Olivier Py met en scène « Aida », de Verdi, dirigé par Philippe Jordan à l’opéra Bastille, à découvrir dans les salles UGC.
Avant de se consacrer à la direction du Festival d’Avignon dont il vient de prendre les rênes, Olivier Py a tenu à honorer tous ses engagements à l’opéra avant la fin de l’année. Après « Alceste », de Gluck, en septembre au Palais Garnier, et avant les « Dialogues des Carmélites », de Poulenc, en décembre au Théâtre des Champs-Élysées, il vient de signer une nouvelle production d’ »Aida » à l’opéra Bastille. C’est un événement puisque l’ouvrage de Giuseppe Verdi avait quitté l’affiche de l’Opéra de Paris depuis 1968, date de la dernière reprise d’une production de Pierre Chéreau créée en 1939… La première représentation d’ »Aida » eu lieu en 1871, à l’occasion de l’inauguration du nouvel Opéra du Caire. C’est la Scala de Milan qui accueille la première européenne en 1872. Le compositeur apporta alors quelques corrections à sa partition, supprimant notamment l’ouverture.
L’action a pour cadre les cités de Memphis et de Thèbes, au temps des pharaons. Chef de l’armée égyptienne victorieuse contre les éthiopiens, le général Radamès doit épouser la fille du roi d’Egypte. Mais il aime Aida, jeune esclave et fille du roi d’Ethiopie. Par amour pour elle, il favorise la fuite de prisonniers éthiopiens et est condamné à être emmuré vivant dans un tombeau. Célèbre pour la fameuse scène du «triomphe» au son des trompettes, « Aida » traîne une réputation d’opéra à grand spectacle associé à un décor monumental. Or, l’ouvrage est construit d’une succession de scènes intimistes, où le drame télescope l’amour, la jalousie, le devoir, l’honneur et la trahison. Entamée avec « Don Carlo », Verdi enfonce ici le clou d’une rupture avec la forme de l’opéra conventionnel déroulant des airs et duos désaxés de l’action.
Le metteur en scène Olivier Py affirme : «J’ai pour ma part l’idée qu’ »Aida » n’est pas une œuvre monumentale : je pense qu’il s’agit d’un malentendu. Elle est, en réalité, extrêmement délicate et raffinée. J’avais, à une époque, proposé qu’on la monte dans un tout petit théâtre avec une réduction piano. Je ne crois pas que la volonté de Verdi était de créer une œuvre gigantesque. Cette idée de grand spectacle « son et lumière » est erronée. S’il y a bien quelque chose de monumental dans cet opéra, ce ne sont certainement pas les éléphants, mais plutôt l’idée de la construction d’une nation. « Aida » ne parle pas, à mon sens, de l’Egypte ancienne qui n’intéressait certainement Verdi que pour le décor exotique qu’elle lui offrait. Ce qui l’intéressait avant tout, c’était la construction de cette nation dont son nom était devenu l’acronyme resplendissant– « Viva Verdi » pour « Viva Vittorio Emanuele Re D’Itali ». Au cœur de l’œuvre, il y a ce questionnement du compositeur sur le national et le nationalisme. Comment passe-t-on de la légitimité nationale, la création de l’Italie, au danger du nationalisme ? Les rapports entre les « colonisants » – les Autrichiens, dans le contexte de Verdi – et les « colonisés » – les Italiens – sont transposés.»
«On accuse souvent les metteurs en scène de faire des transpositions, mais c’est oublier que tout l’opéra du XIXe est en réalité une gigantesque transposition. Verdi passait lui-même assez facilement d’un siècle à l’autre, d’un pays à l’autre. On pouvait transposer « Rigoletto » ; « La Traviata », qu’il avait d’abord souhaitée contemporaine, avait finalement été transposée cent-cinquante ans en arrière pour éviter tout scandale. L’artiste du XIXetranspose pour parler de son époque. Si nous voulons aujourd’hui comprendre ce que voulaient dire ces œuvres, on doit s’interroger sur cette notion de transposition, sous peine de jeter le cadeau et de ne garder que l’emballage. Il faut donc retirer une part de ce folklore, qu’il soit médiéval, antique ou italien, pour rechercher le sens même de l’œuvre. « Aida » est une grande et haute réflexion sur la violence politique dans une nation en train de naître, sur l’alliance avec le pouvoir religieux, sur la violence politique d’un pays qui en colonise un autre… Parmi tous les opéras de Verdi, c’est peut-être celui qui pousse le plus loin l’interrogation politique. C’est pourquoi, de l’Egypte qui faisait masque, nous n’avons retenu que l’or qui signifie la puissance financière et économique de l’Empire austro-hongrois», assure le metteur en scène(1).
Une représentation de cette production sera retransmise en direct dans les salles UGC. Sous la direction de Philippe Jordan, la distribution réunira ce soir-là la soprano ukrainienne Oksana Dyka dans le rôle-titre, le ténor argentin Marcelo Alvarez dans celui de Radamès, les basse et mezzo-soprano italiennes Carlo Cigni en roi d’Egypte et Luciana D’intino dans le rôle d’Amneris, fille du roi d’Egypte. Le baryton russe Sergey Murzaev sera Amonasro, roi d’Ethiopie, et la basse italienne Roberto Scandiuzzi interprètera le grand prêtre Ramfis.
Jérôme Gac
Jusqu’au 16 novembre, à l’Opéra Bastille, place de la Bastille, Paris. Tél.: 08 92 89 90 90 (0,34 euros la minute depuis un poste fixe en France).
Jeudi 14 novembre, 19h15, dans les salles UGC.
(1) Entretien paru dans « En scène ! », le Journal de l’Opéra national de Paris
»Aida » © Elisa Haberer
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