Quoi de commun entre Haendel l’italien et Françoise de Foix? Rien de prime abord, si ce n’est que ces deux concerts ont été donnés devant une salle d’Odyssud quasi pleine et enthousiaste, dans le cadre des Rencontres des Musiques baroques et anciennes; et que Marc Pontus dans le Chœur, Laurent Le Chenadec et Yasuko Uyama Bouvard dans l’Orchestre, faisaient partie des deux programmes.
Plaisanterie mise à ma part, c’est l’excellence de quatre formations régionales, Les Passions-Les Eléments et Scandicus-Les Sacqueboutiers, qui fait le lien entre ces deux soirées réjouissantes.
Après le triomphe de la Missa de Indios, l’avant-dernière soiré de ces Rencontres était consacrée à sa majesté le violon, avec la virtuosité des parties écrites par Georg Friedrich Hændel (1685-1789) dans le Concerto Grosso op.6 n°1 et par Giuseppe Valentini* (1681-1753) dans le Concerto Undecimo op.7 à quatre violons. Dans ce dernier, injustement méconnu, on est entrainé par un tourbillon avec des pauses prégnantes époustouflantes.
En deuxième partie, le Dixit Dominus**, (composé par Hændel pendant ses années de formation en Italie en 1707 alors qu’il n’avait que 22 ans), écrit à 5 voix, avec l’accompagnement de l’orchestre à cordes et de la basse continue, reste l’un des grands chefs d’œuvre de musique sacrée du compositeur, aux côtés du Messie. Le chœur y tient une place privilégiée avec son écriture jubilatoire et fougueuse dans le pur style italien virtuose de l’époque.
Le texte du psaume 109, du psaume 110, attribué à David, étonne par sa violence: Oracle de Iahvé à mon Seigneur: « Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds ! »…Adonaï est à ta droite, il brise les rois, au jour de sa colère, il juge les nations: c’est plein de cadavres, dont il a brisé la tête sur l’étendue de la terre ! (traduction par Edouard Dhorme (bibliothèque de la Pléiade). Il commence les vêpres et il offre aux musiciens de belles possibilités de contrastes entre violence, apaisement, ardeur et solennité; il a inspiré aussi Tomas Luis da Victoria, Vivaldi et Monteverdi. Chez Hændel, il frappe par certaines audaces harmoniques (la suspension brusque sur un fa# dans le premier mouvement) et par la vigueur rythmique qui anime l’ensemble et qui est caractéristique chez lui.
Je ne cacherai pas qu’à cette « œuvre de jeunesse » (que les musiciens me pardonnent, j’imagine leur travail et leur engouement), je préfère sa Water Music, ses Chandos Anthems ou surtout ses arie e duetti d’amore, airs et duos d’amour, des opéras « londoniens », à faire fondre les cœurs les plus endurcis, tels Lascia ch‘io pianga de Rinaldo ou Ombra mai fu de Xerxès.
Mais je n’ai pas boudé mon plaisir, loin de là: Joël Suhubiette et Jean-Marc Andrieu ont eu bien raison de réunir de nouveau leurs ensembles les Eléments et les Passions et de s’en partager la direction, tant ces retrouvailles étaient festives.
Pour le concert de clôture de ces Rencontres, il s’agissait en fait d’une lecture musicale avec comme invités de luxe Scandicus (qui en sont à l’origine) et Les Saqueboutiers. Le point de départ de cette création est l’histoire tragique de la comtesse Françoise de Foix: cette maitresse royale, de François 1er en l’occurrence, aurait eu un destin tragique, celui d’être assassinée par son époux déshonoré. Dans la longue histoire des favorites, qui se perpétue aujourd’hui dans notre monarchie républicaine, la plupart de ces dames finissent leur vie, tranquillement, dotées d’avantages pécuniaires conséquents, en remerciements de leurs bons et loyaux services, leurs maris et leurs familles profitant de bonne grâce de la manne « céleste »: à Toulouse, le château de la Reynerie est celui d’un cocu célèbre, sa légitime ayant eu pignon sur rue à Versailles; et le bel Hôtel Du Barry qui abrite aujourd’hui l’administration du Lycée Saint Sernin, est celui de Jean, beau frère de cette maîtresse du Roi Louis XV (qui finira néanmoins sur la guillotine).
Mais Françoise de Foix a, semble-t’il, rejoint l’interminable liste de ces femmes inconnues que leur mari jaloux a assassinées, liste qui hélas ne cesse, même aujourd’hui, de s’allonger.
« Ecoutez tous, gentils gallois, l’illustre destinée de Françoise de Foix, mye du Roi François 1er ! On raconte qu’elle aurait été saignée à blanc par son mari jaloux, le seigneur de Chateaubriand, une nuit sans lune ! Rouge sang sont les murs du château ! » .
Et c’est Clément Marot qui composa son Epitaphe:
Sous ce tombeau gît Françoise de Foix
De qui tout bien chacun vouloit dire
En le disant oncq une seulle voix
Ne savancza dy vouloir contredire
De grant beaulté de grâce qui attire
De bon savoir d’intelligence prompte
De biens d’honneurs et myeulx que ne raconte
Dieu éternel richement l’étoffa
Cette histoire édifiante a fait couler beaucoup d’encre, elle a même donné naissance à un «Chansonnier de Françoise», recueil de chansons de la Renaissance composé de trente et une pièces, conservé au British Muséum (sans oublier l’opéra de Gaetano Donizetti créé en 1831 à la Scala de Milan, « Francesca di Foix »). Du pain béni pour l’Ensemble Scandicus, en résidence à Saint-Lizier. S’il lui a fallu plus de deux ans pour se concrétiser à l’Estive, scène nationale de Foix et de l’Ariège à l’automne dernier, le projet a pu continuer grâce à la confiance et au soutien d’Emmanuel Gaillard.
