Au bout d’une semaine de Festival de Cannes, il faut bien constater l’absence de très grands films, de ceux qui resteront dans les esprits et marqueront – peut-être – l’histoire du cinéma. Selon la presse internationale, les deux les plus appréciés des critiques sont « Deux procureurs », de Sergei Loznitsa, et « Sound of falling », de Masha Schilinski. Ce film allemand est effectivement un vrai choc. Il raconte, de façon totalement originale, la vie d’une ferme sur plus d’un siècle, de la guerre 14 à nos jours, dans le nord de l’Allemagne. A la fois austère et saisissant.

La vie d’une ferme sur plus d’un siècle. Photo Martin Camper
C’est une histoire de secrets enfouis, de silences transpercés par la violence, de femmes sacrifiées de génération en génération… Histoire qui commence de façon quasi muette avec une adolescente qui longe un couloir sur une seule jambe, appuyée sur des béquilles. En bas, un homme l’appelle et lui hurle de « rentrer les cochons ». Elle se remet sur ses deux pieds – elle imitait son frère, amputé sur le champ de bataille… Peu après, on assiste à un repas de famille. Hommes et femmes sont engoncés dans leur tenue, lapant leur soupe. Personne ne parle : On entend les mouches voler, littéralement. Tout est dit en deux scènes sur l’incommunicabilité qui régit la vie à la campagne, sur la violence qu’on sent prête à exploser à chaque instant, sur la mort qui frappe souvent, sur cette innocence des enfants (petite fille blonde adorable) qui se fracassera très vite sur la réalité. Cette même ferme de la fin du XIXe siècle, on la retrouve dans les années 1950 et 1970 dans une Allemagne de l’Est qui n’a rien perdu de ses traditions rurales (comme attraper une anguille dans une bassine tout en roulant à vélo). Et puis de nos jours pour des vacances joyeuses…qui peuvent sombrer dans le drame si on n’y prête garde.
Enfermement physique et psychique
Avec « Sound of falling » (« Le bruit de la chute »), Mascha Schilinski, dont c’est le deuxième long-métrage, nous plonge dans un monde de sensations fortes, de regards inquiets, d’eaux troubles. Elle filme dans un format carré, comme pour mieux montrer l’enfermement physique et psychique de ses personnages, allant jusqu’à réduire encore le cadre à l’embrasure d’une porte, le montant d’une fenêtre voire un trou de serrure. Les vies sont verrouillées, les corps maltraités. La mise en scène est austère et pourtant elle arrive à rendre captivante cette sombre histoire. Le travail sur la photographie est remarquable, celui sur le son exceptionnel. On passe d’une époque à l’autre dans un souffle : un craquement se fait (comme celui d’un vieux vinyle), un vrombissement s’installe. Les êtres souffrent et les corps tombent. Le bruit des mouches revient, jamais éteint.
« Sound of falling », de Mascha Schilinski, en compétition à Cannes, date de sortie inconnue.