy revenant à la forme d’une scène théâtrale, le TG Stan, Maguy Marin avec Salves, Les Possédés, Rodrigo Garcia, Mathilde Monier présente avec son tout premier spectacle et son dernier, et bien d’autres.
Des cycles servant de fil rouge à l’ordonnancement des spectacles comme Étant donné… Démocratie(s), Docu-Friction, Présences Vocales, encore), L’Académie des Cuisines Métisses structureront ce joyeux chaos.
Parmi la foison proliférante des propositions de cette saison parions que les chocs attendus seront certainement le « Tombeau pour Tadeusz Kantor » une installation de Christian Boltanski, tant Kantor hante encore les murs de ce théâtre depuis 1988. Et bien sûr l’exposition de Vincent Fortemps qui au sortir de ses dix ans d’écriture de Par-delà les sillons viendra pendant de longs mois s’inspirer des lieux et des atmosphères pour monter une exposition.
En théâtre et danse il faut mettre en exergue le Golgota Pinic de l’iconoclaste Rodrigo Garcia , Courteline en dentelles par Jérôme Deschamps, Nelken (Carnations) de Pina Bausch repris par sa troupe du Tanztheater Wuppertal, mais hélas à Nîmes, Hot Pepper… The Sonic life…de Toshiki Okada, En attendant d’Anne Teresa De Keersmaeker mais à Tarbes, Géométrie de caoutchouc par Aurélien Bory qui divague poétiquement sur la notion de chapiteau, Outrage au public de Peter Handke, par le scénographe flamand Peter Van den Eede, compagnon de route des TG Stan, Bloody Mess, The Thrill of it All de Tim Etchells, Onzième par le très grand François Tanguy du Théâtre du Radeau…
Il est tant d’arrêter de citer que les coups de cœur pour laisser s’aiguiser la curiosité du public.
Plus que de faire de nous un public fidèle cette saison du Théâtre Garonne est une saison d’éveil nous voulant « citoyens indociles » et refusant le matérialisme étouffant de la consommation culturelle.
Gil Pressnitzer