Le comédien Thierry Peteau, également chanteur et musicologue, a abordé le rôle du récitant avec gourmandise, il s’est bien mis en bouche cette langue sonore (c’est une de ses specialités), il la restitue avec la gouaille qui sied aux personnages, même s’il eut mérité d’être légèrement amplifié pour la grande salle d’Odyssud. Il se partage allègrement entre le juge (à légion d’honneur!) qui instruit le procès du mari, et bien sûr, sa majesté François 1er, passant de cour à jardin pour cela, alors que « trône » (c’est le cas de le dire) au milieu de la scène le portrait de l’héroïne. A toute Dame, tout honneur, mais à la placer sur un piédestal, il eut mieux valu l’installer en fond de scène sous le vitrail rouge sang, car certains des spectateurs des premiers rangs, comme mes voisins et moi-même, ne voyaient plus certains des musiciens et chanteurs. Et c’est dommage. Rehaussés par le rouge et le jaune languedociens de leurs pupitres, ils méritaient toute notre attention.
On ne présente plus les Sacqueboutiers autour de Jean-Pierre Canihac, avec leurs étonnants instruments anciens (cornet à bouquin, chalemie, sacqueboute et basson ou dulciane…), mais on peut recommander encore une fois l’écoute de leurs disques, de la « Missa Philippus Rex Hispaniae » de Batoloméo Escobedo au « Jazz et la Pavane » avec Philippe Léogé, en passant par « Rabelais, Fay ce que vouldras » avec l’Ensemble Clément Jannequin. Jannequin (1485-1558) justement qui est bien sûr au programme avec entre autres sa célèbre « Bataille de Marignan », mais aussi Josquin Des prés (1450-1521), avec « Baisez moy », Pierre de La Rue (1460-1518), « D’amour je suis deshérité », Jean Richafort (1480-1547) avec son émouvant Requiem, tous de circonstance…
Si les femmes étaient paradoxalement sous-représentées dans cette histoire de femme, la luthiste Pascale Boquet (qui officie notamment au sein des ensembles Doulce Mémoire et Les Witches et a enregistré un savoureux premier disque en qualité de soliste « Du mignard Luth », un florilège de pièces composées en France et en Italie au XVIe siècle) et Yasuko Uyama Bouvard n’ont pas fait tapisserie, bien au contraire!
Emmené, avec une force tranquille, par l’alto Jean-Louis Comoretto, qui a tenu ce pupitre dans l’Ensemble Clément Janequin, la Capella Reial de Catalogne, l’Ensemble A Sei Vocci (du regretté Fabre-Garrus) et Musicatreize, Scandicus n’a plus grand chose à envier à ces formations. Il ne faut surtout pas rater leur prochaine création qui sera enregistré le 18 août à Saint-Lizier, en la cathédrale Notre-Dame-de-la-Sède: Les Lamentations de Pietro Amico Giacobetti (1558-1616).
En rappel, une délicieuse « Teresica hermana » du catalan Matteo Flecha. Au final, les deux ensembles se taillent la part du lion.
Avec eux, comme avec Les Passions et Les Eléments, la musique nous emporte toujours comme une mer!
Leurs choix éclairés nous restituent en priorité des musiques de l’époque baroque ou de la Renaissance dont je ne me lasse pas. Dieu sait que j’aime toutes sortes de musiques, des anciennes jusqu’au rock an roll (des sixties et des seventies), en passant par celles du monde ou la chanson française d’expression (comme disait Ferrat), mais ces styles-là, plein d’harmonie, me font du bien à l’esprit, à l’âme pour lesquelles elles étaient écrites. Elles font partie de celles qui me réconcilient à chaque fois avec l’humanité « dans ce monde qui court frénétiquement, délibérément, à sa perte », comme dit mon ami Vicente Pradal.
E.Fabre-Maigné
3-IV-2014
PS. Les Passions seront en tournée en Amérique du Sud (Bolivie-Pérou) du 28 avril au 3 mai. www.les-passions.fr
* En homme de la Renaissance, il était violoniste, peintre, poète et compositeur! Ses 7 sonates en trio op.2 sont appelées « bizarreries ».
** Le jeune Hændel, qui a 22 ans lorsqu’il écrit cette œuvre, y manifeste la maîtrise des moyens qu’il a hérités de l’Italie (Carissimi, Stradella, Steffani, Alessandro Scarlatti) et de la tradition germanique (emploi de motifs en valeurs longues rappelant le choral protestant ou des thèmes grégoriens). Comme ses contemporains italiens, il alterne les airs accompagnés (de style moderne) et les chœurs où la polyphonie est plus développée (de style ancien). Peut-être lui manque-t-il encore l’épaisseur de la matière instrumentale et harmonique, cette heureuse plénitude sonore qui constituera un des grands charmes de son style et que l’on entend dans les Chandos Anthems.
*** www.les-sacqueboutiers.com/
*** www.scandicus.fr/